Archives par mot-clé : Franck Richard

« MARS 2221, roman » (chap 35 : « WTF ? », suite)

 

 

résumé : entre Anthéa et la tortue ça passe moyen.

– *Bon alors on va se mettre d’accord tout de suite ! Je suis tout sauf « cute »…*

– Et moi tout sauf une « jeune fille ». Mon nom c’est Anthéa.

– *Grand bien vous fasse. Oubliez le mien. Dans l’hypothèse – à vérifier – selon laquelle j’aurais effectivement affaire à deux représentants de l’espèce dite « humaine », vos capacités mentales et votre système audio phonatoire étant ce qu’il sont, vous ne sauriez le concevoir et encore moins le prononcer. Quant à mon apparence physique, je me trouve en butte à une difficulté du même ordre. Mon choix de m’offrir à votre regard sous la forme d’une tortue relève d’une tentative – désespérée, j’en conviens – de contourner la navrante pauvreté de votre référentiel esprit / matière. Le déclic ne se fait pas ? Pas grave ! Maintenant parlons de vous. D’où sortez-vous ?*

– D’après vous ? Vous venez de nous diagnostiquer « humains ».

J’avais clopin-clopiné jusqu’au monorail et validé à mon corps défendant, au pied de celui-ci, la présence d’une tortue . Une tortue dite « d’Hermann ». De celles qui se baladaient antan dans les jardins. Elles avaient disparu au cours des siècles, victimes collatérales de l’urbanisation galopante. Dans ce qui restait de cambrousse, entre yamahistes pétaradants et fils-à-papa ramollos du bulbe sur leurs quads putrides, une poignée de miraculées tentaient de survivre à la gazonnification obsessionnelle des résidences secondaires.

– * Vous confirmez donc qu’il ne s’agit pas d’un dérapage de mon vecteur factoriel ? C’est qu’une ou deux fois l’éon, il lui arrive de déplacer fortuitement une virgule par ci ou, plus gênant, de zapper une composante spatiostatique par là. Donc vous nous arrivez bel et bien de Terra… « Terra- la-Honte »…*

La tortue marque une pause. Un truc la dérange.

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap35 : « WTF ? »)

  1. WTF ?

Un retour fugitif à une vague forme de lucidité pousse le nudiste à vouloir ramasser son arme, Anthéa le devance d’une bonne longueur. Un premier coup de latte évacue le plasmok à cinquante pas, suivi d’un autre à la pointe du menton de l’accroupi. Sonné, hagard, Nivek Kuduort titube vers la sortie, suivi de près par le singe hurleur avec lequel il a failli faire fortune.

– *A-t-on jamais vu un crétin pareil ? Tout ce ramdam pour un gisement de pyrite ! « L’or des fous », comme on disait au Far West dans les années 1870 ! Ah pour briller elles brillent, ses « pépites » ! Détail que cet orpailleur du dimanche aurait dû prendre en compte car l’or ne reflète pas la lumière ! Pas plus qu’il raye le verre, un simple test aurait réglé la question ! En revanche l’or s’écrase, se déforme, se tortille à volonté. Contrairement à la pyrite qu’un bon coup de marteau suffit à faire voler en éclats ! Sans savoir tout ça, rien qu’au poids l’insensé aurait dû se rendre compte de sa méprise. Comment aurait-il pu soulever cet énorme sac si celui-ci avait été rempli d’or ? L’or possède une masse près de quatre fois supérieure à celle de la pyrite ! Une bouffée délirante carabinée, voilà tout ce que méritait cet ignare ! Quant à l’autre, ne serait-ce que pour lui apprendre à s’acoquiner avec un tel mauvais, rien de tel qu’une bonne vieille crise de proctalgie fugace ! Hi hi ! une de mes entrées préférées du dictionnaire médical terreux !*

– T’en sais des choses, lapin ! Mais c’est drôle, je ne reconnais ni ta voix, ni ton style…

– Normal, c’est pas moi qui suis en train d’habiller ces deux losers pour l’hiver.

– Qui alors ?

– *Et vous, jeune fille, qui êtes-vous pour poser la question ? Et que faites-vous, votre compagnon infirme et vous, dans une mine interdite au public ?*

Anthéa déteste qu’on l’appelle « jeune fille ».

– Parce qu’elle vous appartient peut-être ? De plus j’aime bien voir les gens à qui je parle.

– * Je suis juste derrière vous.*

–  Derrière moi ? Désolée je ne vois rien.

– *Regardez mieux. Par terre, au pied du rail.*

– Une tortue !!! Lapin, il y a une tortue là ! Mate comme elle est cute !

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 34 : Les joies de la famille, suite et fin)

résumé : Castor et Romulus ?

– Castor et Romulus ?

– Les angelots gémellaires que ma douce Moushkra m’a donnés. Incapables de choisir entre « Castor et Pollux » et « Romulus et Rémus », nous avons en quelque sorte coupé la poire en deux… Un démon, vous dis-je ! Un démon ! La façon dont il a toujours joué sur ma tragique infirmité ! Cette peur de manquer héritée de papa ! C’est elle – mon psy en est convaincu – qui sous-tend mon besoin maladif d’acquisitions matérielles. En Lacanien pur et dur, il appelle cela le syndrome de l’écureuil constipé. Couplé à un orgueil maladif qui me pousse à toujours « péter plus haut que j’ai le trou-de-balle », comme disent les gens du peuple… Tenez quand j’étais enfant, un oncle, drogué notoire, m’avait, sur le mode de la plaisanterie, fait accroire que lorsque sa vie de débauché l’aurait contraint à la mendicité, il reviendrait rôder autour de la luxueuse maison qu’entretemps – il ne pouvait en être autrement – ma fulgurante ascension sociale m’aurait permis d’acquérir dans le quartier le plus huppé du dôme le plus luxueux de Terra. Aujourd’hui encore, la vision irrationnelle de ce mendiant en guenilles révélant notre lien de parenté aux voisins m’occasionne d’épouvantables cauchemars…

Pendant que Kuduort nous bassine avec ses mémoires de désespoir, il appuie pas sur la gâchette. L’encourager à jacter !

– Donc, hier soir, à 11h01, le quantasonar vous transmet le « cri du blé » en direct live depuis ma teutê. Vous contactez aussitôt d’Avila qui vous rapporte ma conversation en cours avec monsieur Calmann-Lévy…

Il branle le chef.

– Conversation qui, me précise-t-elle, porte sur la mine désaffectée. Nul besoin d’être grand clerc pour hypothétiser le rapport de cause à effet sous-tendant la quasi simultanéité des deux occurrences…

Retour en force du prostatisme lexical ! Cette rafale de multi syllabiques en présage une autre, nettement moins proustienne… Le canon du plasmok se lève lentement, orienté vers mon front dégoulinant de sueur. Je regarde Anthéa. Elle me regarde. Elle a jamais été aussi belle.

– Croyez bien, Maître, qu’en d’autres circonstances… Hélas je n’ai pas le choix. L’heure a sonné pour vous et votre… hum… votre…

Sur son formulaire d’inscription au doctorat de philo par équivalence, il signerait pour une option « sexologie comparée » que ça serait pas du luxe non plus.

– …De recommander vos âmes à Yaboudhinchrillah, que S…Son Nom et Ce..Celui de Son Pentaprophète soient à j..jamais sanct… Ou…Oui Maman ! Oui tu as raison ! Tu as toujours raison, Maman chérie !  Je… je… Je suis sale… T…Tellement sa…sale…

Qu’est-ce qui lui arrive ? Sa respiration se fait haletante, saccadée. Son regard halluciné se fige sur son avant-bras soudain sans force. Le plasmok chute lourdement sur le sol. L’incohérent commence à se dessaper, laissant apparaître une guirlande de tatouages œdipo liturgiques sur son épiderme blafard.

– … C’est … l’heu.. l’heure de… de  mon b… bain… La baignoire ??? OÙ EST LA BAIGNOIRE ??? Je suis si affreusement sale ! Que Yaboudhinchrillah et son Pentaprophète m’acc… cordent leur  papa… pardon et leur mimi… miséricoooorde !!!

Le plus dingue c’est que, concomitamment à un Nivek en déroute (dans sa volonté de purification le pauvre garçon en est à arracher ses sous-vêtements cashals et les semer aux quatre vents) le commandant de bord du « Sun Dancer », réincarné en derviche tourneur, se frotte la raie des fesses en couinant comme un perdu.

 

…demain chap 35 : « WTF ? »… 

« MARS 2221, roman » (chap 34 : « Les joies de la famille », suite)

Commencée le 17 septembre la relecture de « MARS 2221, roman », à petites lampées quotidiennes, me désaltère toujours autant dans ma course en solitaire à travers les ergs de la littérature créatrice. Pour me guider, ici un tibia de Louis Ferdinand, là un métatarse de Philip Kindred ou une rotule de John Kennedy, balises épargnées par le vent des sables.

 

 

résumé : Le gendre du chirurgien Poutine se révèle un agent double à plus d’un égard. Lapin aime autant quand il est malpoli…

Oui Nivek, parle nous encore de « l’autre charogne » ! S’il te plaît !

Le psychopathe aux œufs plus ou moins frais retourne à son collègue.

– Pourtant à l’heure qu’il est, on est bien obligé d’en rabattre, hein commandant ?

Korbehn hausse les épaules. Vu ce qu’il y a dans le sac il peut pas dire le contraire.

– Et on va surtout pas se plaindre ! Avec ta part, tu vas pouvoir récupérer ton rafiot ! C’est qu’ils sont gourmands les ripoux du Bureau des Douanes !

Ah ok, notre passeur a fini par se faire alpaguer ! Le « Sun Dancer » est en cale sèche !

–  …Tu peux lui être reconnaissant à Poutine ! Et à moi par la même occasion ! Faut dire que, de mon côté, j’ai le plus grand besoin d’un associé disposant d’un permis poids lourd…  Et d’un voilier pour nous ramener sur Terra dès que…   Mais on cause, on cause et pendant ce temps-là le boulot se fait pas !

Nivek Kuduort revient à mon cas. Il a l’air sincèrement embêté.

– Il va falloir nous dire adieu, Maître… Je le répète, vous seriez resté un jour ou deux à vous faire bichonner au CHU, on en serait pas là. J’aurais pu boucler mon petit shopping ici et tailler la route en vous laissant la vie sauve…

J’essaie de temporiser.

– Et votre commanditaire de beau-père, qu’est-ce qu’il va penser de tout ça ?

– Bah si je vous efface, votre copine et vous, il saura jamais que son invention fonctionne à merveille. Il saura jamais qu’hier soir sur mon téléphone, à 11h01 précises, j’ai reçu 5/5 le barrissement en provenance de votre cerveau.

– Parce que lui, il l’a pas reçu ?

– Trop loin. Le quantasonar a une portée de quelques kilomètres seulement. C’est sa faiblesse. La raison pour laquelle il m’a persuadé de me raser. Ma Mouchkra adorée en est tombée en dépression. Je devais me rendre méconnaissable à vos yeux et vous suivre comme votre ombre jusque sur cette planète hostile. Subir les affres du mal de l’espace… Sans mentionner les vexations inhérentes au statut de déraciné…

Merde, revoilà d’Ormeusson. La fin est proche.

– À la nouvelle que vous vous étiez enfui de la Résidence, le démon me fit quérir urgemment. Cette fois ce n’était plus une enveloppe qu’il me faisait miroiter mais bien la moitié des bénéfices, incalculables clamait-il, que sa puce miracle allait tôt ou tard nous rapporter. Il croyait dur comme fer aux affirmations d’un certain « professeur Marcel » selon lesquelles la moindre commotion cérébrale était à même de vous rendre vos super pouvoirs …Grâce à son quantasonar nous serions là pour en profiter…

– Tant qu’il y était, il vous aurait pas suggéré de précipiter l’événement ? Une commotion cérébrale, c’est pas très compliqué à organiser…

– L’odieux personnage n’avait pas à se donner cette peine. Il savait trop bien que je ne pourrais résister longtemps au désir de serrer Castor et Romulus contre moi…

 

…la suite demain…

 

 

« MARS 2221, roman » (chap 34 : « Les joies de la famille »)

  1. Les joies de la famille

J’ai cru comprendre que lorsque Nivek retournait au discours académique – comme en ce moment – ça sentait encore plus le pâté pour Anthéa et moi.

– …Lors de la signature du contrat, j’avais eu peine à cacher à beau-papa mon étonnement devant le pont d’or qu’il me faisait pour la pose d’un nano-traceur sur un de ses patients, aussi important soit-il à ses yeux. Il avait justifié la somme par le désir sincère de voir le mari de Moushkra (et heureux père des petits-enfants qu’elle ne manquerait pas de lui donner) à l’abri du besoin dans un monde qui n’était que danger et incertitude du lendemain. « Cela étant », avait-il ajouté à voix basse, « je n’ai pas pour habitude de jeter mon argent par les fenêtres… », puis, plus bas encore,  « …Je promets de vous en dire plus dès que vous aurez paraphé la clause de confidentialité en bas de page ». La vérole putride !!!

Ouf, retour à Graveland.

– Apprenez, Maître, qu’au-delà de l’admiration qu’elle voue à son cher papa…

Aïe ! J’ai parlé trop vite.

– …Moushkra lui a toujours reproché de consacrer plus de temps à ses travaux qu’à ses devoirs de géniteur. En contrepartie elle affiche un profond désintérêt pour tout ce qui se trame derrière les murs de sa « maternité ». Longtemps avant notre mariage elle m’avait vaguement parlé d’un personnage célèbre dont on entretenait les fonctions vitales en attendant que la science ait accompli les avancées nécessaires… Nécessaires à quoi, elle n’en savait rien et s’en moquait éperdument.

Nivek crispe les mâchoires.

– …Patience chère Moushkra ! Patience ! Nous serons bientôt réunis ! Je déposerai à tes pieds menus une montagne d’or sonnant et trébuchant. Je vous arracherai, les jumeaux et toi, aux griffes du monstre qui, sous couvert de protéger sa famille, ne pense jamais qu’à lui et lui seul ! Allant jusqu’à instrumentaliser les faiblesses de son gendre pour servir ses entreprises bassement matér… Meeeerde !!! Chiotte ! Bite à couilles ! La vie de ma tante, MAIS POURQUOI J’AI PAS FAIT PHILO ???

Vas-y ! Lâche-toi, pépère ! Dans ces moments-là ta main droite arrête de caresser la crosse de ton plasmok et nous on respire mieux.

– Je vous le garantis, Maître. Jusqu’à hier soir et l’alerte sur mon portable, je ne croyais pas une seule seconde qu’il puisse fonctionner, ce « capteur quantasonique »…

Se tournant vers son comparse :

– Et honnêtement j’étais comme toi, Korbehn. La probabilité qu’un mec – « Sage parmi les sages » ou quoi ou qu’est-ce – entende quelque part dans son moi profond un barrissement venu d’ailleurs dès qu’une occase de faire de la maille pointait à l’horizon, j’avais du mal à cautionner ! Pour dire, quand on lui avait monté ma balise sur les noix, au congelé …

Un réflexe de protection rétrospectif, je porte la main à mon entrejambes.

– …Je pensais à la bonne grosse enveloppe que j’allais enfouiller, full stop ! Rien que son âge, ça tenait pas la route ! À le voir, son VIP devait pas dépasser la trentaine et soit disant que son cerveau tapait les deux siècles et demi ! Pis quoi encore ? Il était temps de raccrocher les gants chirurgicaux, professeur Poutine !

Le rictus sardonique de Kuduort laisse place à une moue songeuse.

– Cela dit, un jour il m’avait sorti un fichier informatique bourré d’articles de journaux des temps prénucléaires…

S’adressant de nouveau à mézigue :

– Comment le nier ? Sur certaines photos vous faisiez plus que décati mais c’était bien vous, Maître. D’autres encore, comme celle où, inexplicablement rajeuni, vous sortez de l’Élysée bras dessus bras dessous avec la présidente de la république m’avaient franchement déstabilisé, j’avoue. Mais de là à avaler sa couleuvre de capteur quantique, à l’autre charogne…

 

…la suite demain…