Archives de catégorie : Graffiti

– fiction, pohaizie etc….

« Mars 2221, roman » (chap 13 : Winnie, suite et fin)

résumé : Anthéa et le narrateur mettent à exécution leur plan pour se sortir des griffes du chirurgien Poutine.

Le médecin était ok. Ni une ni deux, le chauffeur du sub et son collègue t’avaient choppé la peluche géante – l’un sous les aisselles, l’autre gérait les pattes arrière – et l’avaient hissée dans l’ambulance en faisant gaffe à pas bousculer le matériel de réa. Masque à oxygène, perfusion, l’urgentiste était déjà au boulot. Par contre les G-men savaient plus quoi faire de leurs carcasses. Alors qu’un des brancardiers s’éclipsait deux secondes satisfaire une envie pressante, l’urgentiste leur avait proposé de suivre le mouvement, direction le CSU le plus proche, une poignée de kilomètres en aval. Le chauffeur du sub s’était étonné qu’on retourne pas plutôt à la Résidence. Le médecin avait rétorqué que, non seulement le centre de soins d’urgence était plus près mais, considéré les contrôles interminables à l’entrée du dôme, la patiente serait plus rapidement prise en charge au centre.

– Don’t worry, ils vont les chouchouter, elle et son nounours ! » avait renchéri le brancardier chauffeur, soudain polyglotte, en refermant le hayon sur l’urgentiste et sa patiente avant de courir s’installer au volant de son véhicule.

En dix-neuf ans de Résidence (c’était l’âge qu’elle disait avoir même si je continuais à lui donner moins) Anthéa avait réussi à se brancher avec tout ce que la région comptait de personnages louches. Dealers bien sûr mais aussi pickpockets, voleurs de subs, faussaires, trafiquants de devises, d’armes etc… Aucune racaille en exercice manquait à son carnet d’adresses. On aura compris qu’elle avait négocié 30 000 kreds (avec un certain Ali Brunswick) la présence d’une pseudo ambulance et ses pseudo ambulanciers au péage de l’Interdôme, au jour et à l’heure prévue de son départ pour le Sud Dakota.

Sur ces entrefaites, le second brancardier s’était repointé, ayant mis à profit sa soi-disant envie de pisser pour passer derrière le sub de nos cow-boys et en saboter les relais TBTS à l’aide du micro laser multitâches qui ne quittait jamais sa poche (il s’en servait aussi pour se couper les ongles de pieds sans avoir à se baisser). Il se marrait encore de sa bonne blague quand, cinq minutes après qu’on ait taillé la route, abandonnant son siège à côté du conducteur il avait fait jouer la cloison amovible et était venu nous rejoindre, Anthéa, le faux toubib et moi à l’arrière de l’ambulance. C’était lui, le Ali Brunswick des 30 000 k.

– Les innocents ! Bonne chance pour démarrer leur bécane ! Your attention please, dans deux kilomètres, changement de monture !

À la hauteur du CSU, le conducteur avait fait mine de décélérer puis brusquement relancé le moteur pour s’enfiler dans une galerie annexe, hors de portée des radars. Je venais à peine d’émerger de l’emballage dans lequel j’avais cru plus d’une fois mourir asphyxié quand on avait ralenti de nouveau pour venir se coller au cul d’un gros sub anti G. Sautant à bas de l’ambulance, Ali Brunswick avait pris les commandes de l’engin.

– Attachez vos ceintures ! Cap sur Helsinki, ses grillimakkaras vegan et son astroport ! Le commandant Korbehn n’attend plus que vos charmantes personnes pour décoller !

 

– Hé, les paravents c’est pas que pour la déco ! Le moral est revenu on dirait ?

Mon côté amateur d’art ! Je repensais à ce cher Ali… Et à Korbehn ! Il avait pas tort, Lafleur, de le traiter de charognard. 50 000 k le passage, il se fait pas chier !

– C’était le  moins cher sur le marché. Moi c’est la note de l’astrotel qui me reste en travers de la gorge. 300 balles la nuit ! Ok ils sont pas regardants sur les puces d’identité, les Finlandais, mais admets qu’on ait dû attendre la fenêtre de tir une semaine de plus, on se retrouvait en slip en arrivant sur Mars. Et maintenant si monsieur le voyeur veut bien descendre de son mirador, c’est l’heure du marchand de sable.

Anthéa a raison. Le dortoir commence à se remplir, inutile d’attirer l’attention. Je plonge dans mon sac à viande.

– Bonne nuit « Fesses de Rêve » ! Au fait tu sais comment ça se repique une salade ?

– C’est toi l’expert en salades ! Si tu nous pondais un autre best-seller ? Ça arrangerait bien nos finances tu crois pas ?

– J’ai rien contre. C’est juste que l’inspiration ça se commande pas sur Amazon !

– Quelle amazone ?

– Laisse tomber, t’es trop jeune pour comprendre.

– Lapin ?

– Ouais ?

– Faut que tu saches un truc…  Quand j’étais petite, j’allais pas mal traîner à la médiathèque de la Résidence. En farfouillant dans les fichiers PDF j’étais tombée sur un roman qui m’avait bien plu. « Hippocampe Twist », ça s’appelait.

Je fais un bond de cinquante centimètres sur le matelas.

– PARDON ??? MON Hippocampe Twist ???  Marie-Claude, le tas de sable, les Relax, Léon Zitrone, Ray Davies…

– Ouais… Et aussi Les Seigneurs du Fond, « Chez Georges », Le Zébi Allégorie de l’Ennui, James… le pauvre gars, ça m’avait fait pleurer son histoire de brochet de la mort qui tue…

– Je le crois pas ! JE –  LE – CROIS – PAS !!! Et tu m’as laissé te raconter ma vie comme un…

– Comme un audio book ? Ouais y a de ça… T’as une si jolie voix, lapin.

– J’aurais dû m’en douter… T’avais pas l’air plus étonné que ça quand je t’ai parlé de mes royalties…

– Chuuut ! T’empêche tout le monde de dormir.

 

à suivre demain

« MARS 2221, roman (chap 13 : Winnie)

Quitte à radoter, je suis vachement content de relire « MARS 2221, roman », pas vous ? En plus, comme j’en suis l’auteur, je peux me permettre de retoucher le texte selon mon humeur et ma fantaisie, avec l’accord d’Edmond de Goncourt toujours.

13.  Winnie 

Le dortoir est encore désert quand nous gagnons nos couchages. De minces cloisons en plexi dépoli aménagées entre les lits assurent une relative intimité aux pensionnaires des Jardins. Toute relative ! Perché sur mon plumard, je me hisse sur la pointe des pieds. Pas question de m’endormir sans avoir maté Anthéa en train d’éplucher sa combinaison en Pinatex thermo-régulé. Son absence de nibards, le satin de ses épaules carrées puis, quand elle se retourne, le bouquet final de sa pêche miraculeuse.

Penser que pareils trésors auraient pu tomber aux mains d’un banquier véreux du Sud Dakota ! Parce que finalement l’émir était dead. Un mauvais plaisant à la solde de l’émirat voisin avait empoisonné son tagine du soir espoir. Poutine avait alors changé son fusil d’épaule. Subtilement approché, un tycoon du détournement de fonds publics basé dans un des états yankees les plus imaginatifs en matière de fiscalité paradisiaque avait flashé sur le pressbook de ma bien aimée. Ça changeait pas grand-chose au scénario qu’on avait passé des semaines à peaufiner, vu qu’à l’instar de feu l’émir le cow-boy véreux se chargeait du rapatriement de sa commande.

Le luxueux sub rocket avec chauffeur et garde du corps s’était pointé au quai d’embarquement souterrain de la Résidence. Charger dans l’habitacle l’ours en peluche géant auquel Anthéa tenait comme à la prunelle de ses yeux naufrageurs avait pas été une mince affaire.

– Faites bien attention à ne pas le cogner », avait-elle insisté, « …Installez-le sur la banquette à côté de moi. Pas question que Winnie fasse le voyage dans le coffre à bagages !

Les deux G-men avaient obtempéré, ayant reçu de leur boss des consignes de soumission absolue aux caprices de leur passagère. Je m’étais vu délicatement déposer à l’arrière du sub. Anthéa m’avait attiré contre elle.

– Lààà, tu vas être bien comme ça, tout contre maman Anthéa, mon Winnie chéri ! On va demander au monsieur qui conduit de calmer sa joie sur les turboréacteurs. Personne n’a envie que tu sois malade, n’est-ce pas ?

Rien que d’entendre ça, j’avais déjà la gerbe. En plus je crevais de chaleur dans mon double emballage ouate/fourrure synthétique.

Les dix minutes qui nous séparaient de la bretelle d’accès à l’Interdôme m’avaient paru des heures. Notre chauffeur était occupé à remplir le formulaire de transit international quand soudain Anthéa avait poussé un cri de douleur et porté la main à ses reins. Le  bodyguard s’était retourné. Anthéa avait haleté qu’elle était sujette à des crises de colique néphrétique aigüe. Elle en sentait monter une !

– La v… vache ! Qu’est-ce que je déguste ! J’ai besoin d’un docteur !

Le bodyguard et le chauffeur s’étaient concertés. Le patron serait pas content d’apprendre que son cadeau de Noël leur avait claqué entre les pattes. Le bodygard avait fait signe au douanier de rappliquer. Au constat que la dame avait pas l’air bien du tout le douanier avait sorti son walkie-talkie.

– Il me faut une équipe médicale au guichet 11. Et pas demain matin !

Y avait une ambulance stationnée devant la boutique – cafèt’- pipirooms. Ça tombait vraiment bien. Anthéa hurlait de douleur maintenant. Le médecin urgentiste arraché à son crème avait diagnostiqué un calcul  à extraire de toute urgence.

– On l’embarque ! » avait-il décrété péremptoire.

Le douanier avait regardé le chauffeur du sub. Qui avait regardé son collègue. Aucun des trois avait pris le risque de s’opposer à la décision du toubib. Alors qu’on la hissait dans le véhicule d’intervention, Anthéa avait poussé un cri déchirant.

– WINNIE !!! Je veux mon Winnie !!!

 

à suivre absolument

 

« MARS 2221, roman » (chap 12 : Pet v’là l’mono !)

Quand on pense que le morveux veut aller « vers la généralisation du service national universel en seconde » alors que « né en 1977, il aurait pu faire son service militaire s’il avait vraiment insisté » mais bon heu… comment dire… Brizitte ! Essplique-leur que le roi de la Phronce même avant qu’il est le roi de la Phronce c’est un peu comme les Zuifs ultraordothosques… orthoquos… orquothost… Brizitteuh ! C’est comment qu’on dit pour ces planqués… Briziiiitteuh !!!! Tu m’écoutes ????

12. « Pet v’là l’mono ! »

Avant-hier soir, à l’audition publique chez Chappell, je suis pas passé inaperçu avec ma boule à zéro ! Au pays des merveilles de Mike Brant et Michel Sardou, les dégaines d’évadés d’Alcatraz c’est pas pour tout de suite ! Rebelote hier matin dans le train vers Blois et sa caserne 3 étoiles. Faut les comprendre, mes co-convoqués aux « trois jours ». On les extrait de leur zone d’inconfort post pubertaire pour les embarquer dans un délire néopatriolithique qui pendant douze longs mois va tenter de les sevrer de leurs pattes d’eph et leur coupe mulet. Alors le mec qui ramène son crâne rasé et cause à personne, on a pas envie de lui taper dans le dos. Excellent pour la parano ! Autant ça m’a fait un peu caguer de ruiner mes chances de contrat avec une célèbre maison d’édition musicale parisienne, autant aujourd’hui je me réjouis de constater que ça valait le coup de m’endormir sous la tondeuse.

Faut savoir qu’en 1972, se faire réformer, c’est pas du gâteau. Si t’as pas un mot d’excuse de l’abbé Oraison ou tout autre psy compréhensif (en général beaucoup moins accessible financièrement que le fameux cureton antimilitariste) qui stipule que ton état général t’interdit le port de l’uniforme, les corvées de chiottes et les 50 pompes au réveil, t’es dans la misère. Je suis dans la misère. En parfaite condition physique, plus d’1,55 m (pas de beaucoup), ni pieds plats ni asthme, 10/10 aux deux yeux, question caberlot on vient de m’admettre à la maîtrise d’anglais. C’est pas Polytechnique mais ça aide pas non plus à faire le demeuré sans éveiller les soupçons. Du coup j’ai mis au point une stratégie qui a déjà fonctionné pour d’autres. Elle repose sur le constat que, bizarrement, les allumés se déclarant mandatés par le Tout Puissant pour sauver la France (syndrome Jeanne d’Arc) les instances recruteuses en sont pas friandes. Surtout si, lors de ses tests écrits, Saint Jeannot coche la case « tentatives de suicide ». Étant convenu qu’à la question suivante – « combien ? » – la pucelle d’Orléans réincarnée se laissera pas gagner par la folie des grandeurs et modeste écrira : une.  S’il est de notoriété psychiatrique qu’un suicidé manqué remet ça tôt ou tard, à compter de plus d’une récidive infructueuse le prétendu désespéré bascule dans la catégorie « comique ». Comique troupier en l’occurrence.  

J’ai fait de mon mieux, on aura les résultats demain. En route vers la cantine, je retombe sur l’« agent secret ». Je l’appelle comme ça à cause de son imper remonté jusqu’aux oreilles. Il passe son temps à longer les murs en jetant des regards méfiants aux gens qu’il croise. Alors qu’on se retrouve épaule contre épaule dans le goulet d’entrée, son clin d’œil subreptice me confirme qu’il fait dans la simulation lui aussi. Cool. Dommage que pour le bien de nos impostures respectives il vaille mieux éviter qu’on nous voie ensemble. La table où j’atterris est peuplée de post ados surexcités. Je reconnais celui qui a déclenché une bataille de polochons hier soir dans le dortoir. En entendant les pas du gradé chargé de faire régner le calme dans la volière il a gueulé «  pet ! v’là le mono ! ». Au constat que je touche pas à mon assiette (ça fait partie du plan, rien bouffer, fumer clope sur clope et s’imbiber de caoua pour être au taquet quand – Inch’Allah – mes performances aux tests me conduiront enfin au Graal de l’entretien avec le psy, au cours duquel il me faudra donner le meilleur de moi-même : « Laissez-moi me sacrifier pour mon Cher Pays, qu’un sang impur abreuve nos sillons, putains de cocos, sales viets, enculés d’arabes, vive le Québec libre ! ») le vacancier dans sa tête m’apostrophe, la bouche pleine :

– Tu bouffes pas ? T’es con c’est vachement bon !

Je te file ma part.

– C’est gentil mais moi non plus je n’ai pas très faim. Je me sens un peu barbouillée…

Dame Merteens a parlé d’une voix douce. Elle m’en veut pas de l’avoir tutoyée.

L’ambiance para militaire qui règne aux Jardins Suspendus est sûrement pour quelque chose dans la nouvelle remontée hippocampique dont je viens d’être victime. Pour info on s’en était sorti crème avec l’agent secret. Je nous revois au bistrot de la gare de Blois à nous faire payer des demis par des néo conscrits tout fiérots d’avoir été reconnus « bons pour le service » et d’autant plus compatissants envers les privés de labour au champ d’honneur que nous étions.

Parlant d’agent secret je sens sur moi le regard d’un autre compagnon de route. « Stan » comme l’a appelé le rabbi Lafleur. Stan est assis à l’autre bout de la table. Me voyant le mater en retour il plonge dans ses raviolis aux épinards.

 

à suivre demain, même heure, même endroit

Très chers murs + « MARS 2221 » (chap 11 : Relevé des ventes, suite et fin)

 

Très chers murs,

Comme vous le savez, vous êtes avec ces bons vieux Google bots, les seuls témoins de mes posts quotidiens. Je m’en réjouis car en fait, cette relecture publique de «  MARS 2221, roman», outre le plaisir qu’elle me procure, me permet d’apporter de subtiles modifications au texte original et je tiens pas à ce que ça s’ébruite au risque de faire drastiquement chuter les ventes (de quasiment une par semestre à moins de zéro par an), l’acheteur éventuel décidant d’attendre la sortie de la version 2.0, ce qui serait parfaitement compréhensible (et judicieux).

Voilà c’est tout et c’est déjà pas mal pour un dimanche.

résumé : le narrateur explique  comment  il s’est  retrouvé un jour avec 140 729 kreds sur son compte en banque…

On pensera ce qu’on voudra de la moralité à géométrie variable du chirurgien Poutine mais, respectant en cela les dernières volontés de l’assistante historique et continuatrice directe du professeur Marcel, il était passé à mon nid d’amour un après-midi. Il tenait à la main une enveloppe cachetée.

– Depuis le temps que Marinella me demande de vous remettre ceci : « Document d’archive joint au dossier le 22/07/2115 : Pour le Maître, de la part de Mathilde Pelletier». Désirez-vous en prendre connaissance ?

Chère Mathilde ! Elle avait donc cru jusqu’au bout à la réussite du Projet ! Au point de m’adresser un message qui avait mis plus d’un siècle à me parvenir ! J’en aurais chialé. J’avais décacheté l’enveloppe. Sur une feuille d’un rose encore chaleureux, la fidèle infirmière m’assurait de son affection sans partage pour ce qui restait de ma personne, savoir l’encéphale truffé d’électrodes qui depuis presque quarante ans se les gelait au fond d’un bidon d’azote liquide. Mais maintenant elle disait approcher les quatre-vingt-dix balais et commencer à souffrir de troubles cognitifs. Elle se résignait donc, la mort dans l’âme, à ne plus être de ce monde le jour – qui ne manquerait pas d’advenir – où ledit encéphale réintégrerait enfin une enveloppe humaine.

« …La Recherche Scientifique (les majuscules avaient ajouté à mon attendrissement), j’en suis consciente, devra encore accomplir de gros progrès dans maints domaines avant que la pensée visionnaire du Professeur vous ramène à la Vie. Ce jour-là, j’imagine que, seul dans un univers qui ne correspondra certainement pas à celui auquel votre terrible accident vous a arraché, vous aurez l’utilité d’un « petit plus » matériel, afin de « voir venir » (votre expression préférée, Maître !). Dans cette éventualité, sachez que je me suis permis de confier à un éditeur de confiance (il en reste) le récit de votre collaboration avec le misérable Dr Legrand – Dieu lui accorde son pardon – tel que vous en rendiez compte au jour le jour… ».

J’étais sur le cul. Mathilde m’avait jamais dit qu’elle maîtrisait la stéganographie informatique ! Elle était parvenue à décrypter le journal de bord secret que je tenais au quotidien, en filigrane des « réminiscences » réclamées par l’autre usurpateur !

« … En accord avec l’éditeur en question – il s’agit de la maison Séraphina & Gluck – nous avons pensé que le titre « Hippocampe Twist » conviendrait assez bien à l’esprit et au contenu de votre prose remarquable. Remarquable et remarquée puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes, « Hippocampe Twist » continue de faire des ventes honorables. Dans l’ignorance de la date de votre retour à la conscience, Séraphina & Gluck et moi-même avons convenu de faire virer vos droits d’auteur annuels, payables en crypto monnaie, sur un biocompte en ligne présentant, selon eux, toutes garanties d’accès dans le temps et l’espace. Vous en trouverez les coordonnées sur la carte ci-enclose. Par mesure de précaution – on n’en prend jamais assez, le pauvre Professeur ne m’aurait pas contredite sur ce point, hélas ! – j’ai recours pour vous les transmettre au chiffrage que vous savez. »

En gentleman, le chirurgien Poutine avait prétexté un coup de fil à passer afin de me laisser lire la lettre de Mathilde en toute tranquillité. À son retour, l’air de rien, je lui avais posé deux ou trois questions sur les biocomptes. Si, par exemple ils étaient accessibles aux clones de leurs titulaires.

– Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? En biométrie un iris cloné est la copie conforme de l’original, que je sache.

L’évidence même ! J’avais attendu qu’il vide les lieux pour de bon pour craquer en un tournemain les données cryptées glissées par Mathide dans un post-scriptum digne des plus grands stéganographes et, muni des renseignements indispensables, me précipiter sur l’ordi. Quelques manips – moins compliquées qu’on aurait pu imaginer – et bingo, sur l’écran une dégringolade de chiffres. Au 30/03/2221 – date du dernier relevé de ventes – le cumul de mes droits touchant à l’ouvrage « Hippocampe Twist » atteignait le montant honorable de 140 729 kreds ! J’avais failli tourner de l’œil. C’était la première fois que mes élucubrations artistiques ou assimilées me rapportaient quoi que ce soit. J’avais eu une pensée pour ma reum. Elle qui, chaque fois que je lui annonçais tout fiérot avoir sorti un nouveau squeud ou, plus tard, un premier bouquin, puis un deuxième, puis…, me répondait invariablement qu’elle était contente pour moi mais que « si ça marchait pas, à la maison je trouverais toujours de quoi manger et dormir convenablement ». Avec le daron c’était plus simple et limite moins déprimant. Du jour où je l’avais envoyé paître avec ses « hautes études commerciales » flippantes (cf « Hippocampe Twist »), il avait cessé d’accorder l’ombre du plus infime intérêt à mon devenir socio économique. Quand, lors de retrouvailles de plus en plus espacées et conflictuelles, la conversation venait à frôler le sujet tabou de mes velléités lyrico-scribouillardes, il quittait la pièce en soupirant.

– Pourquoi tu me parles de 140 729 kreds ? Tu les as ?

– Ça se pourrait.

– Et d’où tu la sors, ta maille, lapin ? Pas des poches des contribuables, j’espère ? On raconte tellement de choses sur les jeux de bonneteau en pratique dans les couloirs de l’Élysée…

– Même pas. C’est de la thune gagnée à la sueur de mon front d’écrivain.

Anthéa avait écouté mes explications d’une oreille distraite. Elle était déjà sur son portable à composer le numéro d’un pote à elle qui connaissait un pote qui connaissait…

C’est le branle-bas de combat dans le dortoir. La sonnerie proclamant l’ouverture du self vient de retentir. Nos futurs collègues de l’équipe de jour qui tapaient une écroule apéritive plus que méritée sautent à bas de leurs plumards. On suit le mouvement.

à suivre des deux mains

 

« MARS 2221, roman » (chap 11 : Relevé des ventes)

Lectrice, lecteur,

En ce samedi ensoleillé, toi qui, égaré(e) dans l’antre d’un libraire indépendant de sa volonté, hésites entre ses piles de remontées de maltraitances incestueuses trop longtemps réprimées et d’autres, encore plus intrépidement érigées, de « polars » dégoulinants de cadavres atrocement mutilés retrouvés dans le coffre d’une Merco à demi carbonisée par un flic désenchanté dont la fille a été kidnappée et violée pendant qu’il essayait de poser une crotte douloureuse à cause d’un cancer du colon que son ami d’enfance devenu chirurgien célèbre avait pas eu le temps d’opérer avant de se faire décapiter par un patient schizophrène, tout ça bien sûr au fin fond de la sombritude humide des îles Shetland phagocytées par la mafia chinoise, toi qui t’es pas déjà rabattu(e) sur une « série » Fletnix qui te dépossédera en un weekend de tes dernières synapses opérationnelles, voici, pour te redonner goût à la bonne littérature innovante, ton extrait quotidien de «   MARS 2221, roman ». Enjoy !

11. Relevé des ventes

 Anthéa est assise à côté de moi sur mon pieu. Le dernier de la rangée de gauche, dortoir n°4. On a tous été déclarés bons pour le service. Un bot magasinier nous a remis notre paquetage : serviette de toilette, brosse à dents, un jeu de sous-vêtements à faire renouveler tous les deux jours à la blanchisserie et – incontournable sous peine de se voir refouler des serres –  une combinaison aseptique avec cagoule et masque intégré. Le chef jardinier nous attend demain matin à 6 heures, pour nous expliquer comment on enfile tout ça.

– Qu’est-ce qui se passe ? T’as pas l’air en forme d’un seul coup ! C’est vrai que ça l’affiche mal pour un ex Haut Conseiller aux Finances de se voir relégué aux travaux agricoles…

– Désopilant.

D’ordinaire je suis réceptif à l’humour d’Anthéa mais ce soir je me « fais vieux », comme on dit. Le « projet » de Marcel-la-Menace et ses conséquences directes et indirectes sur le cours de mon existence m’a jamais autant pété les couilles. En bon disciple d’Hippocrate, son obsession à Marcel c’était que son Sage entre les sages de patient s’accrochât à la rampe le plus longtemps possible mais, ma parole, 269 printemps et plus ça commence à faire ! D’accord à en croire le Torbicovédongba et sans convoquer des phénomènes de l’état civil comme Brahma ou Vishnu, comparé à Mathusalem (969 tours de soleil), Yared (962), Mahalalel (895) je suis un rookie dans le business de la longévité. Ok, des trompe-la-mort professionnels comme Arpakshad (438), Shélah (non pas « Sheila », elle ça fait un bail que son école est finie) (433) ou Eber (464) auraient eux aussi des leçons de patience à me donner mais nan, franchement ce soir, si quelqu’un pouvait me dépanner d’une pilule de l’Oregon… Mettons deux pour être sûr…

– Excuse, ça doit être le voyage.

Je m’en veux de faire la gueule. Elle y est pour rien, Anthéa. Je me repasse nos galipettes en rentrant du concert silencieux. C’est là qu’entre deux figures de style je l’avais briefée sur mon CV atypique. Ma love affair avec une présidente de la république l’avait explosée.

– Comme ça t’as un super pouvoir ? » elle m’avait demandé.

– J’ai eu avoir un super pouvoir. Puis je l’ai perdu. Puis retrouvé. Puis reperdu. Même que le Poutine, il demanderait pas mieux que je le reretrouve. À mater sa montre en or et ses bagouzes et comment il bave devant les pubs de dômes privés et autres modules de plaisance, pas de doute qu’il saurait quoi en faire, de mon super pouvoir. Je suis pas à l’aise quand il louche sur mon quart de brie…

Anthéa avait hoché sa jolie tête avant d’ étouffer  un bâillement.

– D’après pépère moi aussi je suis une rareté ! Il a commencé à me faire l’article sur un émir qui serait prêt à faire de ma vie un rêve éveillé…

Cette nuit-là, en comparant nos données, on était tombé d’accord que plus vite on se casserait de la Résidence, mieux on s’en porterait. Sachant qu’une fois dehors restait le problème de la survie dans un environnement hostile. Le climat bien sûr mais aussi les querelles inter blocs et leurs retombées radioactives qui rendaient plus qu’hasardeuse une virée hors dôme. Sans parler des Mad Max de bénitier qui guettaient les infidèles au virage  pour les découper en menus morceaux avec la bénédiction pleine et entière des trafiquants d’armes.

– On est pas obligés de rester moisir sur Terra, tu sais lapin. C’est juste que deux allers simples pour Olympus Mons Terminal, ça coûte bonbon.

Je sautais pas de joie à l’idée de passer trois semaines à vomir mes tripes sur un voilier solaire mais si ça pouvait éviter à Anthéa d’avoir à satisfaire les fantasmes d’un pompeur de pétrole vicelard…

– Bonbon comment ? Plus de 140 729 kreds ?

à suivre demain…