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« MARS 2221, roman » (chap 12 : Pet v’là l’mono !)

Quand on pense que le morveux veut aller « vers la généralisation du service national universel en seconde » alors que « né en 1977, il aurait pu faire son service militaire s’il avait vraiment insisté » mais bon heu… comment dire… Brizitte ! Essplique-leur que le roi de la Phronce même avant qu’il est le roi de la Phronce c’est un peu comme les Zuifs ultraordothosques… orthoquos… orquothost… Brizitteuh ! C’est comment qu’on dit pour ces planqués… Briziiiitteuh !!!! Tu m’écoutes ????

12. « Pet v’là l’mono ! »

Avant-hier soir, à l’audition publique chez Chappell, je suis pas passé inaperçu avec ma boule à zéro ! Au pays des merveilles de Mike Brant et Michel Sardou, les dégaines d’évadés d’Alcatraz c’est pas pour tout de suite ! Rebelote hier matin dans le train vers Blois et sa caserne 3 étoiles. Faut les comprendre, mes co-convoqués aux « trois jours ». On les extrait de leur zone d’inconfort post pubertaire pour les embarquer dans un délire néopatriolithique qui pendant douze longs mois va tenter de les sevrer de leurs pattes d’eph et leur coupe mulet. Alors le mec qui ramène son crâne rasé et cause à personne, on a pas envie de lui taper dans le dos. Excellent pour la parano ! Autant ça m’a fait un peu caguer de ruiner mes chances de contrat avec une célèbre maison d’édition musicale parisienne, autant aujourd’hui je me réjouis de constater que ça valait le coup de m’endormir sous la tondeuse.

Faut savoir qu’en 1972, se faire réformer, c’est pas du gâteau. Si t’as pas un mot d’excuse de l’abbé Oraison ou tout autre psy compréhensif (en général beaucoup moins accessible financièrement que le fameux cureton antimilitariste) qui stipule que ton état général t’interdit le port de l’uniforme, les corvées de chiottes et les 50 pompes au réveil, t’es dans la misère. Je suis dans la misère. En parfaite condition physique, plus d’1,55 m (pas de beaucoup), ni pieds plats ni asthme, 10/10 aux deux yeux, question caberlot on vient de m’admettre à la maîtrise d’anglais. C’est pas Polytechnique mais ça aide pas non plus à faire le demeuré sans éveiller les soupçons. Du coup j’ai mis au point une stratégie qui a déjà fonctionné pour d’autres. Elle repose sur le constat que, bizarrement, les allumés se déclarant mandatés par le Tout Puissant pour sauver la France (syndrome Jeanne d’Arc) les instances recruteuses en sont pas friandes. Surtout si, lors de ses tests écrits, Saint Jeannot coche la case « tentatives de suicide ». Étant convenu qu’à la question suivante – « combien ? » – la pucelle d’Orléans réincarnée se laissera pas gagner par la folie des grandeurs et modeste écrira : une.  S’il est de notoriété psychiatrique qu’un suicidé manqué remet ça tôt ou tard, à compter de plus d’une récidive infructueuse le prétendu désespéré bascule dans la catégorie « comique ». Comique troupier en l’occurrence.  

J’ai fait de mon mieux, on aura les résultats demain. En route vers la cantine, je retombe sur l’« agent secret ». Je l’appelle comme ça à cause de son imper remonté jusqu’aux oreilles. Il passe son temps à longer les murs en jetant des regards méfiants aux gens qu’il croise. Alors qu’on se retrouve épaule contre épaule dans le goulet d’entrée, son clin d’œil subreptice me confirme qu’il fait dans la simulation lui aussi. Cool. Dommage que pour le bien de nos impostures respectives il vaille mieux éviter qu’on nous voie ensemble. La table où j’atterris est peuplée de post ados surexcités. Je reconnais celui qui a déclenché une bataille de polochons hier soir dans le dortoir. En entendant les pas du gradé chargé de faire régner le calme dans la volière il a gueulé «  pet ! v’là le mono ! ». Au constat que je touche pas à mon assiette (ça fait partie du plan, rien bouffer, fumer clope sur clope et s’imbiber de caoua pour être au taquet quand – Inch’Allah – mes performances aux tests me conduiront enfin au Graal de l’entretien avec le psy, au cours duquel il me faudra donner le meilleur de moi-même : « Laissez-moi me sacrifier pour mon Cher Pays, qu’un sang impur abreuve nos sillons, putains de cocos, sales viets, enculés d’arabes, vive le Québec libre ! ») le vacancier dans sa tête m’apostrophe, la bouche pleine :

– Tu bouffes pas ? T’es con c’est vachement bon !

Je te file ma part.

– C’est gentil mais moi non plus je n’ai pas très faim. Je me sens un peu barbouillée…

Dame Merteens a parlé d’une voix douce. Elle m’en veut pas de l’avoir tutoyée.

L’ambiance para militaire qui règne aux Jardins Suspendus est sûrement pour quelque chose dans la nouvelle remontée hippocampique dont je viens d’être victime. Pour info on s’en était sorti crème avec l’agent secret. Je nous revois au bistrot de la gare de Blois à nous faire payer des demis par des néo conscrits tout fiérots d’avoir été reconnus « bons pour le service » et d’autant plus compatissants envers les privés de labour au champ d’honneur que nous étions.

Parlant d’agent secret je sens sur moi le regard d’un autre compagnon de route. « Stan » comme l’a appelé le rabbi Lafleur. Stan est assis à l’autre bout de la table. Me voyant le mater en retour il plonge dans ses raviolis aux épinards.

 

à suivre demain, même heure, même endroit