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“MARS 2221, roman”, texte intégral (chap 3: Le Projet, suite et fin)

Je sais, je sais, y a plein de gens qui persistent à narguer le beurre Naout avec le décompte quotidien des malversations du morveux et son gang d’enfumeurs… Ou celles, incomparablement plus immondes et sanglantes des bouchers-charcutiers de Tel-Aviv… Bah qu’est-ce que vous voulez, sur fyr en ce moment on aime mieux se relire « MARS 2221, roman ». Avertissement : la fin du chap 3 se révèle pas mal technique !

 

résumé : le chirurgien Poutine narre au narrateur les tenants et aboutissants de son retour à la conscience.

– Vous n’êtes pas sans savoir que quand les sauveteurs vous extraient des débris de l’aéronef, vous êtes dans un si piteux état que le professeur Marcel n’a d’autre solution que vous placer en animation suspendue. Puis, au constat que votre moelle épinière est irréparablement endommagée, il prend une décision qui, en 2074, constitue une première dans l’histoire de la médecine. Il va isoler votre cerveau, par chance intact, du reste de votre corps et se consacrer dorénavant à la réalisation de ce qu’il baptise le « Projet ». Le professeur mise sur les avancées récentes de chercheurs en « mind uploading » qui estiment réalisable, à court terme, l’informatisation intégrale de la psyché d’un individu. La Docteure Hannah Critchlow, de l’Université de Cambridge, pour ne citer qu’elle, promet la vie éternelle dans un disque dur à quiconque ayant accès à un ordinateur capable de reproduire les 100 trilliards de connections de son encéphale… Qu’à cela ne tienne ! Le professeur Marcel décrète qu’on va le fabriquer, cet ordinateur ! Dès lors, il n’a de cesse d’attirer à la Résidence le nec plus ultra des informaticiens du moment.

À tous les coups la caisse noire de la GAMACON avait dû y passer !

– Hélas, en fait de « court terme », il allait falloir attendre le développement des systèmes ubiquitaires et l’introduction des nanotubes dans les transistors moléculaires pour que l’informatique quantique soit enfin apte à récompenser l’obstination visionnaire du professeur Marcel. Ce n’est qu’en 2170 en effet – savoir près d’un siècle après la tragique disparition du professeur – qu’est enfin mise au point la première machine capable de numériser un cerveau homo sapiens sapiens dans toute sa complexité.

Poutine s’était carré un morceau de baba dans le cornet.

– Les ultimes techts de faijabilité effectués, le département Intelligenche Artifichielle de la Résidence… » – déglutition – « avait créé une copie de sauvegarde de vos données cérébrales … Puis le feu vert avait été donné au Département « Duplication Génique »… Que j’ai l’honneur de diriger.

L’honoré avait marqué un temps d’arrêt.

– Dans la pensée du professeur Marcel, le transfert de votre personnalité aux circuits imprimés d’un ordinateur ne devait être que temporaire. À terme, le contenu du disque dur serait réintroduit au sein d’un système neurovégétatif humain.

Nouvelle pause avant de conclure, finaud :

– Quel support physique était le mieux à même d’héberger le cerveau du Maître que …le Maître en personne ?

Poutine avait tranquillement englouti le reliquat de son assiette en carton avant d’enfourcher son dada de toujours :

– Du vivant du professeur on avait depuis longtemps compris que le noyau de toute cellule vivante pouvait retrouver un état embryonnaire…

Les cellules souches ! M’eût étonné qu’on m’en reparlât pas un jour. J’entendais encore Legrand m’en vanter l’efficacité, touchant à la réparation inespérée de mon hippocampe.

– Les cellules souches ?

Poutine avait hoché la tête.

– Les cellules souches. Donnez-moi le noyau d’une cellule prélevée sur un individu – biostasé ou non – et un ovule énucléé…

Le cador du clonage s’était un instant perdu dans ses pensées avant de revenir à ici et maintenant.

– Lorsqu’à la fin du siècle dernier, je me suis vu confier les rênes du Département «Duplication Génique », les équipes qui s’y étaient succédées avait porté la spécialité à un niveau d’excellence jamais atteint sur Terra…

Pour fêter ça, le gros gourmand avait proposé du rab de baba. Contrairement à Marinella j’avais poliment décliné. Mon estogomme était en rodage.

– Toutefois, à l’heure de mettre en mugique la phage finale du Projet, un problème demeurait. Et de taille. Chi la duplication de votre entité phygique ne prégentait aucune difficulté d’ordre technique… » – déglutition – « … encore fallait-il que votre cerveau cloné restât parfaitement vierge ! Au moins jusqu’à vos 25 ans, âge où les dernières connexions neuronales se mettent en place.

Emporté par son raisonnement scientifique, Poutine s’était enfourné une dernière mastra portion de gâteau.

– …Alors cheulement cherait-il pochible de prochéder au tranchfert… » – déglutition – « … de la copie de sauvegarde de votre psyché originelle.

Le chirurgien avait balancé la cuillère en plastoc dans sa mangeoire vide. Avant de porter la coupe de champagne à hauteur de ses lèvres.

– Une contrainte qui ne devait en aucune façon affecter le développement de votre enveloppe charnelle…

La coupe était restée quelques secondes en suspens. Le temps pour le chirurgien Poutine d’esquisser un sourire modeste, presque sincère.

– …J’avoue avoir connu le bonheur ineffable de superviser la conception et la réalisation du sarcophage matriciel qui, en ce jour glorieux, vous …rend à vous-même ! Prosit !

 

la suite demain

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 3 : Le Projet)

En ce moment on peut dire qu’à moins de fermer les yeux et se boucher les oreilles, garder le moral relève de l’inatteignable. Une bouée de sauvetage : la lecture. Bon weekend sur MARS 2221, roman !

 

résumé : lire les 2 premiers chapitres

3.Le Projet

 …Sachant que cette fois ça sortait pas d’un photomaton… Que c’était ma vraie teutê dans un putain de miroir !

Je m’étais palpé à travers le pyjama. J’ai jamais été spécialement musclé (à part les cuisses et les mollets à cause du foot) mais sentir sous mes doigts la tiédeur élastique de mes biceps, de mes pectoraux, ça faisait super drôle.

– Je peux me lever ?

– Je vous en prie, Maître.

– C’est vraiment indispensable de continuer à m’appeler comme ça ? D’après Legrand y a de fortes chances que j’aie laissé ma « maîtrise » avec le reste en forêt de Fontainebleau.

– Dans son Projet le professeur Marcel ne vous mentionne pas autrement. Et avec quelle déférente affection ! Tenez, laissez-moi vous lire un passage qui fait référence à…

Pitié ! J’avais eu ma dose de citations marcelliennes avec Legrand.

– Heu non merci. Je vous crois sur parole.

Je m’étais mis debout. Ça aussi ça faisait drôle ! J’avais risqué quelques mouvements d’assouplissement.

– Sans indiscrétion on est en quelle année ?

– Nous sommes en 2221, Maître. Le 9 février 2221.

Je m’étais figé dans mes flexions-extensions.

– Vous déconnez ? On s’est crashé le 31 août 2074 ! Legrand disait que… Ça fait combien de temps qu’il est clamecé, le fumier ?

– Omar Boushaki fut relaxé au bénéfice du doute en 2094. Le drame ayant eu lieu quelques années plus tôt…

Omar « Robert » s’en était tiré ??? J’étais content pour lui. Sinon j’avais pris plus d’un siècle le temps de le dire !

Craignant peut-être une nouvelle attaque, Poutine s’était empressé d’insister.

– Le 9 février, Maître ! Le 9 février ! Nous nous sommes efforcés de faire coïncider votre retour dans le monde réel avec… Marinella ! Le baba !

L’infirmière hors champ, Poutine avait justifié son choix de gâteau d’anniversaire.

– Les notes du professeur Marcel ne sont pas avares de détails sur vos préférences alimentaires. Jamais de viande, une préférence marquée pour les pommes de terre et le riz, les fruits n’ont pas votre faveur… Une raison à cette aversion ?

– Mon grand-père maternel affirmait que les fruits sont pas stomachiques. J’honore sa mémoire.

– Pas « stomachiques » ? Tiens donc ! Ah oui ! Nous avons longuement hésité sur le nombre de bougies : 28 ou 269 ? L’âge de votre corps actuel ou celui du contenu de votre cerveau ? Je dis bien de son contenu car votre cerveau est du même âge que le reste de votre corps, cela va de soi !

– Cela va de soi.

Le chirurgien allait se lancer dans un résumé des épisodes que j’avais ratés quand Marinella s’était repointée avec le baba au rhum planté de 28 bougies. Dans la chambre encombrée d’un tas d’appareils barbares il restait juste assez de place pour déplier un genre de table et trois tabourets de camping. J’avais eu droit à l’increvable « ♫ Happy Birthday to you ♫ » en anglais dans le texte avant de passer haut la main le test du soufflage de bougies. Rassuré sur le bon fonctionnement de mes poums, Poutine avait découpé le baba et fait tourner. Ensuite seulement il y était allé de sa remise à niveau.

 

la suite demain

 

“MARS 2221, roman”, texte intégral (chap 2, suite et fin)

On peut être et pas avoir été. C’est selon.

résumé : le chirurgien Poutine vient de réveiller le narrateur. Qu’il soumet à une petite gymnastique d’échauffement…

 

– Je constate avec plaisir que votre sens de l’humour n’a pas souffert du transfert. Bien. Le gauche maintenant. Parfait. Tournez la tête, voulez-vous ? Vers la droite… Lentement… Vers la gauche… Excellent. Pas de sensation de vertige ?

– Pas la moindre.

Legrand aurait été bien en peine de me demander de me livrer à ces exercices !

– Marinella, soyez gentille de nous trouver un miroir. J’aimerais avoir l’avis du Maître sur son visage tout neuf.

Marinella était allée fouiller dans sa trousse de maquillage. Poutine m’avait carré le petit rectangle réfléchissant sous le menton.

Paris 1981, du côté des Champs Élysées, direction artistique RCA Victor, bureau de Bob Socquet. Mon éditeur, Christian de Ronceray, pote de Bob, lui a soutiré un contrat de licence inespéré pour mézigue. On a fait la balade à pied depuis la rue Marbeuf qui, en attendant sa une au journal de 20 heures l’année suivante – attentat à la bombe, un mort et une soixantaine de blessés – se contente pour l’instant d’abriter le siège de You You Music. Il s’agit de régler les ultimes détails de la sortie imminente de mon squeud.

J’ai ramé pour en arriver là ! Une après-midi entière à squatter le téléphone de mes darons (à Janville on l’a pas, le téléphone). Des dizaines et des dizaines d’appels à tout ce qui touche de près ou de loin à l’industrie du disque parisienne. Râteau sur râteau, joint sur joint pour pas craquer et vers le soir le miracle s’était produit.

– Franchement, sur la tête de Bernard Hinault et la prostate de François Mitterrand ou le contraire, c’est le meilleur morceau que vous ayez jamais entendu de toute votre vie sédentaire et trop souvent ingrate, Monsieur le Directeur. Un tube pareil, ma parole vous allez pas…

– Arrête ton cirque et passe me faire écouter.

Un mec bien, Christian de Ronceray. Sa dernière réussite en date c’est Michel Jonasz, « Les vacances au bord de la mer ». Quand j’avais débarqué, le contrat traînait encore sur le bureau de Nicole, la secrétaire toujours souriante. La signature de Jonasz on aurait dit un caca de mouche constipée. Ma maquette avait plu à Christian. Il m’avait branché sur le petit studio 12 pistes qui lui fait des prix d’amis. « Laguna ». L’ingé son c‘est Alain Pype, son boxer mutant c’est Kaya. Deux nuits de dur labeur – Kurt à la roulite aigüe, Pype au ferroviaire revigorant savamment dosé – et les productions « Chère Crainte » étaient fières d’annoncer la naissance de « Titanic », LE 45t ! Restait à concocter une pochette. Que je dépose délicatement sur le bureau de Bob Socquet.

Quand on est entré, Bob était en conversation avec Alain Souchon. Bob a fait les présentations. Plutôt sympa, Souchon. Pas bêcheur, à la nouvelle que je file des cours de piano, il m’a demandé de sa voix de colvert enrhumé au sortir d’une cartouche dans le cul si je voulais pas lui en donner.

– Cin me ferint pas de minl, hein Bamb ?

Bamb, ses paupières on dirait des papillons de nuit pris dans les phares d’un tracteur.

– Elle fait mal aux yeux ta pochette.

Faut dire, avec Denis, graphiste d’art égaré dans la réclame, on avait mis le paquet. Une pluie battante de « TITANIC…DES HEURES…TITANIC…DES HEURES… » grise sur fond noir avec, perdu dans les zébrures, un carré photomaton de ma tronche… Celle-là même qui venait de m’apparaître dans le mini miroir du chirurgien Poutine.

– Tout va bien Maître ? Marinella, un grand verre d’eau s’il vous plaît !

– Q…Quelque chose de plus c…costaud si vous avez.

Du vieux fripé de ma carte d’identité de 2025 au beau gosse sur le perron de l’Élysée cinquante ans plus tard, en passant par l’espèce de momie soufflant ses 120 bougies en première page du New York Times, les clichés de moi que Legrand m’avait montrés dataient d’une période effacée de ma mémoire. D’où mon manque d’intérêt. Alors que là ! Me revoir à 28 balais, comme ça, sans préavis…

 

la suite demain…

 

 

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 2)

D’accord, la bonne littérature c’est pas fait que pour rigoler mais un peu quand même.

 

  1. La Résidence

 

 Anthéa et moi on se connaît du dôme de la Résidence. On s’est fait la malle de ce repaire de dingos ensemble.

La Résidence est une clinique privée sur Terra. Devenue, au fil du temps, une cité autonome dont l’économie florissante repose officiellement sur des activités hospitalo-universitaires. Une façon comme une autre d’échapper à l’impôt. Comparé à des institutions quasi médiévales comme l’Hôtel-Dieu ou la Pitié Salpêtrière, la Résidence pourrait passer pour récente mais ça fait quand même pas loin de deux siècles que la médecine y progresse à pas de géant. À l’entrée, perché sur un genre d’obélisque, façon le génie de la Bastille en un peu moins haut, le buste du professeur Jean-Louis Marcel (2007-2077), père fondateur de la clinique. Comme m’avait expliqué cette vérole de Legrand, le professeur Marcel porte sa part de responsabilité dans quantité d’aléas, revers et incidents de parcours ayant failli avoir raison de mon intégrité physique et mentale. D’un autre côté, force est d’admettre que le dernier en date (le crash du dirigeable) m’eût été fatal sans le « projet » par lui mis en place pour rattraper le coup. C’est juste qu’il se montrait singulièrement optimiste quant aux délais nécessaires à son aboutissement, le bon professeur Marcel. Quand j’avais émergé d’un de ces mini comas réparateurs engendrés conjointement par le baratin soporifique de Legrand et les injections de son infirmière-chef, la poitrine généreuse qui me balayait le museau n’était plus celle de Mathilde Pelletier.

– Professeur, je crois qu’il se réveille.

Professeur ? Legrand avait pris du galon ? Il devait bicher. Il allait pouvoir se payer une nouvelle virée au Machu Picchu avec Minerva et sa « distinction » légendaire ! Mais attends… Il était cané Daktari !!! Son joli trou au milieu du front je l’avais pas rêvé ! La vengeance de « Robert » ! Qu’est-ce qu…

– Bonjour Maître. Comment vous sentez-vous ce matin ?

Le monsieur que la paire de flotteurs avaient appelé « professeur » se penchait à son tour sur mon cas. C’était pas Legrand.

– Je suis le chirurgien Poutine. En mon nom personnel et celui du Conseil d’Administration de la Résidence, laissez-moi vous souhaiter un heureux retour à la conscience. Mon bonheur est immense de constater que les efforts inlassables de plusieurs générations de chercheurs n’ont pas été vains. Le professeur Marcel était décidément un grand visionnaire. Son Projet s’avère une réussite absolue. Qu’à notre immense fierté, il nous ait été octroyé le privilège d’y apporter la touche finale, mes assistants et moi-même n’en concevons que peu de mérite. En fait il suffisait d’attendre que mécanique fractale et nano informatique atteignent l’excellence nécessaire à la cartographie d’un cerveau humain pour entamer le processus de duplication de votre support physique…

– Poutine ? Comme le dictateur russe ? Le pote de Bachar-le-Sanglant ? Le compagnon de route des ayatollahs déjantés ? L’apôtre des colonies pénitentiaires, de la chasse aux tchétchènes « jusque sur leur chiottes », le chantre de la persécution des LGBT, le pourfendeur de l’homoparentalité et  tout ça ?

– Comme le dictateur. Mais rassurez-vous, en huit ou neuf générations le gène de l’autoritarisme consubstantiel à Deduchka Vlad a eu tout le temps d’évacuer mon ADN. C’est dénué de toute intention nuisible à votre statut d’homme libre que je vais vous demander de lever le bras droit…

– No problemo. Je jure de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Miss Roploplos s’était bidonnée.

 

la suite завтра…


“MARS 2221, roman”, version intégrale (chap1, suite et fin)

Pendant que Michel Barniais consulte de fou et que le boucher de Gaza investit dans les télécoms de la mort, on continue à bouquiner oklm.

 

résumé : au sortir de l’underspeed, le narrateur bascule dans son passé…

Débordants d’humour. Bon mais voilà qu’on a plus rien à méfu et ça c’est moins humoristique. Nos fournisseurs attitrés sont tous partis en vacances. On a pu joindre l’un d’entre eux au téléphone. Compréhensif il a bien voulu appeler son grossiste parisien qui, coup de bol, est encore actif pour quelques jours. Pique-nique-douille c’est toi l’andouille, Maryvonne et moi avons été chargés d’aller faire les commissions pour tout le monde. On a donc pris le train. Un « semi-direct ». Comprendre : tu te farcis toutes les gares de Lardy (y a pas de gare à Janville) à Juvisy et, à partir de Juvisy, tous les ralentissements et arrêts impromptus autant qu’inexpliqués jusqu’à Austerlitz.

En règle générale quand je retourne à Paris (où j’ai vécu mes années d’étudiant d’opérette) je descends à « Pont-St Michel ». Le Quartier Latin, tout ça… Bon mais vu que notre contact officie dans le 15ème, on s’est fait Auster. Ensuite métro jusque « Place d’Italie » où on a attrapé la ligne 6 « Nation-Étoile ». Période estivale, plein après-midi, on a pu s’asseoir. Au téléphone, le gonze nous avait expliqué qu’au sortir du métro Cambronne, faudrait enquiller une petite impasse discrète, juste de l’autre côté du boulevard Garibaldi. On a trouvé l’immeuble sans problème, grimpé les quatre étages. Super cool, le keum nous a payé un thé autour duquel nous avons goûté à la marchandise. Et regoûté pour être sûr. Et bah reregoûté afin de dissiper le moindre doute. Entre deux taffes, notre hôte nous a dit que pour regagner Austerlitz valait mieux prendre par la station Ségur. La ligne 10 nous épargnerait le changement. On est suffisamment changé comme ça. En bien. A travers mon T-shirt je caresse avec tendresse la plaquette glissée dans ma ceinture : 100 g de clairet marocain. On va faire des heureux en rentrant à Janv’. La rue Pérignon est bien où le mec a dit, la bouche de métro pareil. « Ségur » ! Comme petite fille modèle, elle se pose là, Maryvonne ! On débarque sur le quai au moment où une rame débouche du tunnel. Le conducteur a l’air dégoûté de la vie. Les portières aussi. Elles lâchent un « pffff ! » désabusé avant de renouveler leur chargement de zombies. Ils ont cru et multiplié pendant qu’on faisait nos petites affaires. Ça sort du bureau. C’est pressé de rentrer s’affaler devant la télé. Se friter avec bobonne. Ou bobon. Bobon caramel esquimau chocolat ♫ ce sont les mamelles de Lollobrigida ♫. Top chichon je vous dis ! On monte. Les portes se referment. Cette fois pas moyen de poser un cul, fusse sur un strap. Le conducteur dépressif, les virages il s’en cogne. À quoi bon ralentir ? Plus vite il sera au terminus, plus vite il pourra repartir dans l’autre sens. Et recommencer le lendemain. Et le surlendemain. Jusqu’à la retraite, précoce, à la RATP on est vieux de bonne heure. Dans la vitre je mate Maryvonne. Elle a fermé les yeux, stoïque. Sa main dérape sans arrêt le long de la barre. Elle la remonte. Jusqu’à toucher celle du gros monsieur luisant de transpiration. Berk, elle la redescend dare-dare. Une dernière courbe serrée qui plaque tout le monde contre tout le monde. Le conducteur écrase les freins. Dehors la lumière blafarde de la station remplace l’obscurité du tunnel. Dans la vitre des tronches nouvelles remplacent nos reflets entassés. Des tronches qui veulent monter nous rejoindre. Mais elles ont beau s’acharner sur la chevillette, la bobinette refuse de choir. Les portes sont bloquées. Des choses qui arrivent. Fallait pas inventer les portes. À l’intérieur aussi on s’impatiente. Je me retourne vers Maryvonne. Elle a rouvert les yeux. D’un seul coup la voilà qui se met à rigoler. Tout le monde fait la gueule, ronchonne, bougonne, crachote, rouspète, pète, perd son calme. Maryvonne se fend la poire. Je la vois agiter la tête de haut en bas. Comme dans une manif, quand on scande un truc. Sa bouche fait « U  », fait « O  », « U » ! « O » ! « U » ! « O » !  Je comprends pas. Elle me désigne quelque chose sur le quai. Là-haut, à l’aplomb des morts-vivants dépités. Le nom de la station, c’est ça ? « Duroc » ? Duroc… Du…

– Du rock ! Du rock !

– Tu crois que c’est le moment de nous gaver avec ta zique de retardé ?

Ignorant délibérément les effets secondaires potentiels d’une remontée hippocampique, Anthéa me pousse sur le quai.

 

la suite tomorrow…