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« MARS 2221 » (chap 9 : Anthéa (2), suite et fin)

Vous voulez que je vous dise (les Club Médiapartiens par la barbichette en particulier) ? Le gonze qui a écrit «  MARS 2221, roman », c’est un bon. Et celui qui a bricolé cette illustration, il est pas mauvais non plus. Ah c’est le même ? M’étonne pas.

résumé :  le narrateur retrouve Anthéa au concert du kiosque de la Résidence.

Anthéa survolait ses congénères d’une bonne demi-tête. Quand la bande était passée à portée je m’étais signalé, sucrant généreusement mon T-shirt noir (avec un nœud pap’ rose imprimé sous le menton, ça revenait à la mode). M’ayant calculé, Anthéa s’était extraite du groupe. « On se revoit sur le ring », je l’avais entendue dire à ses petits camarades.

– Ça sent bon ce que tu manges. Tu fais goûter ?

Je lui avais tendu ma gaufre. Elle s’était penchée pour mordre dedans. J’avais senti ses cheveux caresser mon oreille.

– Mmmm, nice.

– Je t’en offre une ?

– Merchi, pas avant de danser ça va m’alourdir… Tu as testé le ring ?

– Le ring ?

Sa parole mais d’où je sortais ? 28 balais, toujours pas intégré, voilà que je savais pas non plus ce qu’était un ring ! La bouche encore pleine, je l’avais suivie jusqu’au kiosque. Alors seulement avais-je remarqué que les boots à hauts talons du DJ touchaient pas le sol. Bowie était un hologramme !  Par contre sa musique silencieuse c’était par les pieds justement que les danseurs la captaient !!! En rigolant comme une bossue de ma stupéfaction, Anthéa m’avait entraîné sur le fameux ring. Large de cinq à six mètres, il faisait le tour du kiosque, d’où son nom. À peine j’avais posé le pied dessus que les basses profondes d’un disco alien – synthèse improbable entre les chants sacrés du Tibet, les roucoulades des soprani milanaises et les chœurs de l’Armée Rouge – avaient pris possession de mon corps.

Je vivais ma première expérience ostéophonique. J’avais lu quelque part que Louis du Champ de Betteraves (c’est vrai que ça sonne mieux en allemand), devenu sourd et désireux de continuer à entendre la musique qu’il écrivait, avait eu recours à une tige conductrice allant de son piano à ses dents afin que les vibrations ressenties par sa mâchoire l’aident à compenser son fâcheux handicap. À la différence du compositeur de la Pastorale, moi c’était par le gros orteil puis les os de la jambe et la colonne vertébrale que la rythmique endiablée du DJ hologrammatique remontait jusqu’à mon oreille interne.

Anthéa rouvre les yeux et s’étire. Voyant que je la regarde, elle me fait une grimace. Aussi dur qu’elle essaie, elle réussira jamais à pas être belle. La nuit du concert silencieux, elle m’avait ramené chez elle. On avait pas dormi des masses.

à suivre, demain au plus tard

« MARS 2221 » (chap 9 : Anthéa (2))

Hier j’expliquais aux murs qu’il y avait toujours moyen de s’améliorer. Je croyais pas si bien dire. Tout à l’heure en relisant l’extrait que je poste aujourd’hui (« ojardui » en France-Culturien), voilà que je tombe sur ma hantise toutes catégories : la faute d’orthographe du  branleur  parfait. Les murs vérifieront par eux–mêmes. Sur la copie officielle de «  MARS 2221, roman », chap 9 : Anthéa (2), j’ai écrit et fait imprimer « à cause du martyr que leurs prédécesseurs avaient enduré ». J’ai pas le temps de m’étendre because 8 stères à tasser avant le retour des pluies prévu pour dimanche mais franchement je sais plus où m’en mettre ! Bien sûr j’ai corrigé aussi sec. En acte de contrition, j’ai même apporté quelques améliorations au texte original qui auraient certainement plu à Edmond de Goncourt.

Bonne lecture !

9. Anthéa (2)

 En un siècle et demi, la clinique du professeur Marcel avait troqué une à une ses élégantes constructions en meulière – dont la « demeure luxueusement dépouillée » que le professeur avait fait édifier pour le plus grand confort de son « guide spirituel » (toujours pas lu Hippocampe Twist, les loulous ?) – contre des tours aux profils élancés et néanmoins lugubres. Leurs antennes tutoyaient le dôme translucide de la cité autonome au sein de laquelle des cadres supérieurs en blouse blanche occupaient leurs journées à déchiffrer les mystères de la vie, les bidouillant en cas de besoin, pour la plus grande gloire de la Science. Des cadres supérieurs docteurs, professeurs, chirurgiens secondés par une kyrielle d’encadrés jongleurs d’éprouvettes, pianoteurs de claviers, scruteurs d’écrans.

Lors de mes balades autour du studio standing avec vue sur le parc dont Poutine m’avait remis la clé au jour de ma résurrection, je m’efforçais d’éviter la boucherie-charcuterie de la tour « Physiologie Comparée ». Qui dit « recherche expérimentale » dit « sujets d’expérimentation ». Le département « Physiologie Comparée » en faisait une consommation quotidienne, de ces infortunés mammifères. Aboiements désespérés, miaulements indicibles, hurlements de chimpanzés à bout de souffrance incrédule montaient parfois d’une fenêtre laissée ouverte par inadvertance. Je ressentais un sentiment de honte insondable à la pensée que si j’étais là pour les entendre, c’était en partie à cause du martyre que leurs prédécesseurs avaient enduré.

À l’inverse, le kiosque à musique était une de mes destinations préférées. Si son toit octogonal en zinc posé sur des piliers finement ciselés avait existé du temps de Marcel, je m’en serais souvenu. La nuit était tombée. Impatient et ému comme un collégien à l’idée de revoir Anthéa, je m’étais frayé un passage entre les massifs de cornouillers. Il y avait foule autour du kiosque. Sous lequel un jeune mec dont la dégaine évoquait Bowie période « Ziggy Stardust » tortillait du cul, tirant et poussant une myriade de commandes lumineuses piquées comme des clous de girofles sur une sphère en apesanteur. D’accord y aurait pas eu la place pour le London Royal Philharmonic mais là, un simple DJ, aussi sexy fût-il, j’étais un peu déçu… Et le public ? Il dansait sur quoi, le public ? J’entendais pas de musique ! Bah ce devait être un genre d’échauffement, un peu comme les enshortés de la Champions League avant le remplacement tant espéré… Parmi eux aucune trace d’Anthéa. Un food-truck était stationné un peu plus loin. Je m’étais dit que je craquerais bien pour une gaufre de consolation. Aussitôt dit aussitôt fait. J’étais occupé à en épousseter le trop plein de sucre glace quand une bande d’allumés à crêtes multicolores et maquillages outranciers avaient fait leur apparition à l’entrée du square.

 

la suite demain sans faute

« MARS 2221 », (chap 8 : Anthéa (1), suite et fin) feat Edmond de Goncourt

 

Ouin 🙁 Depuis que je leur livre «  MARS 2221, roman » à domicile, prédécoupé et tout, les Médiapartien(ne)s me lâchent plus le moindre « recommander » (« commander » me suffirait  en fait). Sont quand même pas tous libraires indépendant(e)s de leur volonté, les Médiapartien(ne)s ? Si ? Bah c’est pas bien grave. Mon idée de départ c’est de relire un roman « qu’il est drôlement bien torché même que c’est moi qu’il l’a écrit » comme on dit sur France Culture. Et vu que je suis d’un naturel partageux autant que fervent partisan de la gratuité en toute chose… En plus j’en profite pour réécrire certains passages… On peut toujours  mieux faire ! Même Edmond Goncourt il aurait pu dû essayer de mieux faire, des fois. Prenons une phrase au hasard d’un de ses nombreux chefs-d’œuvre hélas tombés dans l’oubli pendant que sa fondation, à son frérot et à cézigue, pète les scores. Je vous la remémore :

« Cette invitation est une ravissante petite carte 1, au haut 2 de laquelle danse un couple 3, aux 4 sons d’un orchestre mêlé au 5 monde d’un salon 6, 7 éclairé à giorno 8. »

1 l’ adjectif placé avant le nom ? On frôle l’anglicisme, Ed !

2 « au haut » ? phonétiquement c’est plutôt avant-gardiste non ?

3 le verbe qui précède le sujet ? T’es sûr que ça s’impose sur ce coup-là ?

4, 5  « Que de au(x) ! » comme le maréchal de Mac Mahon se serait (presqu’) exclamé devant les crues de la Garonne.

6  « les sons d’un orchestre mêlé au monde d’un salon » ? Surréaliste avant l’heure de mixer ouie et vue de la sorte, quoiqu’on y gagne pas en compréhension !

la virgule qui sème le doute : qu’est-ce qu’on éclaire « à giorno » dans ton histoire, Edmond ? Le couple, l’orchestre, le monde du salon, le salon lui-même ? Mais, dans cette dernière hypothèse, pourquoi la virgule ?

8  En italien dans le texte (sauf l’accent sur le « a », Eddy ! Bah, te connaissant, tu avais pressenti la réforme de l’orthographe de 1990).

Si l’idée d’un texte aussi génial m’avait jamais effleuré, j’aurais opté pour une version du genre :

« Cette invitation est une petite carte ravissante en haut de laquelle un couple danse. Les membres de l’orchestre se mêlent au monde du salon, sous un éclairage a giorno. » Mais bon…

Tiens, une prochaine fois on essaiera de tirer quelque chose de la prose de Michel Onfray de la princesse. Ou bien – mais là faut avoir fumé et pas que du haschich – celle de BHL de poulet !

Là tout de suite on avance dans « MARS 2221, roman ».

résumé : le narrateur se remémore sa rencontre avec Anthéa.

Anthéa, la première fois que je l’ai vue, c’était dans la salle d’attente du cabinet de consultation du chirurgien Poutine. En train de dormir pareil. Un reader gisait à ses pieds, encore allumé. Je l’avais ramassé, éteint et, avant de m’asseoir à mon tour, déposé sur la table avec les autres. Réveillant la dormeuse. Dont les paupières s’étaient ouvertes sur deux lagons bleu turquoise. Dans lesquels j’avais plongé direct.

– Oh merci. Il a dû me glisser des mains… Ces somnifères devraient être remboursés par la Sécu.

– J’avoue. Le docteur Frankenstein a pris du retard dans ses rencards, on dirait !

– Le docteur Frankenstein ?

Ma vanne était tombée à plat. Comment cette jeune personne – je lui donnais pas plus de 18 ans – aurait eu vent d’un roman vieux de quatre siècles, aussi génial soit-il ?

– Poutine. C’est pas avec lui que vous avez rendez-vous ?

– Si hélas !

Les coups de foudre, c’est l’histoire de ma vie sentimentale. Et voilà qu’à 269 ans passés je remettais le couvert. Anthéa m’avait souri, indulgente. Elle devait avoir l’habitude d’électrocuter les gens.

– Ne restez pas debout, ça m’épuise.

Je m’étais posé à côté d’elle. Sa voix rauque, traînante hésitait entre Lauren Bacall et John Malkovich (toutes mes excuses au lecteur du 23ème siècle, là encore mes références datent un peu). Anthéa tapait le mètre quatre-vingt sans problème. Seul son visage le rangeait dans le camp des filles. Et encore. Sous le maquillage discret, une mâchoire inférieure à la Michel Vaillant s’en venait semer le doute. Elle avait froncé les sourcils.

– C’est marrant je ne vous ai jamais croisé dans la Résidence. Vous êtes un clone, vous aussi ?

– Ça se voit tant que ça ?

J’avais arboré un air penaud.

– Ha ha, le prends pas mal ! Au contraire, c’est un compliment ! On va se tutoyer ok ?

– Ça me ferait plaisir.

– Eh ben je sais pas si t’as remarqué, la plupart des VO qui circulent dans le coin, on dirait des zombies. Sans parler de leur haleine… Paraît que l’intello moyen n’est jamais très copain avec son système digestif… Bref t’es pas comme eux, c’est cool.

Les « VO » ! Je m’étais marré.

– …Heureusement j’en ai plus pour longtemps à supporter ces ulcéreux congénitaux. La dernière fois, Poutine m’a dit qu’on allait bientôt pouvoir me lâcher dans la nature. Il a beau dire que dehors c’est pas la fête tous les jours, j’ai hâte.

Merde, elle allait se casser !

– Tu…  Tu vas t’en aller ? Quitter la Résidence ?

Re froncement de sourcils.

– Bah c’est pas encore fait. Les tests d’« intégration psycho sociale » c’est tout sauf une formalité. T’en sais quelque chose, non ? T’as quel âge, sans indiscrétion ?

– Vingt-huit.

Je m’étais senti piquer un fard. Je mentais pas sur l’âge que Poutine m’avait donné, sauf qu’à bien y réfléchir j’étais rien qu’un vieux dégueulasse de 269 balais en train de tirer des plans sur une mineure ou assimilée.

Elle avait secoué la tête, délogeant une boucle de ses cheveux platine, coupés au carré. Par chance, la paire de loches qui s’était alors pointée dans l’entrebâillement de la porte du cabinet de consultation m’avait dispensé de fastidieux éclaircissements.

Marinella rafistolait son chignon, une épingle dans une main, une autre entre les dents. Son rouge à lèvres avait grand besoin d’un raccord.

– Anfhéa ? le chirurgien Poufine est prêt à te refevoir.

« Anfhéa » s’était levée sans précipitation. Avant de filer le train de l’assistante en cours de ravaudage elle s’était retournée et m’avait lâché, désinvolte :

– Il y a un concert au kiosque ce soir. J’irai certainement faire un tour…

 

à suivre demain

Bon lundi + « MARS 2221 », texte intégral (chap 8 : Anthéa (1))

À l’heure où Robert Doisneau immortalisait le trou des Halles, qui mieux que Cloclo savait célébrer les joies du lundi, au soleil tant qu’à faire ? Ce timbre sauvagement nasillard ! En partie(s) dû au port du moule-boules (= « nom masculin invariant en nombre: Slip ou pantalon tellement serré qu’il met en évidence les parties génitales ») télévisuellement incontournable en ces années glorieuses. Sur une ligne mélodique génialement insignifiante, ces lyrics d’une suave débilité !  « ♫ Regarde ta montre, il est déjà huit heures /♫ Embrassons-nous tendrement /♫ Un taxi t’emporte, tu t’en vas mon cœur /♫ Parmi ces milliers de gens ». Bon lundi, les enfants de la patrie ! En prime, la suite de «   MARS 2221, roman» …

 8. Anthéa (1)

 – Drone autonome de sécurité aérienne DASA 13-45FX09. Veuillez décliner les raisons de votre présence statique dans le périmètre rapproché des Jardins Suspendus.

– Mon épouse, mes compagnons et moi sollicitons de votre hiérarchie l’examen bienveillant d’une requête en protection temporaire assortie d’une offre de contrepartie active.

Le petit homme serre sa femme contre lui. Il a débité sa demande d’embauche d’une seule traite. C’est pas sa première depuis leur arrivée sur Mars. Pendant que je roupillais, Anthéa a bavardé avec Cyrus Meertens. Il est Belge. Les Meertens exploitaient une petite scierie au sud d’Anvers avant que le nord de la Belgique disparaisse sous les eaux avec leur scierie.

Le béret lui répond du tac au tac.

– Veuillez me suivre tous les cinq.

Comme en Galilée les rois mages l’étoile du berger, on suit le drone le long du haut mur d’enceinte jusqu’à la grille d’entrée des Jardins. Et là j’hallucine : Beaubourg ! « Notre Dame des Tuyaux », comme ricanaient les détracteurs de la construction ultra futuriste poussée comme un champignon au cœur du Paris des années 1970. Le nom officiel de l’usine à gaz en question c’était « Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou » mais on disait « Beaubourg » en référence au plateau Beaubourg, le terrain plus que vague sur lequel elle avait été érigée. Riverain de Beaubourg en construction, à l’emplacement des Halles détruites il en restait un méga trou qui faisait marrer les passants. Eh ben les Jardins, si on les a pas encore vus c’est que, non seulement ils sont planqués derrière un mur d’une hauteur conséquente mais leurs niveaux inférieurs plongent loin dans le sol. Sûrement pour éviter que ceux du haut se cognent la tête dans le dôme qui chapeaute l’espèce de cathédrale transparente qui m’a tout de suite fait penser à Beaubourg.

Parce que Beaubourg c’était pas que des tuyaux. C’était aussi du verre. Six niveaux de cloisons vitrées maintenues en place par des barres de fer. On aurait dit que, le boulot torché, les ouvriers s’étaient cassés sans remballer leurs échafaudages. Question vitrage, les Jardins sont pas en reste. Tout comme les mickeys supposément artistiques exposés à Beaubourg jouissaient d’un éclairage naturel incomparable, les fruits et légumes cultivés aux Jardins Suspendus, mille-feuille d’une surface totale de quatre ou cinq terrains de foot, aménagé pile sous un puits de lumière, peuvent pas rêver d’un meilleur ensoleillement. Et le soir – comme ce soir – des millions de leds prennent le relais. Noël avant l’heure !

Le béret se fend d’une salve de couinements de souris à l’intention de la boîte de conserve obèse en lévitation devant le poste de garde. Le bot adipeux nous scanne de haut en bas avant de nous autoriser à passer l’entrée et nous diriger sur le hall d’accueil. Là on est pris en charge par une grande meuf à l’air pincé. Elle est hôtesse diplômée, pas assistante sociale, non mais sans blague ! Dans un sursaut de solidarité humaine, elle nous autorise malgré tout à poser un cul en attendant que le Département des Admissions statue sur notre cas. Ce qui, à l’en croire, devrait pas être long.

Les fauteuils, disposés en cercle autour d’une table basse encombrée de « readers » – ces revues connectées dans lesquelles, avant de mater un article vaguement intéressant il faut faire défiler une bonne dizaine de pubs débiles – s’annoncent hyper confortables. Je me laisse tomber sur un d’entre eux, face à Anthéa. Elle a déjà fermé les yeux, partie dans une de ces micro siestes qui lui rendent toute son énergie.

la suite demain

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 7 : la PMAL)

 

On se tue à vous le dire ! Bon ce matin j’ai pas le temps de lâcher une nouvelle gerbe sur la politique étrangère d’Israël, le petit état courageux qui fait que se défendre contre les femmes et les enfants de ses méchants voisins – hein BHL de poulet ? – ni sur les viandards candidats au cancer du colon. On passe direct à “ MARS 2221, roman ”  !

   7. La PMAL

Me dites pas que vous rêvez pas. Tout le monde rêve. Seuls 0,38% de fortes têtes prétendent le contraire. Ils auraient, paraît-il, un problème d’« encodage du souvenir à la sortie du sommeil paradoxal ». Quant aux Parkinson, prophètes, rockstars, présidents de la république et assimilés c’est autre chose, ils vivent leurs rêves. Le verrou de sécurité entre leurs pensées et leurs actes a sauté. Le chirurgien Poutine était formel : mes « remontées hippocampiques » à moi, comme il les avait baptisées, ressortaient pas du domaine du rêve. Pas même du rêve éveillé. Du « déjà vu » à l’extrême rigueur, sachant que les recherches menées sur ce phénomène souvent lié à l’épilepsie eussent démontré son absence de rapport avec les aires impliquées dans la mémoire. Nan, selon Poutine, il fallait chercher ailleurs. Un jour il m’avait fait part de sa théorie, me concernant.

– Je dirais qu’en son temps le docteur Legrand a péché par excès de zèle. Soucieux de faire remonter vos souvenirs dans leurs moindres détails, il a en quelque sorte surcompensé vos facultés mnésiques, d’où ces incursions intempestives de votre vie passée dans la présente.

« Excès de zèle » mon cul. Les lecteurs d’Hippocampe Twist savent très bien que l’empressement de Legrand à me remuscler l’hippocampe s’expliquait avant tout par sa volonté obsessionnelle de me faire régurgiter les modalités exactes de la chute de l’étagère. Non content de monnayer mes souvenirs intimes, ce pourri s’était mis dans le crâne de récupérer la formule du « cri du blé ».

– Suite au traitement particulièrement hem… efficace… du docteur Legrand, en contexte de tension ou de stress, que les circonstances extérieures en viennent à présenter une similitude marquée avec une situation dont vous avez gardé l’empreinte mémorielle et vous « basculez ». Vous troquez la réalité objective  contre le fantasme parallèle induit.

Chaque fois que Poutine parlait de « réalité objective », un drôle de sourire laissait entrevoir ses dents jaunies par le tabac. Lui, c’était pas l’étagère qui l’intéressait mais mon nez. Il passait son temps à l’étudier en long, en large et en travers, mon tarbouif. À le radiographier, le scanner, l’imprimer en 3D à différents moments de la journée, continuant à me donner du « Maître » par-ci, du « Maître » par-là.

Les doigts d’Anthéa font des tournicotis avec mes cheveux. Comme s’ils frisaient pas assez comme ça, mes poils de tête ! Je le lui dis. Elle se marre. Nous sentons le camion ralentir. Jusqu’à glisser au pas sur le monorail. On arrive à un nouveau péage. S’ensuit une manip inverse de celle de tout à l’heure. Un volet se lève et le fourgon reprend sa liberté. Nous naviguons de nouveau à un mètre du sol dans un tunnel à deux voies. Soudain dans la lumière du phare, un panneau indicateur : « La Ferrière, 1,5 kms ».

La voix du rabbi nous parvient, plus lasse que jamais. Les trois heures de route non stop y sont pour quelque chose.

– Rassemblez vos affaires, mes amis. Dans cinq minutes je vous largue devant les Jardins.

 

…à suivre dès demain…