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“MARS 2221, roman”, version intégrale (chap1, suite et fin)

Pendant que Michel Barniais consulte de fou et que le boucher de Gaza investit dans les télécoms de la mort, on continue à bouquiner oklm.

 

résumé : au sortir de l’underspeed, le narrateur bascule dans son passé…

Débordants d’humour. Bon mais voilà qu’on a plus rien à méfu et ça c’est moins humoristique. Nos fournisseurs attitrés sont tous partis en vacances. On a pu joindre l’un d’entre eux au téléphone. Compréhensif il a bien voulu appeler son grossiste parisien qui, coup de bol, est encore actif pour quelques jours. Pique-nique-douille c’est toi l’andouille, Maryvonne et moi avons été chargés d’aller faire les commissions pour tout le monde. On a donc pris le train. Un « semi-direct ». Comprendre : tu te farcis toutes les gares de Lardy (y a pas de gare à Janville) à Juvisy et, à partir de Juvisy, tous les ralentissements et arrêts impromptus autant qu’inexpliqués jusqu’à Austerlitz.

En règle générale quand je retourne à Paris (où j’ai vécu mes années d’étudiant d’opérette) je descends à « Pont-St Michel ». Le Quartier Latin, tout ça… Bon mais vu que notre contact officie dans le 15ème, on s’est fait Auster. Ensuite métro jusque « Place d’Italie » où on a attrapé la ligne 6 « Nation-Étoile ». Période estivale, plein après-midi, on a pu s’asseoir. Au téléphone, le gonze nous avait expliqué qu’au sortir du métro Cambronne, faudrait enquiller une petite impasse discrète, juste de l’autre côté du boulevard Garibaldi. On a trouvé l’immeuble sans problème, grimpé les quatre étages. Super cool, le keum nous a payé un thé autour duquel nous avons goûté à la marchandise. Et regoûté pour être sûr. Et bah reregoûté afin de dissiper le moindre doute. Entre deux taffes, notre hôte nous a dit que pour regagner Austerlitz valait mieux prendre par la station Ségur. La ligne 10 nous épargnerait le changement. On est suffisamment changé comme ça. En bien. A travers mon T-shirt je caresse avec tendresse la plaquette glissée dans ma ceinture : 100 g de clairet marocain. On va faire des heureux en rentrant à Janv’. La rue Pérignon est bien où le mec a dit, la bouche de métro pareil. « Ségur » ! Comme petite fille modèle, elle se pose là, Maryvonne ! On débarque sur le quai au moment où une rame débouche du tunnel. Le conducteur a l’air dégoûté de la vie. Les portières aussi. Elles lâchent un « pffff ! » désabusé avant de renouveler leur chargement de zombies. Ils ont cru et multiplié pendant qu’on faisait nos petites affaires. Ça sort du bureau. C’est pressé de rentrer s’affaler devant la télé. Se friter avec bobonne. Ou bobon. Bobon caramel esquimau chocolat ♫ ce sont les mamelles de Lollobrigida ♫. Top chichon je vous dis ! On monte. Les portes se referment. Cette fois pas moyen de poser un cul, fusse sur un strap. Le conducteur dépressif, les virages il s’en cogne. À quoi bon ralentir ? Plus vite il sera au terminus, plus vite il pourra repartir dans l’autre sens. Et recommencer le lendemain. Et le surlendemain. Jusqu’à la retraite, précoce, à la RATP on est vieux de bonne heure. Dans la vitre je mate Maryvonne. Elle a fermé les yeux, stoïque. Sa main dérape sans arrêt le long de la barre. Elle la remonte. Jusqu’à toucher celle du gros monsieur luisant de transpiration. Berk, elle la redescend dare-dare. Une dernière courbe serrée qui plaque tout le monde contre tout le monde. Le conducteur écrase les freins. Dehors la lumière blafarde de la station remplace l’obscurité du tunnel. Dans la vitre des tronches nouvelles remplacent nos reflets entassés. Des tronches qui veulent monter nous rejoindre. Mais elles ont beau s’acharner sur la chevillette, la bobinette refuse de choir. Les portes sont bloquées. Des choses qui arrivent. Fallait pas inventer les portes. À l’intérieur aussi on s’impatiente. Je me retourne vers Maryvonne. Elle a rouvert les yeux. D’un seul coup la voilà qui se met à rigoler. Tout le monde fait la gueule, ronchonne, bougonne, crachote, rouspète, pète, perd son calme. Maryvonne se fend la poire. Je la vois agiter la tête de haut en bas. Comme dans une manif, quand on scande un truc. Sa bouche fait « U  », fait « O  », « U » ! « O » ! « U » ! « O » !  Je comprends pas. Elle me désigne quelque chose sur le quai. Là-haut, à l’aplomb des morts-vivants dépités. Le nom de la station, c’est ça ? « Duroc » ? Duroc… Du…

– Du rock ! Du rock !

– Tu crois que c’est le moment de nous gaver avec ta zique de retardé ?

Ignorant délibérément les effets secondaires potentiels d’une remontée hippocampique, Anthéa me pousse sur le quai.

 

la suite tomorrow…

 

 

“MARS 2221, roman”, version intégrale

Tout à l’heure, allez savoir pourquoi, je me suis dit que je relirais bien « Mars 2221, roman». Même que je me suis répondu : « Quelle bonne idée ! Et si on en faisait profiter les potes de fyr? » (et de Médiapart ;).  Alors ok c’est parti !

 

« Tout dans mes œuvres est issu du sentiment de certitude

que nous appartenons, en fait, à un univers énigmatique. »

René Magritte

 

1.Ouverture

Dès les prémices de ma course intra utérine, quand ont commencé à me parvenir, assourdis et floutés, les goûts et les couleurs imposés aux bipèdes à poil ras par une culture juchrémane moribonde, je me suis posé de graves questions existentielles. Mais mes vieux étaient de braves gens. S’ils avaient choisi de participer à l’effort démographique d’une nation convalescente, qui étais-je pour leur casser la baraque ? Alors ok j’ai pointé mon museau sanguinolent et fripé hors du ventre de maman. En m’efforçant de pas trop lui faire mal. Premier acte de rébellion contre un Créateur de toutes choses qui avait décidé que les mamans enfanteraient dans la douleur. À en croire un de Ses porte-parole auto proclamés, au Créateur de toutes choses, dans la foulée Il avait imaginé qu’« âgées, rassasiées de jours » (c’est le style des porte-parole du Créateur) Ses créatures finiraient par passer l’arme à gauche poliment, sans faire chier. Why not ?  Anthéa aime pas que je dise ça mais mourir a du bon. Après l’effort, le réconfort.

Sauf que dans mon cas on dirait que la grande faucheuse en finit pas de tergiverser. Tenez, en 2074, j’ai réchappé allez savoir comment d’un terrible accident de dirigeable. Le Sage entre les sages, ça vous parle ? Dans le cas contraire je vous recommande la lecture d’Hippocampe Twist. Attention, pas celle d’ « Avoir seize ans au temps des copains » (nan mais quel titre !), compilation pâlotte des réminiscences que le docteur Legrand m’avait soutirées avant de les publier sous un pseudo. Un drôle d’oiseau ce docteur Legrand. Faire son beurre sur le dos d’un patient ! Après avoir buté le monsieur qui lui avait enseigné les ficelles du métier ! Omar (aka « Robert »), le petit copain du professeur Marcel – c’est le nom de la victime – avait pas apprécié. Je le sais parce que j’avais assisté en direct live à l’accomplissement de sa vengeance. Depuis le bocal dans lequel je barbotais. Mon cerveau, je veux dire. Comment ça vous suivez plus ? Lisez Hippocampe Twist, vous recollerez au peloton.

En admettant que vous dégottiez une plateforme de téléchargement encore opérationnelle. Sur Luna peut-être ? Ou ici sur Mars ? Parce que sur Terra c’est mort. Là-bas ils ont perdu le goût de la littérature. Là-bas ils ont d’autres soucis en tête. À ce qui nous a été donné de voir à travers les hublots du « Sun Dancer », Anthéa, mézigue et la centaine de veinards qui avaient pu allonger la monnaie du passage, la planète bleue vire au jaune caca d’oie.

– Square Galileo ! » lâche la voix métallique dans le haut-parleur.

L’underspeed s’immobilise.

– On est arrivé. Bouge tes miches.

Ayant dit, Anthéa détache sa ceinture, se lève et se dirige vers l’ouverture qui vient d’apparaître dans la cloison de la capsule. Je la rejoins. Et tombe en arrêt.

– Oh nooon ! S’il te plaît lapin, on est à la bourre !

Été 1976. Janville-sur-Juine, modeste colonie de banlieusards lointains blottis autour d’une épicerie-bistrot. En bas d’une ruelle, la petite maison aux volets verts dont Marie et moi sommes les heureux locataires jouxte un lavoir à l’ancienne dans lequel, il y a moins d’un mois, on était quatre ou cinq canards hilares à barboter, le croupion à l’air. Pelforth / libanais rouge, un mélange détonnant. Les riverains, habitués à ce genre de happening, nous en avaient pas tenu rigueur. Les filles sont pas des laiderons faut dire. L’un dans l’autre on est une bande de jeunots plutôt sympathiques. Et débordants d’humour. Exemple la grande baraque prétentiarde là-bas au bord de la rivière. Sur son portail haut de trois mètres, les proprios avaient jugé dissuasif de placarder l’image d’un doberman en majesté : « JE MONTE LA GARDE ». Le matin suivant, les passants avaient pu lire sous la profession de foi du clébard, en lettrage plus malhabile, « ET LA PATRONNE ».

 

…la suite demain…