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« MARS 2221, roman » (chap 46 : « Allo c’est Johnny », suite et fin)

résumé : elle a pas la langue dans sa poche, maîtresse Lawü…

– Chez une espèce douée de raison, Däk chéri, l’aberration dont vous parlez n’aurait jamais trouvé d’écho ! Je déclare que, malgré les innombrables tentatives du Conseil des Pierrots pour les amener à évoluer – quelle patience ! – les Terreux ne sont et ne seront jamais à même d’intégrer le concept de « contingence créatrice ». Il suffit pour s’en convaincre d’entendre un de leurs prétendus savants clamer haut et fort que « Dieu  ne joue pas aux dés » ! Grand Pierrot ! Pareille ineptie témoigne chez son auteur de la tragique incompréhension du monde qui l’a inconsidérément engendré ! Qu’en pensez-vous, Anthéa ? Et vous Lapsonami ?

Je constate que j’ai abandonné toute velléité de revenir sur le malentendu touchant à mon état civil. « Lapsonami », « Franck Richard », « Franck-Yvon Richard », «Heffi Grecker», au bout du compte, comme on s’interrogeait déjà au pays des responsables du génocide amérindien, du « San Juan Bautista », d’Hiroshima et du chewing-gum à chlorophylle : « who gives a fuck ? ». Oserais-je vous confier, ami(e) du 23ème siècle, qu’au temps de ma première jeunesse, sur un 45t sorti chez Phonogram – parenthèse presque glamour dans mon karma de clodo – je me suis même appelé « Cyril Fontaine » ! Si si ! Mon producteur me faisait profiter de sa Cadillac et m’invitait dans des restos chics. On était devenu une paire d’amis. En sortant de nos séances de nuit (croyant ainsi promouvoir l’art lyrique il me droppait sans arrêt pour cause de diction imparfaite, ruinant le semblant de feeling que j’essayais de mettre dans ma voix de chiottes) je l’accompagnais à l’hosto de garde pour son shoot de pénicilline sous le manteau. Il avait toujours une blenno sur le gaz, Gérard ! Marié et père de famille il aimait autant que ce détail de l’histoire restât entre lui et moi et les putes dont il usait et abusait. Ayant longtemps été en charge du devenir artistique de Johnny « C’est bien ! Continue à garder la passerelle  » Hallyday, il me lâchait des anecdotes croustillantes sur l’Idole des Jeunes. Une grande dépressive devant l’Éternel Yaboudhinchrillah, l’Idole des Jeunes ! Une nuit de crise aigüe qu’elle téléphonait pour se faire remonter le momo, c’était la bergère de Gérard qui avait décroché.

– Allo, c’est Johnny…

– Oui eh bien Johnny ou pas Johnny, il est trois heures du matin et on aimerait pouvoir dormir tranquillement !

Dans ses petites santiags il était le lendemain son Gégé quand l’Idole des Jeunes, des valoches de 50 kilos dégoulinant de ses Ray Bans, avait fait son entrée dans son burlingue.

– Lapsonami ?

– P…Pardon ? O… Oui, absolument !

Anthéa comprend que je viens de frôler la remontée hippocampique. Elle me couvre.

– Nous sommes entièrement d’accord avec vous, maîtresse Lawü. À l’évidence, les Terreux ne sont pas près d’accéder à l’« humanité » à laquelle ils se targuent d’appartenir.

– Bien dit, ma chérie ! Des humains ces gens-là ? Ils n’arrivent même pas à la cheville de composés souvent beaucoup plus avancés qu’eux dans l’Évolution mais qu’ils tiennent sous leur férule, les appelant « animaux » ! Quelle insondable fatuité ! Des humains ? Ils ne pensent qu’à s’escroquer les uns les autres ! Entre deux guerres fratricides et trois pandémies tout droit sorties de leurs laboratoires nauséabonds ! Depuis qu’ils en ont pris le contrôle, Terra est devenu un boulet que les Mille Galaxies auront à traîner « aux siècles des siècles », selon la formule absconse de leurs gourous du dimanche matin !

– Luwä, ma mie ! Anthéa et Lapsonami sont en vacances ! Si nous nous désintéressions un instant du sort des Terreux pour nous réjouir de l’imminence d’une shake session que je pressens plus divertissante que jamais ?

Maîtresse Lawü admet en riant s’être quelque peu laissée emporter. Nous finissons de siroter nos Specials quand une des portes à double battant qui font le tour de l’atrium s’ouvre en douceur. Un paisible mouvement de foule arrache alors la trentaine de gamers en attente à leurs chippendales virtuels et les aspire vers le shakodrome.

 

…demain chap 47 : « Merveilles et Prodigieux »

« MARS 2221, roman » (chap 46 : « Allo c’est Johnny »)

  1. Allo c’est Johnny

Anthéa est pas longue à maîtriser les subtilités de la navigation psycho tactile. En trois coups les gros elle réussit à appeler la cabine du Peregrin SF4 et à la piloter sans à-coups  jusqu’à l’orbe du « Red Joystick Shaker ». Le Peregrin nous largue sur une vaste esplanade de granit rose avec, en son centre, la fontaine Art Nouveau de rigueur. Les anciens Romains parleraient d’atrium. Un très très haut plafond soutenu par quatre colonnes élancées nous asperge de sa lumière iridescente. De droite et de gauche autour de la fontaine, des plateaux antigrav livrent leurs commandes aux tables sans pieds de consommateurs assis sur des chaises invisibles. Ça gravitonne à fond dans le quartier.

– Anthéa !!! Lapsonami ! Par ici ! Regarde, Däk ! Les jeunes gens que Mustalpha nous a présentés hier !

Maîtresse Lawü est resplendissante dans un boubou coquille d’œuf en fibre d’algue qui laisse parler sa poitrine généreuse. Son mari – maintenant on sait qu’il s’appelle Däk – nous remet pronto dans un large sourire tandis qu’elle tapote le vide à notre intention de part et d’autre de sa personne.

– Asseyez-vous, asseyez-vous ! Que désirez-vous boire ? Avez-vous testé le Joystick Special ? Incontournable avant une shake session !

Anthéa, vous vous en doutez, a tout de suite repéré les minuscules pédales fichées dans le sol. De la pointe du pied elle en presse une et les contours d’un repose-fesses tout confort se dessinent dans l’air. Avant de s’effacer par magie à la seconde où elle leur confie son popotin joli. Tentant de faire passer mon hésitation pour un geste de galanterie, j’attends que ma chérie ait pris ses aises avant d’actionner à mon tour la pédale à gauche de maîtresse Lawü. Tout se passe bien et je me pose en remerciant la dame de son accueil. Elle me renouvelle son sourire de bienvenue.

– …Car vous êtes venus jouer, n’est-ce pas ? Vous avez choisi la meilleure séance ! Avant qu’il y ait foule autour du plateau et que le croupier en profite pour bâcler ses shakes …Et multiplier les profits de la maison ! Däk, nos amis meurent de soif !

D’un index impeccablement manucuré le gentleman aux tempes grisonnantes s’affaire un instant sur le clavier de la table tandis que son épouse questionne aimablement Anthéa.

– Dites-moi tout. Vos premières impressions sur Skomäth-Hellian ?

Enthousiasme non feint de l’interviewée.

– 20/20 avec mention ! Une interprétation sans faille des lois de la physique des particules…

– N’est-ce pas ? La Spirale W1745 est renommée pour la qualité de ses ludomaines. Et Skomäth-Hellian en est un fleuron. J’espère du fond du cœur que nous saurons tenir à distance les barbares de Terra-la-Honte! Le bruit court qu’ils ont commencé à coloniser la planète.

– Lawü ! Vous êtes trop sévère avec ces malheureux ! L’aberration mystico économique qui depuis quelques millénaires ravage leur monde est pour beaucoup dans leur comportement hasardeux…

L’arrivée de nos Joystick Specials – de petites lampes d’Aladin finement ciselées dont la transparence révèle un liquide couleur lavande nappé de neige carbonique – interrompt la plaidoirie de Däk. Mais profitant de ce que ses lèvres se sont refermées autour de la paille spiralée, maîtresse Lawü revient à la charge.

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 45 : « Fallue normande », suite et fin)

Ce matin, avant notre relecture quotidienne et gratuite, prenons le temps de renouveler aux « producteurs de foie gras » (‘tain mais c’est pas un métier ça, les filles !) toutes nos injures ordurières les plus sincères, à partager avec leurs ienclis. Comment on peut être aussi dépravé (et inconséquent)? S’autocongratuler de la libération de Paul Watson et direct foncer bouffer le foie cirrhosé d’un malheureux volatile forcé jour après jour d’ingurgiter des tonnes de céréales, transgéniques de préférence. Joyeusement coachés par franceinfofff (prononciation maison, « dans le souffle » c’est + hype) et ses pubs immondes à la gloire des psychos du sud-ouest et le « respect ancestral » (opus citatum) qu’ils vouent à leurs souffre-douleur à plumes… 

Allez on essaie d’oublier ces chiens malades, c’est l’heure de « MARS 2221, roman ».

résumé : l’embarras du choix…

– J’espère que Monsieur a passé une bonne nuit. Pour le petit-déjeuner de Madame et Monsieur, je me permets de suggérer à Monsieur une soupe ganjü et ses bamkas à la magellane. Très énergisant !

– Je vous crois sur parole mais ce matin, Madame et Monsieur se satisferont d’un pot de caoua et d’une brioche ou deux pour éponger.

– Ka…Wa ? Monsieur me voit terriblement confus…

– C’est moi. Mon parler emprunte trop souvent au registre populaire. Quand il est pas truffé de grossièretés. Pire, si vous aviez lu Hippocampe Twist, vous sauriez que je dis jamais « ne pas ».  Formulé autrement, auriez-vous l’extrême obligeance de nous préparer une cafetière de votre meilleur arabica ?

– Mais certainement Monsieur. Que Monsieur m’excuse. J’entre immédiatement « kawa » dans ma base de données. Pour les brioches, Parisiennes ou de Nanterre ? À moins que Madame et Monsieur aient une préférence pour les biterroises ? Les tressées de Metz ? Je peux aussi leur proposer des cougnous. Des bescoins peut-être ? Des pognes ? Une gâche ? De la fougasse d’Aigues Mortes ? De la fallue normande ?

De la fallue normande !

– Vous auriez de la fallue normande ??? Nappée de confiture de rhubarbe, c’est dar dar dar ! Mettez m’en donc deux ou trois tranches, s’il vous plaît !

Quelque part dans les entrailles de la taverna un percolateur, un mixer et un four entrent en action. Dans la minute un tiroir s’ouvre sur un double petit déj’ princier.

– Madame et Monsieur désirent être servis dans leur chambre ?

– Carrément !

Par l’opération du St Esprit et du graviton réunis, le plateau chargé de victuailles roboratives speede illico presto vers la cambuse tout en marbre de Céphée. Quand je le rattrape, Anthéa est déjà occupée à remplir les tasses. Une demi-heure plus tard, ayant picoré les dernières miettes de fallue, elle aborde la question épineuse de notre situation matérielle.

– Dis-voir, lapin. Hier, pendant que tu tchatchais avec Ovaï-Lân-Try j’ai repéré une boutique de fringues plutôt coolos à l’entrée de la galerie. Ce qui m’amène à te poser la question. Quand as-tu prévu de nous gagner des sous ?

– Dès que tu t’en sors avec le Peregrin SF4. Finalement je suis pas sûr d’en avoir bien intégré le mode d’emploi.

Va savoir ce que le robot cuistot a mis dans son arabica (ou sa fallue normande ?) ! De purs antéchinus ! Il est pas loin de seize heures quand on émerge de notre grasse après-midi récupératrice. Un détour par l’alcôve ciel de pluie et andiamo ! Le moment est venu de savoir si je suis vraiment en mesure de faire quelque chose pour la garde-robe d’Anthéa.

 

…demain chap 46 : « Allo c’est Johnny »…

« MARS 2221, roman » (chap 45 : « Fallue normande »)

  1. Fallue normande

Qu’est-ce que c’était que ce barrissement ? », me demande ma mère qui vient de me gauler le nez dans le placard de la cuisine, en train de finir la plaque de chocolat blanc Suchard alors qu’on va manger dans cinq minutes. J’ai pas le temps de lui répondre qu’un tricératops arrive au grand galop. Il freine des quatre fers à deux millimètres de nous. Avec deux cornes en moins on dirait le rhinocéros de la blague. Je m’attends à ce qu’il s’insurge : « Ça un chou-fleur ??? Et mon œil !!! » mais non il repart comme il était venu, me laissant dans l’expectative. Ma reum a disparu également. J’avais pas remarqué mais je suis au bord de l’océan. Des rouleaux mousseux émerge alors un poulpe géant. Il me salue à l’hindoue, deux tentacules gluants joints cérémonieusement à hauteur de sa tête d’oiseau migrateur. Et replonge direct, effrayé par la survenue bruyante d’un scooter des mers. Au volant un gorille rose à oreilles de cocker qui m’invite à monter en croupe. On trace vers le large dans un nuage d’écume quand, surgissant de nulle part, non pas un aigle noir, mais une baleine volante. Qui nous couvre de son ombre avant d’amerrir un peu plus loin, pile poil entre deux récifs longs comme des jours sans pain. Vite fait elle replie ses méga battoirs de chauve-souris, lâche un grand jet de vapeur avant de se transformer en courant d’air ! Le gorille se retourne vers moi et me conseille d’attacher ma ceinture, décollage immédiat. Le VNM se transforme en ULM. Je préviens le gorille que je vais sûrement vomir. À ce qu’il m’explique, l’acrophobie est presque toujours liée à d’autres peurs. La peur de l’échec, la peur de pas être comme les autres, la peur de décevoir etc… Craignant pour le skaï de sa selle, il accepte toutefois de me larguer sur un îlot qui vient de se matérialiser sous sa pétoire ailée. Me voici maintenant dans une forêt plus que primaire, à cueillir des champignons en compagnie d’un genre de cochon d’Inde sapé en Arlequin. On sympathise. Il me confie que dans le civil il est ophtalmo. C’est là qu’éclate un gros orage. Sauve-qui-peut général !

– Lapin !!! T’as fini de faire des bonds comme ça ? Et tiens, puisqu’on est réveillés si tu allais nous chercher de quoi petit-déjeuner ?

La voix médium grave d’Anthéa me rapatrie dans le monde réel. Je lui roule un patin, prêt à remettre le couvert mais elle insiste, c’est d’une nourriture plus substantielle dont elle a besoin. Résigné, je m’arrache du pieu, direction la taverna. Je foule l’herbe tendre de la moquette, dans une symphonie d’effluves floraux. Le lis d’un jour au puissant parfum de muguet le dispute au jasmin sensuel et fruité, presqu’animal, et aux gardénias immaculés tout en vanille subtile. Au détour d’un rosier grimpant je tombe sur un labo sophistiqué avec, au milieu, une table et des chaises design.

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 44 : « Photon mapping », suite et fin)

Plus je relis avec vous « MARS 2221, roman », plus je suis certain de  jamais remettre les pieds chez un libraire indépendant (rires). Du moins pas avant que ces braves gens aient compris l’intérêt vital que représente l’impression à la demande  pour 1) la littérature inventive et intelligente 2) les amateur(e)s de littérature inventive et intelligente 3) les libraires suffisamment inventifs et intelligents pour espérer atteindre un jour à un semblant d’indépendance.

résumé : Peregrin SF4, mode d’emploi…

– J’admets qu’une mise à niveau serait pas inutile.

– C’est très simple. Une fois à l’intérieur de l’habitacle, il suffit à Monsieur d’évoquer mentalement la destination que Monsieur désire rejoindre – réception, galerie commerciale, Shaker… – et, ce faisant, appliquer la paume contre la cloison.

– L’enfance de l’art ! Et pour appeler l’habitacle ?

– Monsieur toquera légèrement au lifter… Comme ceci…

Tout à la surprise causée par la déco rien moins qu’inattendue pour une chambre d’hôtel, j’ai pas noté, dans mon dos, la disparition de la cabine à l’intérieur du cylindre argenté que le groom appelle le « lifter ». Pour la faire réapparaître, un toc toc désinvolte contre le métal brillant et coucou, la revoilou ! Son empressement à sauter dedans me confirme que Spirou 2 a sa dose de mézigue pâteux.

– Je souhaite à Madame et Monsieur un séjour agréable. Pour tout complément d’information, technique ou administratif, un personnel dédié se tient jour et nuit à la disposition de Madame et Monsieur.

– Cool, mec. Nos amitiés à ce bon vieux marsupilami !

– Monsieur ?

– Nan rien. Merci pour tout.

Je tapote mes poches. Le vide me répond.

– Je suis ultra short en liquide juste là mais promis, si votre « Shaker » m’est favorable je saurai me souvenir de votre dévouement à la cause !

Une heure plus tard Anthéa, à poil et fraîche comme la rose, me rejoint sur le sofa interactif  (assise vibrante et le toutim) alors qu’à travers la baie vitrée je me perds dans la contemplation du lac. J’en suis à ma troisième vodka à l’herbe de bison.

– Phobos et Déimos ! Les lunes de Mars… Mate-moi leurs reflets sur l’eau… Comme ils ondulent au gré de la brise nocturne…  Plus vrais que nature !

Anthéa acquiesce. Et, normal, ramène sa science.

– Ces bonnes vieilles images de synthèse 3D ! Tu sais que les premières expérimentations de « photon mapping » remontent à 1994 ? T’étais déjà un grand garçon à l’époque ! Si tu t’étais intéressé à autre chose qu’à ta musique de loser, tu aurais appris que quand ils interagissent avec une surface, les photons virtuels peuvent être absorbés ou réfléchis. Les algorithmes du mapping n’ont plus qu’à prendre tout ça en compte et roule ma poule ! Tu vois lapin, moi ce que je trouve vraiment balèze c’est l’horizontalité du lac.

Je m’étais fait la même remarque en arrivant. Si on tient compte de l’inclinaison « manette de jeu vidéo vintage » voulue par les architectes du resort, la moquette devrait être en pente et le lac depuis longtemps à sec.

– Y aurait du graviton là-dessous que ça me surprendrait pas ! Tout se passe comme si, à Skomäth-Hellian, les théoriciens quantiques et les tenants de la relativité générale avaient fini par se mettre d’acc… Lapin ! T’exagères !

– T’aimes pas ?

– Si…

 

…demain chapter 45 : « Fallue normande »…