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« MARS 2221, roman (chap 13 : Winnie)

Quitte à radoter, je suis vachement content de relire « MARS 2221, roman », pas vous ? En plus, comme j’en suis l’auteur, je peux me permettre de retoucher le texte selon mon humeur et ma fantaisie, avec l’accord d’Edmond de Goncourt toujours.

13.  Winnie 

Le dortoir est encore désert quand nous gagnons nos couchages. De minces cloisons en plexi dépoli aménagées entre les lits assurent une relative intimité aux pensionnaires des Jardins. Toute relative ! Perché sur mon plumard, je me hisse sur la pointe des pieds. Pas question de m’endormir sans avoir maté Anthéa en train d’éplucher sa combinaison en Pinatex thermo-régulé. Son absence de nibards, le satin de ses épaules carrées puis, quand elle se retourne, le bouquet final de sa pêche miraculeuse.

Penser que pareils trésors auraient pu tomber aux mains d’un banquier véreux du Sud Dakota ! Parce que finalement l’émir était dead. Un mauvais plaisant à la solde de l’émirat voisin avait empoisonné son tagine du soir espoir. Poutine avait alors changé son fusil d’épaule. Subtilement approché, un tycoon du détournement de fonds publics basé dans un des états yankees les plus imaginatifs en matière de fiscalité paradisiaque avait flashé sur le pressbook de ma bien aimée. Ça changeait pas grand-chose au scénario qu’on avait passé des semaines à peaufiner, vu qu’à l’instar de feu l’émir le cow-boy véreux se chargeait du rapatriement de sa commande.

Le luxueux sub rocket avec chauffeur et garde du corps s’était pointé au quai d’embarquement souterrain de la Résidence. Charger dans l’habitacle l’ours en peluche géant auquel Anthéa tenait comme à la prunelle de ses yeux naufrageurs avait pas été une mince affaire.

– Faites bien attention à ne pas le cogner », avait-elle insisté, « …Installez-le sur la banquette à côté de moi. Pas question que Winnie fasse le voyage dans le coffre à bagages !

Les deux G-men avaient obtempéré, ayant reçu de leur boss des consignes de soumission absolue aux caprices de leur passagère. Je m’étais vu délicatement déposer à l’arrière du sub. Anthéa m’avait attiré contre elle.

– Lààà, tu vas être bien comme ça, tout contre maman Anthéa, mon Winnie chéri ! On va demander au monsieur qui conduit de calmer sa joie sur les turboréacteurs. Personne n’a envie que tu sois malade, n’est-ce pas ?

Rien que d’entendre ça, j’avais déjà la gerbe. En plus je crevais de chaleur dans mon double emballage ouate/fourrure synthétique.

Les dix minutes qui nous séparaient de la bretelle d’accès à l’Interdôme m’avaient paru des heures. Notre chauffeur était occupé à remplir le formulaire de transit international quand soudain Anthéa avait poussé un cri de douleur et porté la main à ses reins. Le  bodyguard s’était retourné. Anthéa avait haleté qu’elle était sujette à des crises de colique néphrétique aigüe. Elle en sentait monter une !

– La v… vache ! Qu’est-ce que je déguste ! J’ai besoin d’un docteur !

Le bodyguard et le chauffeur s’étaient concertés. Le patron serait pas content d’apprendre que son cadeau de Noël leur avait claqué entre les pattes. Le bodygard avait fait signe au douanier de rappliquer. Au constat que la dame avait pas l’air bien du tout le douanier avait sorti son walkie-talkie.

– Il me faut une équipe médicale au guichet 11. Et pas demain matin !

Y avait une ambulance stationnée devant la boutique – cafèt’- pipirooms. Ça tombait vraiment bien. Anthéa hurlait de douleur maintenant. Le médecin urgentiste arraché à son crème avait diagnostiqué un calcul  à extraire de toute urgence.

– On l’embarque ! » avait-il décrété péremptoire.

Le douanier avait regardé le chauffeur du sub. Qui avait regardé son collègue. Aucun des trois avait pris le risque de s’opposer à la décision du toubib. Alors qu’on la hissait dans le véhicule d’intervention, Anthéa avait poussé un cri déchirant.

– WINNIE !!! Je veux mon Winnie !!!

 

à suivre absolument

 

« MARS 2221, roman » (chap 12 : Pet v’là l’mono !)

Quand on pense que le morveux veut aller « vers la généralisation du service national universel en seconde » alors que « né en 1977, il aurait pu faire son service militaire s’il avait vraiment insisté » mais bon heu… comment dire… Brizitte ! Essplique-leur que le roi de la Phronce même avant qu’il est le roi de la Phronce c’est un peu comme les Zuifs ultraordothosques… orthoquos… orquothost… Brizitteuh ! C’est comment qu’on dit pour ces planqués… Briziiiitteuh !!!! Tu m’écoutes ????

12. « Pet v’là l’mono ! »

Avant-hier soir, à l’audition publique chez Chappell, je suis pas passé inaperçu avec ma boule à zéro ! Au pays des merveilles de Mike Brant et Michel Sardou, les dégaines d’évadés d’Alcatraz c’est pas pour tout de suite ! Rebelote hier matin dans le train vers Blois et sa caserne 3 étoiles. Faut les comprendre, mes co-convoqués aux « trois jours ». On les extrait de leur zone d’inconfort post pubertaire pour les embarquer dans un délire néopatriolithique qui pendant douze longs mois va tenter de les sevrer de leurs pattes d’eph et leur coupe mulet. Alors le mec qui ramène son crâne rasé et cause à personne, on a pas envie de lui taper dans le dos. Excellent pour la parano ! Autant ça m’a fait un peu caguer de ruiner mes chances de contrat avec une célèbre maison d’édition musicale parisienne, autant aujourd’hui je me réjouis de constater que ça valait le coup de m’endormir sous la tondeuse.

Faut savoir qu’en 1972, se faire réformer, c’est pas du gâteau. Si t’as pas un mot d’excuse de l’abbé Oraison ou tout autre psy compréhensif (en général beaucoup moins accessible financièrement que le fameux cureton antimilitariste) qui stipule que ton état général t’interdit le port de l’uniforme, les corvées de chiottes et les 50 pompes au réveil, t’es dans la misère. Je suis dans la misère. En parfaite condition physique, plus d’1,55 m (pas de beaucoup), ni pieds plats ni asthme, 10/10 aux deux yeux, question caberlot on vient de m’admettre à la maîtrise d’anglais. C’est pas Polytechnique mais ça aide pas non plus à faire le demeuré sans éveiller les soupçons. Du coup j’ai mis au point une stratégie qui a déjà fonctionné pour d’autres. Elle repose sur le constat que, bizarrement, les allumés se déclarant mandatés par le Tout Puissant pour sauver la France (syndrome Jeanne d’Arc) les instances recruteuses en sont pas friandes. Surtout si, lors de ses tests écrits, Saint Jeannot coche la case « tentatives de suicide ». Étant convenu qu’à la question suivante – « combien ? » – la pucelle d’Orléans réincarnée se laissera pas gagner par la folie des grandeurs et modeste écrira : une.  S’il est de notoriété psychiatrique qu’un suicidé manqué remet ça tôt ou tard, à compter de plus d’une récidive infructueuse le prétendu désespéré bascule dans la catégorie « comique ». Comique troupier en l’occurrence.  

J’ai fait de mon mieux, on aura les résultats demain. En route vers la cantine, je retombe sur l’« agent secret ». Je l’appelle comme ça à cause de son imper remonté jusqu’aux oreilles. Il passe son temps à longer les murs en jetant des regards méfiants aux gens qu’il croise. Alors qu’on se retrouve épaule contre épaule dans le goulet d’entrée, son clin d’œil subreptice me confirme qu’il fait dans la simulation lui aussi. Cool. Dommage que pour le bien de nos impostures respectives il vaille mieux éviter qu’on nous voie ensemble. La table où j’atterris est peuplée de post ados surexcités. Je reconnais celui qui a déclenché une bataille de polochons hier soir dans le dortoir. En entendant les pas du gradé chargé de faire régner le calme dans la volière il a gueulé «  pet ! v’là le mono ! ». Au constat que je touche pas à mon assiette (ça fait partie du plan, rien bouffer, fumer clope sur clope et s’imbiber de caoua pour être au taquet quand – Inch’Allah – mes performances aux tests me conduiront enfin au Graal de l’entretien avec le psy, au cours duquel il me faudra donner le meilleur de moi-même : « Laissez-moi me sacrifier pour mon Cher Pays, qu’un sang impur abreuve nos sillons, putains de cocos, sales viets, enculés d’arabes, vive le Québec libre ! ») le vacancier dans sa tête m’apostrophe, la bouche pleine :

– Tu bouffes pas ? T’es con c’est vachement bon !

Je te file ma part.

– C’est gentil mais moi non plus je n’ai pas très faim. Je me sens un peu barbouillée…

Dame Merteens a parlé d’une voix douce. Elle m’en veut pas de l’avoir tutoyée.

L’ambiance para militaire qui règne aux Jardins Suspendus est sûrement pour quelque chose dans la nouvelle remontée hippocampique dont je viens d’être victime. Pour info on s’en était sorti crème avec l’agent secret. Je nous revois au bistrot de la gare de Blois à nous faire payer des demis par des néo conscrits tout fiérots d’avoir été reconnus « bons pour le service » et d’autant plus compatissants envers les privés de labour au champ d’honneur que nous étions.

Parlant d’agent secret je sens sur moi le regard d’un autre compagnon de route. « Stan » comme l’a appelé le rabbi Lafleur. Stan est assis à l’autre bout de la table. Me voyant le mater en retour il plonge dans ses raviolis aux épinards.

 

à suivre demain, même heure, même endroit

Très chers murs + « MARS 2221 » (chap 11 : Relevé des ventes, suite et fin)

 

Très chers murs,

Comme vous le savez, vous êtes avec ces bons vieux Google bots, les seuls témoins de mes posts quotidiens. Je m’en réjouis car en fait, cette relecture publique de «  MARS 2221, roman», outre le plaisir qu’elle me procure, me permet d’apporter de subtiles modifications au texte original et je tiens pas à ce que ça s’ébruite au risque de faire drastiquement chuter les ventes (de quasiment une par semestre à moins de zéro par an), l’acheteur éventuel décidant d’attendre la sortie de la version 2.0, ce qui serait parfaitement compréhensible (et judicieux).

Voilà c’est tout et c’est déjà pas mal pour un dimanche.

résumé : le narrateur explique  comment  il s’est  retrouvé un jour avec 140 729 kreds sur son compte en banque…

On pensera ce qu’on voudra de la moralité à géométrie variable du chirurgien Poutine mais, respectant en cela les dernières volontés de l’assistante historique et continuatrice directe du professeur Marcel, il était passé à mon nid d’amour un après-midi. Il tenait à la main une enveloppe cachetée.

– Depuis le temps que Marinella me demande de vous remettre ceci : « Document d’archive joint au dossier le 22/07/2115 : Pour le Maître, de la part de Mathilde Pelletier». Désirez-vous en prendre connaissance ?

Chère Mathilde ! Elle avait donc cru jusqu’au bout à la réussite du Projet ! Au point de m’adresser un message qui avait mis plus d’un siècle à me parvenir ! J’en aurais chialé. J’avais décacheté l’enveloppe. Sur une feuille d’un rose encore chaleureux, la fidèle infirmière m’assurait de son affection sans partage pour ce qui restait de ma personne, savoir l’encéphale truffé d’électrodes qui depuis presque quarante ans se les gelait au fond d’un bidon d’azote liquide. Mais maintenant elle disait approcher les quatre-vingt-dix balais et commencer à souffrir de troubles cognitifs. Elle se résignait donc, la mort dans l’âme, à ne plus être de ce monde le jour – qui ne manquerait pas d’advenir – où ledit encéphale réintégrerait enfin une enveloppe humaine.

« …La Recherche Scientifique (les majuscules avaient ajouté à mon attendrissement), j’en suis consciente, devra encore accomplir de gros progrès dans maints domaines avant que la pensée visionnaire du Professeur vous ramène à la Vie. Ce jour-là, j’imagine que, seul dans un univers qui ne correspondra certainement pas à celui auquel votre terrible accident vous a arraché, vous aurez l’utilité d’un « petit plus » matériel, afin de « voir venir » (votre expression préférée, Maître !). Dans cette éventualité, sachez que je me suis permis de confier à un éditeur de confiance (il en reste) le récit de votre collaboration avec le misérable Dr Legrand – Dieu lui accorde son pardon – tel que vous en rendiez compte au jour le jour… ».

J’étais sur le cul. Mathilde m’avait jamais dit qu’elle maîtrisait la stéganographie informatique ! Elle était parvenue à décrypter le journal de bord secret que je tenais au quotidien, en filigrane des « réminiscences » réclamées par l’autre usurpateur !

« … En accord avec l’éditeur en question – il s’agit de la maison Séraphina & Gluck – nous avons pensé que le titre « Hippocampe Twist » conviendrait assez bien à l’esprit et au contenu de votre prose remarquable. Remarquable et remarquée puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes, « Hippocampe Twist » continue de faire des ventes honorables. Dans l’ignorance de la date de votre retour à la conscience, Séraphina & Gluck et moi-même avons convenu de faire virer vos droits d’auteur annuels, payables en crypto monnaie, sur un biocompte en ligne présentant, selon eux, toutes garanties d’accès dans le temps et l’espace. Vous en trouverez les coordonnées sur la carte ci-enclose. Par mesure de précaution – on n’en prend jamais assez, le pauvre Professeur ne m’aurait pas contredite sur ce point, hélas ! – j’ai recours pour vous les transmettre au chiffrage que vous savez. »

En gentleman, le chirurgien Poutine avait prétexté un coup de fil à passer afin de me laisser lire la lettre de Mathilde en toute tranquillité. À son retour, l’air de rien, je lui avais posé deux ou trois questions sur les biocomptes. Si, par exemple ils étaient accessibles aux clones de leurs titulaires.

– Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? En biométrie un iris cloné est la copie conforme de l’original, que je sache.

L’évidence même ! J’avais attendu qu’il vide les lieux pour de bon pour craquer en un tournemain les données cryptées glissées par Mathide dans un post-scriptum digne des plus grands stéganographes et, muni des renseignements indispensables, me précipiter sur l’ordi. Quelques manips – moins compliquées qu’on aurait pu imaginer – et bingo, sur l’écran une dégringolade de chiffres. Au 30/03/2221 – date du dernier relevé de ventes – le cumul de mes droits touchant à l’ouvrage « Hippocampe Twist » atteignait le montant honorable de 140 729 kreds ! J’avais failli tourner de l’œil. C’était la première fois que mes élucubrations artistiques ou assimilées me rapportaient quoi que ce soit. J’avais eu une pensée pour ma reum. Elle qui, chaque fois que je lui annonçais tout fiérot avoir sorti un nouveau squeud ou, plus tard, un premier bouquin, puis un deuxième, puis…, me répondait invariablement qu’elle était contente pour moi mais que « si ça marchait pas, à la maison je trouverais toujours de quoi manger et dormir convenablement ». Avec le daron c’était plus simple et limite moins déprimant. Du jour où je l’avais envoyé paître avec ses « hautes études commerciales » flippantes (cf « Hippocampe Twist »), il avait cessé d’accorder l’ombre du plus infime intérêt à mon devenir socio économique. Quand, lors de retrouvailles de plus en plus espacées et conflictuelles, la conversation venait à frôler le sujet tabou de mes velléités lyrico-scribouillardes, il quittait la pièce en soupirant.

– Pourquoi tu me parles de 140 729 kreds ? Tu les as ?

– Ça se pourrait.

– Et d’où tu la sors, ta maille, lapin ? Pas des poches des contribuables, j’espère ? On raconte tellement de choses sur les jeux de bonneteau en pratique dans les couloirs de l’Élysée…

– Même pas. C’est de la thune gagnée à la sueur de mon front d’écrivain.

Anthéa avait écouté mes explications d’une oreille distraite. Elle était déjà sur son portable à composer le numéro d’un pote à elle qui connaissait un pote qui connaissait…

C’est le branle-bas de combat dans le dortoir. La sonnerie proclamant l’ouverture du self vient de retentir. Nos futurs collègues de l’équipe de jour qui tapaient une écroule apéritive plus que méritée sautent à bas de leurs plumards. On suit le mouvement.

à suivre des deux mains

 

« MARS 2221, roman » (chap 11 : Relevé des ventes)

Lectrice, lecteur,

En ce samedi ensoleillé, toi qui, égaré(e) dans l’antre d’un libraire indépendant de sa volonté, hésites entre ses piles de remontées de maltraitances incestueuses trop longtemps réprimées et d’autres, encore plus intrépidement érigées, de « polars » dégoulinants de cadavres atrocement mutilés retrouvés dans le coffre d’une Merco à demi carbonisée par un flic désenchanté dont la fille a été kidnappée et violée pendant qu’il essayait de poser une crotte douloureuse à cause d’un cancer du colon que son ami d’enfance devenu chirurgien célèbre avait pas eu le temps d’opérer avant de se faire décapiter par un patient schizophrène, tout ça bien sûr au fin fond de la sombritude humide des îles Shetland phagocytées par la mafia chinoise, toi qui t’es pas déjà rabattu(e) sur une « série » Fletnix qui te dépossédera en un weekend de tes dernières synapses opérationnelles, voici, pour te redonner goût à la bonne littérature innovante, ton extrait quotidien de «   MARS 2221, roman ». Enjoy !

11. Relevé des ventes

 Anthéa est assise à côté de moi sur mon pieu. Le dernier de la rangée de gauche, dortoir n°4. On a tous été déclarés bons pour le service. Un bot magasinier nous a remis notre paquetage : serviette de toilette, brosse à dents, un jeu de sous-vêtements à faire renouveler tous les deux jours à la blanchisserie et – incontournable sous peine de se voir refouler des serres –  une combinaison aseptique avec cagoule et masque intégré. Le chef jardinier nous attend demain matin à 6 heures, pour nous expliquer comment on enfile tout ça.

– Qu’est-ce qui se passe ? T’as pas l’air en forme d’un seul coup ! C’est vrai que ça l’affiche mal pour un ex Haut Conseiller aux Finances de se voir relégué aux travaux agricoles…

– Désopilant.

D’ordinaire je suis réceptif à l’humour d’Anthéa mais ce soir je me « fais vieux », comme on dit. Le « projet » de Marcel-la-Menace et ses conséquences directes et indirectes sur le cours de mon existence m’a jamais autant pété les couilles. En bon disciple d’Hippocrate, son obsession à Marcel c’était que son Sage entre les sages de patient s’accrochât à la rampe le plus longtemps possible mais, ma parole, 269 printemps et plus ça commence à faire ! D’accord à en croire le Torbicovédongba et sans convoquer des phénomènes de l’état civil comme Brahma ou Vishnu, comparé à Mathusalem (969 tours de soleil), Yared (962), Mahalalel (895) je suis un rookie dans le business de la longévité. Ok, des trompe-la-mort professionnels comme Arpakshad (438), Shélah (non pas « Sheila », elle ça fait un bail que son école est finie) (433) ou Eber (464) auraient eux aussi des leçons de patience à me donner mais nan, franchement ce soir, si quelqu’un pouvait me dépanner d’une pilule de l’Oregon… Mettons deux pour être sûr…

– Excuse, ça doit être le voyage.

Je m’en veux de faire la gueule. Elle y est pour rien, Anthéa. Je me repasse nos galipettes en rentrant du concert silencieux. C’est là qu’entre deux figures de style je l’avais briefée sur mon CV atypique. Ma love affair avec une présidente de la république l’avait explosée.

– Comme ça t’as un super pouvoir ? » elle m’avait demandé.

– J’ai eu avoir un super pouvoir. Puis je l’ai perdu. Puis retrouvé. Puis reperdu. Même que le Poutine, il demanderait pas mieux que je le reretrouve. À mater sa montre en or et ses bagouzes et comment il bave devant les pubs de dômes privés et autres modules de plaisance, pas de doute qu’il saurait quoi en faire, de mon super pouvoir. Je suis pas à l’aise quand il louche sur mon quart de brie…

Anthéa avait hoché sa jolie tête avant d’ étouffer  un bâillement.

– D’après pépère moi aussi je suis une rareté ! Il a commencé à me faire l’article sur un émir qui serait prêt à faire de ma vie un rêve éveillé…

Cette nuit-là, en comparant nos données, on était tombé d’accord que plus vite on se casserait de la Résidence, mieux on s’en porterait. Sachant qu’une fois dehors restait le problème de la survie dans un environnement hostile. Le climat bien sûr mais aussi les querelles inter blocs et leurs retombées radioactives qui rendaient plus qu’hasardeuse une virée hors dôme. Sans parler des Mad Max de bénitier qui guettaient les infidèles au virage  pour les découper en menus morceaux avec la bénédiction pleine et entière des trafiquants d’armes.

– On est pas obligés de rester moisir sur Terra, tu sais lapin. C’est juste que deux allers simples pour Olympus Mons Terminal, ça coûte bonbon.

Je sautais pas de joie à l’idée de passer trois semaines à vomir mes tripes sur un voilier solaire mais si ça pouvait éviter à Anthéa d’avoir à satisfaire les fantasmes d’un pompeur de pétrole vicelard…

– Bonbon comment ? Plus de 140 729 kreds ?

à suivre demain…

« MARS 2221 » ( chap 10 : Entretien d’embauche ) feat Ernard Barnault

Je sais pas pourquoi mais quand je pense « entretien d’embauche » je pense « exploitation du bipède par le bipède » et – c’est marrant les associations d’idées tout de même – quand je pense « exploitation du bipède par le bipède », direct je pense Ernard Barnault.

10. Entretien d’embauche

D’accord on est cinq clodos à faire un peu désordre dans ses fauteuils design mais quand l’hôtesse vient nous dire que malgré l’heure tardive une certaine Mme Cherkaoui, DRH de son état, accepte de nous parler, elle pourrait le faire plus aimablement. Un bot antigrav accompagne la dédaigneuse. Pas programmé pour être poli non plus, il nous crachotte de le suivre.

Ascenseur, cinquième sous-sol, couloirs. On arrive à une porte. Le nom inscrit sur la plaque en PVC prouve que le tas de ferraille a plus le sens de l’orientation que celui des bonnes manières :

RADEGONDE CHERKAOUI

– Radegonde ! Comme ma sœur ! », s’exclame dame Meertens (Anthéa m’a appris que son prénom à elle c’est Vuldetrade).

Le bot la toise pas intéressé avant de toquer respectueusement à la porte.

– C’est toi, D2R2 ? Vas-y, fais entrer !

Je lis une certaine désapprobation dans l’expression du robot ainsi sobriqué. Qui s’efface malgré tout pour nous laisser entrer dans le sanctum sanctorum de sa patronne.

Sans décarrer de derrière son établi couvert de paperasses, ma’ame Cherkaoui nous détaille de ses petits yeux porcins. Nous jauge, nous soupèse, nous étudie, nous inspecte. La cinquantaine disgracieuse, son tailleur veste pantalon gris anthracite craque de toutes parts. Elle se râcle la gorge, faisant tremblotter son double menton.

– Hum, jusqu’ici, je n’ai jamais eu à me plaindre des livraisons du rabbi Lafleur. Je vous propose donc une mise à l’essai d’une semaine au terme de laquelle, si vous cochez les cases, nous aborderons la question plus que subsidiaire d’un éventuel dédommagement de vos efforts. D2R2… » (re air crispé du bot) « …tu vas driver tout ce petit monde à l’infirmerie.

L’infirmerie ? Les prunelles furtives ont capté ma perplexité.

– …Pour l’examen règlementaire, préalable à tout contact d’une entité extérieure avec nos précieux végétaux. Il est hors de question que les standards de générosité et d’altruisme que le directeur général Barnault s’efforce de maintenir dans cette entreprise – le plus souvent au détriment de nos marges bénéficiaires – en arrivent à nous coûter une récolte.

À la mention de son DG, Radegonde Cherkaoui a baissé d’un ton et rajusté sa collerette. Alors que nous nous résignons à rejoindre D2R2 qui a obtempéré et nous attend déjà dans le couloir, elle se croit obligée d’en remettre une couche :

– Petite précision. La PMAL est une chose, l’hébergement à titre gratuit des tire-au-flanc en est une autre. Toute velléité de revendication syndicale serait considérée comme une rupture tacite du contrat moral que vous vous engagez à respecter envers les Jardins. J’espère que c’est clair ? On ferme la porte en sortant.

la suite demain