Très chers murs,
Comme vous le savez, vous êtes avec ces bons vieux Google bots, les seuls témoins de mes posts quotidiens. Je m’en réjouis car en fait, cette relecture publique de « MARS 2221, roman», outre le plaisir qu’elle me procure, me permet d’apporter de subtiles modifications au texte original et je tiens pas à ce que ça s’ébruite au risque de faire drastiquement chuter les ventes (de quasiment une par semestre à moins de zéro par an), l’acheteur éventuel décidant d’attendre la sortie de la version 2.0, ce qui serait parfaitement compréhensible (et judicieux).
Voilà c’est tout et c’est déjà pas mal pour un dimanche.
résumé : le narrateur explique comment il s’est retrouvé un jour avec 140 729 kreds sur son compte en banque…
On pensera ce qu’on voudra de la moralité à géométrie variable du chirurgien Poutine mais, respectant en cela les dernières volontés de l’assistante historique et continuatrice directe du professeur Marcel, il était passé à mon nid d’amour un après-midi. Il tenait à la main une enveloppe cachetée.
– Depuis le temps que Marinella me demande de vous remettre ceci : « Document d’archive joint au dossier le 22/07/2115 : Pour le Maître, de la part de Mathilde Pelletier». Désirez-vous en prendre connaissance ?
Chère Mathilde ! Elle avait donc cru jusqu’au bout à la réussite du Projet ! Au point de m’adresser un message qui avait mis plus d’un siècle à me parvenir ! J’en aurais chialé. J’avais décacheté l’enveloppe. Sur une feuille d’un rose encore chaleureux, la fidèle infirmière m’assurait de son affection sans partage pour ce qui restait de ma personne, savoir l’encéphale truffé d’électrodes qui depuis presque quarante ans se les gelait au fond d’un bidon d’azote liquide. Mais maintenant elle disait approcher les quatre-vingt-dix balais et commencer à souffrir de troubles cognitifs. Elle se résignait donc, la mort dans l’âme, à ne plus être de ce monde le jour – qui ne manquerait pas d’advenir – où ledit encéphale réintégrerait enfin une enveloppe humaine.
« …La Recherche Scientifique (les majuscules avaient ajouté à mon attendrissement), j’en suis consciente, devra encore accomplir de gros progrès dans maints domaines avant que la pensée visionnaire du Professeur vous ramène à la Vie. Ce jour-là, j’imagine que, seul dans un univers qui ne correspondra certainement pas à celui auquel votre terrible accident vous a arraché, vous aurez l’utilité d’un « petit plus » matériel, afin de « voir venir » (votre expression préférée, Maître !). Dans cette éventualité, sachez que je me suis permis de confier à un éditeur de confiance (il en reste) le récit de votre collaboration avec le misérable Dr Legrand – Dieu lui accorde son pardon – tel que vous en rendiez compte au jour le jour… ».
J’étais sur le cul. Mathilde m’avait jamais dit qu’elle maîtrisait la stéganographie informatique ! Elle était parvenue à décrypter le journal de bord secret que je tenais au quotidien, en filigrane des « réminiscences » réclamées par l’autre usurpateur !
« … En accord avec l’éditeur en question – il s’agit de la maison Séraphina & Gluck – nous avons pensé que le titre « Hippocampe Twist » conviendrait assez bien à l’esprit et au contenu de votre prose remarquable. Remarquable et remarquée puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes, « Hippocampe Twist » continue de faire des ventes honorables. Dans l’ignorance de la date de votre retour à la conscience, Séraphina & Gluck et moi-même avons convenu de faire virer vos droits d’auteur annuels, payables en crypto monnaie, sur un biocompte en ligne présentant, selon eux, toutes garanties d’accès dans le temps et l’espace. Vous en trouverez les coordonnées sur la carte ci-enclose. Par mesure de précaution – on n’en prend jamais assez, le pauvre Professeur ne m’aurait pas contredite sur ce point, hélas ! – j’ai recours pour vous les transmettre au chiffrage que vous savez. »
En gentleman, le chirurgien Poutine avait prétexté un coup de fil à passer afin de me laisser lire la lettre de Mathilde en toute tranquillité. À son retour, l’air de rien, je lui avais posé deux ou trois questions sur les biocomptes. Si, par exemple ils étaient accessibles aux clones de leurs titulaires.
– Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? En biométrie un iris cloné est la copie conforme de l’original, que je sache.
L’évidence même ! J’avais attendu qu’il vide les lieux pour de bon pour craquer en un tournemain les données cryptées glissées par Mathide dans un post-scriptum digne des plus grands stéganographes et, muni des renseignements indispensables, me précipiter sur l’ordi. Quelques manips – moins compliquées qu’on aurait pu imaginer – et bingo, sur l’écran une dégringolade de chiffres. Au 30/03/2221 – date du dernier relevé de ventes – le cumul de mes droits touchant à l’ouvrage « Hippocampe Twist » atteignait le montant honorable de 140 729 kreds ! J’avais failli tourner de l’œil. C’était la première fois que mes élucubrations artistiques ou assimilées me rapportaient quoi que ce soit. J’avais eu une pensée pour ma reum. Elle qui, chaque fois que je lui annonçais tout fiérot avoir sorti un nouveau squeud ou, plus tard, un premier bouquin, puis un deuxième, puis…, me répondait invariablement qu’elle était contente pour moi mais que « si ça marchait pas, à la maison je trouverais toujours de quoi manger et dormir convenablement ». Avec le daron c’était plus simple et limite moins déprimant. Du jour où je l’avais envoyé paître avec ses « hautes études commerciales » flippantes (cf « Hippocampe Twist »), il avait cessé d’accorder l’ombre du plus infime intérêt à mon devenir socio économique. Quand, lors de retrouvailles de plus en plus espacées et conflictuelles, la conversation venait à frôler le sujet tabou de mes velléités lyrico-scribouillardes, il quittait la pièce en soupirant.
– Pourquoi tu me parles de 140 729 kreds ? Tu les as ?
– Ça se pourrait.
– Et d’où tu la sors, ta maille, lapin ? Pas des poches des contribuables, j’espère ? On raconte tellement de choses sur les jeux de bonneteau en pratique dans les couloirs de l’Élysée…
– Même pas. C’est de la thune gagnée à la sueur de mon front d’écrivain.
Anthéa avait écouté mes explications d’une oreille distraite. Elle était déjà sur son portable à composer le numéro d’un pote à elle qui connaissait un pote qui connaissait…
C’est le branle-bas de combat dans le dortoir. La sonnerie proclamant l’ouverture du self vient de retentir. Nos futurs collègues de l’équipe de jour qui tapaient une écroule apéritive plus que méritée sautent à bas de leurs plumards. On suit le mouvement.
…à suivre des deux mains…