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« MARS 2221, roman » (chap 33 : « Une couille quelque part »)

« dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang

hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles

tombé à l’intérieur de soi-même retrouvé

les cloches sonnent sans raison et nous aussi

sonnez cloches sans raison et nous aussi »

                                        Tristan Tzara, L’homme approximatif

 

  1. Une couille quelque part

La requête d’Anthéa a été exaucée. Pendant qu’elle masse ses biceps endoloris, Nivek nous gave avec les hauts et les bas de son adolescence sous haute protection maternelle. La photo de femme à poil malencontreusement tombée de la poche de son anorak, le pardon sous condition de l’auteure de ses jours, en passant par l’évocation rougissante du bain quotidien obligatoire et, de fil en aiguille, sa rencontre avec Moushkra lors d’un stage en alternance au Pôle Cyber Sécurité de la Résidence. Leur passion partagée pour « Les Aventures de Sinbad le Marin », les lettres enflammées échangées depuis leurs dômes respectifs, les poèmes qu’il compose à son intention… Sérieux ça me troue le cul d’entendre celui qui, sous le nom de Stan, nous avait habitués à un parler bas de gamme sinon vulgaire – le sketch avec Darius en témoigne – nous régaler de termes hyper choisis, maniant le discours indirect avec aisance sans jamais omettre de faire précéder son « pas » du « ne » canonique.

Ça me troue le cul mais ça me rassure pas plus que ça. Sans être libellé quoi que ce soit commençant par « psy » et, à ce titre, légitime à encaisser une coquette rente hebdomadaire contre la location minutée d’une place au chaud sur mon divan Casto, je me crois capable de diagnostiquer un paranoïaque schizophrène pur jus quand j’en vois passer un.

– …À la seconde même où l’Éternel Yaboudhinchrillah – Son Nom soit béni aux siècles des siècles – eut-il souffert que je décrochasse mon diplôme d’ingénieur, mention TB, je retournai à la Résidence demander à son papa la main de ma Moushkra adorée. Pensez s’y j’étais dans mes petits souliers ! Fort heureusement, la réputation d’intransigeance à la limite de l’irascibilité de l’illustre chirurgien se révéla ce jour-là quelque peu exagérée. Sans aller jusqu’à prétendre qu’il admettait de gaîté de cœur que sa fille unique fût déjà en âge de convoler ! D’autant qu’à l’entendre elle lui rappelait trait pour trait son épouse et unique amour, emportée par une leucémie foudroyante quelques mois après la naissance de l’enfant…

Seule la vision insupportable du corps parfait d’Anthéa dispersé aux quatre vents me retient d’enjoindre à Nivek d’abréger ses conneries. Je me rappelle avoir antan, suite à un pari stupide, feuilleté quelques pages du regretté J. d’Ormesson ( prononcer « meusson »), franchement c’était pas pire.

Comme s’il avait lu dans mes pensées on dirait que le mec se ressaisit. Du néo romantisme à un euro (devise dans laquelle J. d’Ormesson, ayant mis des années à s’habituer aux nouveaux francs, n’avait encaissé ses royalties que sur le tard et avec méfiance) le voici qui renoue avec une approche lexico syntaxique fichtrement plus relâchée.

– L’ENCULÉ DE BEAU-PAPA DE SA GRAND-MÈRE LA SUCEUSE !!!

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 32 : « Tout s’explique (2) », suite et fin)

Bon d’accord, sur mon blog Médiapart ça pleut pas les « recommander », en revanche les fyreux m’ont l’air assez réceptifs. En tous cas moi je m’amuse bien à relire et à peaufiner « MARS 2221, roman » 🙂

résumé : lire le début du chapitre

Nivek répond pas. Visiblement ma question le gêne. Un condamné à mort a plus rien à perdre, je change de registre.

– Et le secret professionnel dans tout ça ? Moi qui croyais que la propension de cette brave madame d’Avila à écouter aux portes n’était qu’un gage supplémentaire de son dévouement au bien-être de ses patients !

Notre récente plongée dans la mémoire vive de Darius m’autorise à pousser mon avantage.

– Sinon ce qui déborde de ce gros sac, là, ça m’a l’air bien brillant pour des pommes de terre nouvelles…

Échange de regards entre les deux comparses. Je risque.

– Dites-moi si je me trompe, monsieur Kuduort. Madame d’Avila entend l’adjudant-chef me conter ses mésaventures à la mine et, allez savoir pourquoi, elle se dit que ça vaudrait le coup pour l’orpailleur dans l’âme que vous êtes de descendre faire un tour…

Le gendre de Poutine continue à garder le silence. Je me gratte le front.

– Sauf que j’ai pas souvenance que mon compagnon de chambre ait à un moment quelconque fait mention d’un filon aurifère.

Le mutique lâche un soupir à fendre l’âme. D’un seul coup le voilà qui craque. Il se prend la tête à deux mains.

– Je sais… Je sais… J’aurais dû me faire violence et OPTER POUR LE BAC PHILO !!! Mais cette filière récemment remise au goût du jour requérait une telle capacité de raisonnement ! De tels efforts de compréhension du monde qui nous entoure…

Avec Anthéa on est sciés. Qu’est-ce qu’il raconte ?

– Au lieu de quoi j’ai joué petit. Misant sur mes facilités en maths, je me suis orienté vers des études d’informatique.

Reniflements poignants.

– …Un cursus littéraire m’aurait pourtant aidé à surmonter mon goût immodéré pour les richesses matérielles… C’est dans la famille, que voulez-vous ! Papa a toujours été « près de ses sous » comme disent les gens du peuple. On raconte qu’à l’âge de dix ans il monnayait déjà le prêt des romans de SF qui s’entassaient dans l’armoire de sa chambre ! Maman, c’était la lunette des toilettes ! Elle en avait fait son combat contre le machisme. Elle exigeait de la voir rabattue en permanence, vilipendant avec force les usagers masculins qui, après l’avoir relevée pour uriner, la laissait trop souvent en l’état… Maman ! Elle me manque ! Oh Maître, si vous saviez comme elle me manque !

Anthéa profite d’un Nivek en pleine régression pour solliciter une faveur.

– Hem… Au cas où il y en aurait encore pour un moment, moi je veux bien être autorisée à baisser les bras…

 

…demain chap 33 : « Une couille quelque part »…

« MARS 2221, roman » (chap 32 : « Tout s’explique (2) »)

C’est qu’y avait du beau linge hier soir au stade de la Phronce. Le morveux, son barniais, son taïaut retaïaut, son tueur de faisans adipeux, sa pécheresse botoxée et, en guest stars, ses glorieux prédancesseurs : l’inventeur de la retraite à 43 annuités et un gibier de potence en cavale qui continue à en vouloir à son instit de lui avoir taillé les oreilles en pointe. Tout ça pour mater les cuisses épilées d’enshortés sans intérêt mais surtout affirmer la solidarité de la Phronce avec un gang d’extrémistes religieux, colonialiste jusqu’au génocide. Vive le sport.

 

Meanwhile, sur « MARS 2221, roman »…

  1. Tout s’explique (2)

– Ouaouh, Stan ! Comment tu causes la France quand tu t’en donnes la peine ! Alors toi aussi t’as lu Hippocampe Twist, le roman parfait qui dit pas « ne pas » ?

– Il n’y a plus de Stan, Maître. Il n’y en a jamais eu. Je confesse un certain talent pour modifier à volonté mon apparence physique…

Et moi je tiens un stand boucherie-charcuterie le dimanche sur le marché de La Ferrière !

– … Talent qui, par exemple, m’a permis de m’introduire ici sans éveiller les soupçons du gardien…

Geste en direction du manchot unijambiste qui saura plus jamais où donner de la tête.

– … Dont un excès de zèle m’a contraint hélas à le soustraire à l’affection de ses employeurs. Paix à ses logiciels intégrés ! Allons, assez tergiversé, Maître. Le moment est venu pour moi de vous révéler mon identité véritable. Elle explique le fait que je sois au courant pour l’étagère sans toutefois avoir eu l’honneur et l’avantage de lire Hippocampe Twist. Regardez-moi attentivement, Maître. Imaginez-moi avec une barbe et des lunettes de soleil… Il y a deux ans de cela… La Résidence… Mon beau-père, le célèbre chirurgien Poutine nous présente l’un à l’…

Vous me verriez prendre mon air stupéfait / pantois / éberlué / ébahi / abasourdi et l’entièreté du dico des synonymes…

– Attends ! Pardon, attendez… Nooon ! C’est impossible ! Monsieur Dur…Durkrot ??? Jamais au grand jamais j’aurais pu faire le rapproch…… Monsieur Durkrot ! Ça alors !

– Kuduort, Maître. Nivek Kuduort, pour vous servir… Pendant quelques minutes encore…

Reçu cinq sur cinq, enflure ! Le mec est sûr d’avoir enfin trouvé un plan d’enfer pour nager dans l’opulence  alors pas plus un pauvre couillon d’androïde que le Sage parmi les sages ont intérêt à se mettre en travers de sa route ! Je répète que quitter ce bas monde est tout sauf un problème pour moi. « Un temps pour vivre, un temps pour mourir », Ecclésiaste 3.1-15. C’est appliquée à Anthéa que l’idée me file de l’urticaire. Anthéa, c’est la première merveille du monde ! Loin devant le Taj Mahal, la muraille de Chine, l’Acropole ou la Grande Pyramide… Qui songerait un dixième de seconde à déconstruire la Grande Pyramide ?

– Ni – vek  Ku – duort ! Le monde est vraiment minuscule ! À propos… Fille ou garçon ?

– Deux petits garçons. Des jumeaux. Dans la famille Poutine c’est chose fréquente, m’a dit Moushkra.

Son ton s’est radouci. Ça l’émeut que je me souvienne du bidon XXL de madame.

– …Ah, Maître ! Que n’êtes-vous resté quelques jours supplémentaires à l’hôpital ? D’après Mme d’Avila…

– Vous connaissez l’infirmière-chef ?

 

…la suite demain si vous le voulez bien…

« MARS 2221, roman » (chap 31 : « Tout s’explique (1), suite et fin)

 

 

résumé : Anthéa et lapin sont mal barrés on dirait…

– « Cette furie », comme tu dis, c’est la copine du Maître.

– Le « Maître » ! Fais-nous des vacances avec tes conneries, tu veux ?

– Tu jetteras un cil sur le contenu du sac. Et ensuite on reparlera de mes conneries ! T’as apporté les lasers ?

– Dans le camion. Je m’apprêtais à les décharger quand mademoiselle a débouché en trombe. J’ai dû être clebs dans une vie antérieure ! Suffit que je voie quelqu’un courir, je peux pas m’empêcher de courir derrière. T’entends ? C’est de toi que je parle ! Garde les mains levées au-dessus de ta tête, c’est bon pour le cœur !

Mais le gendre de Poutine a l’esprit ailleurs. Il plonge dans la poche arrière de son froc poussiéreux. Quelques manips sur le clavier de son téléphone…

– « Cible détectée dans un rayon inférieur à 50 mètres ».

Comme l’auraient écrit deux siècles plus tôt un Taxmine Patcham ou un Mernard Binier : « un frisson glacé me parcourt l’échine ». De la nuque au trou de balle et retour.

Nivek se met à brailler.

– MAÎTRE ??? OÙ ÊTES-VOUS ??? AVEZ-VOUS BESOIN D’AIDE ?

À quoi bon faire durer une partie de cache-cache perdue d’avance ? J’agite une béquille au–dessus de la pompe de drainage pour signaler ma présence avant de – tant bien que mal – me remettre debout et clopin-clopiner vers le trio hétéroclite.

– Nan c’est bon, tout baigne ! Une glissade malencontreuse… Sacré Stan ! Il me semblait bien avoir reconnu ta voix… C’est qui avec toi ? Commandant Korbehn !!! Ma parole, c’est la journée des surprises ! Quelqu’un vous veut du mal, que vous ayez sorti votre artillerie, commandant ? Notez, on est pas plus en sécurité que ça dans les parages… La moitié de monsieur sans tête là, à dada sur son rail, c’est pas en éternuant j’imagine…

Quelques poussées vigoureuses sur mes béquilles et je rejoins tout le monde. Mes blagounettes pour détendre l’atmosphère ont pas atteint leur objectif, c’est clair. Korbehn regarde ostensiblement ailleurs. Il continue à masser les dorsales d’Anthéa avec son flingue pendant que Nivek y va de son speech.

Dont le flux policé contraste singulièrement avec celui du barbu à lunettes de l’iPhone.

– Il était une fois un Sage parmi les sages qui, ayant survécu à la chute d’une étagère et à ses conséquences majeures sur le devenir socio-économique de la planète…

 

…demain chap 32 : Tout s’explique (2)…

« MARS 2221, roman » (chap 31 : « Tout s’explique (1) »)

La relecture de MARS 2221, roman m’amène à réécrire certains passages. L’épisode d’aujourd’hui compte plusieurs de ces « ajustements ». Que les personnes qui ont acheté la version originale se consolent en se disant qu’un jour, ses occasionnelles lourdeurs de style et autres maladresses intéresseront les collectionneurs.

 

  1. Tout s’explique (1)

– Tu crois que ça se passe comme ça quand on meurt ?  Que d’un seul coup il fait plus noir que dans le cul d’un ours ?

– Pourquoi un ours ?

– Demande à mon premier chéri, un Canadien. « Fais pas la baboune !  On va se lâcher lousse en fin de semaine ! » qu’il me disait pour me remonter le moral en cas de besoin. Ou alors, quand je grillais pas un truc : « Ça prend pourtant pas la tête à Papineau ! » Le tout avec un accent québécois à accoucher dehors.

– « Coucher » devrait faire l’affaire… Hé ! Qu’est-ce que c’est que ce sifflement ?

– Ça vient de là-bas…

L’index d’Anthéa pointe l’entrée de la galerie n°2.

– La navette !

– Qu’est-ce qu’on fait ?

– D’après toi ?

Anthéa remballe dare-dare son home cinéma et saute à bas du rail. Je suis moins réactif, because les béquilles.

– Fonce et appelle un taxi ! Je te rattrape…

– T’es sûr ?

Devant mon insistance elle décarre. Je la vois disparaître au coin de la caverne pendant que, dans mon dos, le sifflement se fait tout proche. Galère, je plante ma béquille droite sur un truc mou qui me déséquilibre. Je me vautre en beauté. Finalement c’est aussi bien.  Debout j’aurais été visible depuis la navette qui vient d’entrer en gare.

C’est un Stan/Nivek Kuduort sans barbe ni lunettes que je vois sauter à bas du véhicule. Il se retourne pour tirer à lui un méga sac de toile qui s’écrase sur le sol dans un nuage de poussière. Je me recroqueville derrière l’espèce de pompe de drainage jusqu’à laquelle j’ai réussi à ramper. D’ici je peux me faire une idée précise du truc mou qui a entraîné ma chute. Une jambe. À tous les coups le membre manquant de ce brave Darius. Ajouté au bras qui faisait du stop dans la cour, plus la tête récupérée par Anthéa sur le toit du poste d’aiguillage, le compte est bon. Ça éparpille son monde, un tir de plasmok à bout portant !

– T’ES DANS LE COIN, NIVEK ?

Cette voix grave, rocailleuse, à la Darth « I-am-your-father » Vader dont l’écho se répercute entre les parois de la salle m’est pas inconnue… Me hissant de quelques centimètres circonspects, je mate en direction de la cour, d’où elle a été émise. Et là j’ai un choc. Anthéa ?  Elle aurait pris un coup de froid en traversant le no man’s land ? Une trachéite éclair qui lui aurait fait perdre trois octaves ? Elle a pas l’air de bonne humeur. Mieux vaut être seul que mal accompagné, faut dire. Collé serré derrière elle, une main fermement assujettie à la crosse du blaster appuyé contre son dos, continuant à lancer ses « Nivek ? » d’enfant perdu, qui d’autre que… le pacha du « Sun Dancer » !!!

– Korbehn ? Tu tombes à pic ! Tu vas… m’aider à…

Penché sur son sac, le chercheur d’or peine à reprendre son souffle. Il finit par se redresser. Pour s’apercevoir que son visiteur arrive pas seul. Il calcule la chevelure platine.

– Anthéa ! Qu’est-ce que…

– An-thé-a !!! C’est ça ! J’arrivais pas à mettre un nom sur cette furie. En même temps, j’ai pas à me rappeler l’état civil de tous les expats que je trimbale sur mon rafiot !

 

…la suite demain…