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« MARS 2221, roman » (chap 36 : « Emmanuel », suite et fin)

résumé : que la lumière soit !

– * Compatissante, j’acceptai d’intervenir. Emmanuel présentait les symptômes classiques d’un TDAH et j’avais mieux pour en venir à bout que toutes les « Ritaline », « Quasym » ou « Concerta » qui, des siècles plus tard, viendraient abrutir plus que guérir les enfants terreux diagnostiqués « hyperactifs » (et soulager leurs parents). Une maladie de Gélineau eût été exagérément sévère, aussi j’optai pour une bonne petite hypersomnie chronique. Elle suffirait à ramener le gamin à un comportement moins agressif. Je lui déclenchai donc sur le champ une attaque de ce trouble bénin, agrémentée pour faire bonne mesure d’une baisse momentanée de tonus musculaire…*

Haussement de sourcils suivi d’un gonflement discrètement expressif de la joue gauche, Anthéa partage mes doutes quant au crédit à apporter aux carnets de voyage de la tortue.

– *C’est alors qu’à ma profonde stupeur – je n’avais JAMAIS, de toute ma carrière, connu un tel fiasco – en réaction à l’intervention censée l’apaiser, la petite teigne s’était mise à redoubler d’une énergie mauvaise, donnant des coups de pied dans les murs, accablant Theophrastus de reproches et d’insultes indignes… «Vieux lozer sans la moindre zuzotte ! Ze suis la seule réussite dans ta pauvre carrière d’alcimiste de seconde zone et au lieu d’admirer ma brillante intellizence et m’encourazer dans mes prozets – car ceci est mon prozeeeeet ! – de sauvetaze du royaume de la Phronce menacé par une populace vicieuze et illettrée, tu prétends me faire soigner ! Grrr ! Z’ai bien envie de vous emmerder zusqu’au bout, toi et tous ces connards… ».*

La tortue secoue la tête.

– *Je revois le regard désemparé de Theophrastus. Je l’entends encore me chuchoter que lorsqu’Emmanuel perdait ainsi la raison, le seul moyen de le calmer était de lui faire inhaler quelques décigrammes d’une poudre à base d’Erythroxylum Coca, une plante rapportée tout récemment d’Amérique du sud par un certain Cristóbal Colón. De fait, ayant goulûment reniflé ladite poudre, le gnome caractériel s’était quelque peu radouci. Ce qui ne l’avait pas empêché, alors qu’il quittait la pièce sans y avoir été autorisé, d’adresser à son créateur navré un signe de la main étrange qui commençait à avoir cours au sein des jeunes générations terreuses. Le majeur seul se dresse hors du poing fermé…*

Le sommeil commence à me gagner. J’en peux plus de toutes ces conneries. Quand soudain eurêka ! Une explication se fait jour. Je crois comprendre pourquoi la tortue nous pompe l’air avec son Pinocchio psychopathe…À l’en croire, Emmanuel est seul, avant Anthéa et moi, à avoir encaissé sans broncher les effets de ses « taquineries ». Emmanuel est un homoncule. Conclusion, nous sommes des homoncules  !

Et pourquoi pas après tout ? À y réfléchir, existe-t-il une différence de nature entre la créature de Paracelse et les homo sapiensis de seconde main que nous sommes ? Issus nous aussi des manipes discutables d’apprentis sorciers en roue libre…

La petite créature va finir par choper un torticolis à secouer la teutê commace.

– * Ainsi Theophrastus aurait finalement récidivé ? Je suis déçue. *

Anthéa qui a elle aussi saisi l’embrouille, juge nécessaire d’intervenir.

Nous n’avons rien à voir avec Paracelse, je vous en donne ma parole. Mon ami et moi sommes des clones. Depuis Dolly-la-brebis la technique du clonage n’a cessé de progresser sur Terra. Le croiriez-vous, lapin ici présent est le clone de lui-même ! Pas son frère jumeau décalé dans le temps comme moi je suis la copie conforme d’une créature originale disparue depuis des lustres. Nan, lapin, ils ont poussé le bouchon jusqu’à lui injecter les données contenues dans son cerveau d’origine ! Lapin, il a 269 ans dans sa tête ! Ça présente pas que des avantages, croyez-moi ! Ni pour lui ni pour son environnement ! Genre il en est encore à la zique acoustique ! Donnez-lui un manche à balai et un morceau de ficelle et hop il vous bricole une… comment t’appelles ce truc déjà, lapin?

– Une guitare. Et tiens, puisque tu me donnes la parole, j’aimerais poser à madame la tortue une question qui me taraude depuis l’instant où – à point nommé, on l’en remercie – elle s’est matérialisée au pied du rail : d’où lui vient son acharnement à s’opposer à l’extraction d’un minerai pourave dont même les décideurs de General Irons veulent plus entendre parler ?

À voir la petite tête couverte d’écailles se réfugier à nouveau sous son abri ambulant, je me demande si j’ai pas commis un impair.

 

… demain chap 37 : « Un, deux, trois »…

« MARS 2221, roman » (chap 34 : « Les joies de la famille »)

  1. Les joies de la famille

J’ai cru comprendre que lorsque Nivek retournait au discours académique – comme en ce moment – ça sentait encore plus le pâté pour Anthéa et moi.

– …Lors de la signature du contrat, j’avais eu peine à cacher à beau-papa mon étonnement devant le pont d’or qu’il me faisait pour la pose d’un nano-traceur sur un de ses patients, aussi important soit-il à ses yeux. Il avait justifié la somme par le désir sincère de voir le mari de Moushkra (et heureux père des petits-enfants qu’elle ne manquerait pas de lui donner) à l’abri du besoin dans un monde qui n’était que danger et incertitude du lendemain. « Cela étant », avait-il ajouté à voix basse, « je n’ai pas pour habitude de jeter mon argent par les fenêtres… », puis, plus bas encore,  « …Je promets de vous en dire plus dès que vous aurez paraphé la clause de confidentialité en bas de page ». La vérole putride !!!

Ouf, retour à Graveland.

– Apprenez, Maître, qu’au-delà de l’admiration qu’elle voue à son cher papa…

Aïe ! J’ai parlé trop vite.

– …Moushkra lui a toujours reproché de consacrer plus de temps à ses travaux qu’à ses devoirs de géniteur. En contrepartie elle affiche un profond désintérêt pour tout ce qui se trame derrière les murs de sa « maternité ». Longtemps avant notre mariage elle m’avait vaguement parlé d’un personnage célèbre dont on entretenait les fonctions vitales en attendant que la science ait accompli les avancées nécessaires… Nécessaires à quoi, elle n’en savait rien et s’en moquait éperdument.

Nivek crispe les mâchoires.

– …Patience chère Moushkra ! Patience ! Nous serons bientôt réunis ! Je déposerai à tes pieds menus une montagne d’or sonnant et trébuchant. Je vous arracherai, les jumeaux et toi, aux griffes du monstre qui, sous couvert de protéger sa famille, ne pense jamais qu’à lui et lui seul ! Allant jusqu’à instrumentaliser les faiblesses de son gendre pour servir ses entreprises bassement matér… Meeeerde !!! Chiotte ! Bite à couilles ! La vie de ma tante, MAIS POURQUOI J’AI PAS FAIT PHILO ???

Vas-y ! Lâche-toi, pépère ! Dans ces moments-là ta main droite arrête de caresser la crosse de ton plasmok et nous on respire mieux.

– Je vous le garantis, Maître. Jusqu’à hier soir et l’alerte sur mon portable, je ne croyais pas une seule seconde qu’il puisse fonctionner, ce « capteur quantasonique »…

Se tournant vers son comparse :

– Et honnêtement j’étais comme toi, Korbehn. La probabilité qu’un mec – « Sage parmi les sages » ou quoi ou qu’est-ce – entende quelque part dans son moi profond un barrissement venu d’ailleurs dès qu’une occase de faire de la maille pointait à l’horizon, j’avais du mal à cautionner ! Pour dire, quand on lui avait monté ma balise sur les noix, au congelé …

Un réflexe de protection rétrospectif, je porte la main à mon entrejambes.

– …Je pensais à la bonne grosse enveloppe que j’allais enfouiller, full stop ! Rien que son âge, ça tenait pas la route ! À le voir, son VIP devait pas dépasser la trentaine et soit disant que son cerveau tapait les deux siècles et demi ! Pis quoi encore ? Il était temps de raccrocher les gants chirurgicaux, professeur Poutine !

Le rictus sardonique de Kuduort laisse place à une moue songeuse.

– Cela dit, un jour il m’avait sorti un fichier informatique bourré d’articles de journaux des temps prénucléaires…

S’adressant de nouveau à mézigue :

– Comment le nier ? Sur certaines photos vous faisiez plus que décati mais c’était bien vous, Maître. D’autres encore, comme celle où, inexplicablement rajeuni, vous sortez de l’Élysée bras dessus bras dessous avec la présidente de la république m’avaient franchement déstabilisé, j’avoue. Mais de là à avaler sa couleuvre de capteur quantique, à l’autre charogne…

 

…la suite demain…

« MARS 2221 » (chap 33 : « Une couille quelque part », suite et fin)

 

résumé : âmes sensibles, s’abstenir…

Allez je vous explique pourquoi il se marre, le Nivek. Jusqu’à l’âge de douze ans, mes vieux m’avaient laissé vivre en paix ma vie de cryptorchide moyen (kryptos = « caché », orkhis = « testicule»). D’aucuns misent sur le retour du Sauveur, à la maison on se montrait confiant en la descente de ma deuxième burne. « Vous verrez, à la puberté, ça se fera tout seul ! » affirmait le docteur en s’essuyant les pognes dans la serviette éponge que maman, debout à côté de l’évier de la cuisine lui tendait, moins convaincue de visite en visite. La puberté venue, j’avais eu beau palper minutieusement le contenu de mon pantalon de pyjama tous les matins au réveil, si la nuit m’avait porté conseil, ça s’arrêtait là. Un jour le docteur avait dû se rendre à l’évidence.

– Hum ! Ce garçon joue au football. Si d’aventure il recevait le ballon dans les parties, il est indispensable qu’il en ait une de rechange en cas d’écrasement de l’autre. Je propose de commencer par une série de douze injections de gonadotropines. Ce sont là des hormones glycoprotéiques complexes agissant sur les fonctions des gonades.

Deux fois la semaine pendant six semaines, mes parents (et la femme de ménage si elle passait dans le coin) m’avaient plaqué au sol pour que le docteur puisse me shooter sans se prendre une ruade. Résultat mitigé. Les gonadotropines miracle avaient boosté ma production de poils aux mollets et multiplié d’autant mon activité masturbatoire mais las, ni sœur Anne ni personne voyait quoi que ce fût descendre d’où que ce fût. De cryptorchide avais-je été aussi sec promu ectopiste titulaire et le cluster morphosyntaxique « intervention chirurgicale »  articulé (avec la gravité bonhomme engendrée par une dizaine d’années de vivisection animale et autant de découpages de cadavres plus ou moins anonymes) par le pédiatre auquel le docteur avait fini par m’adresser, avec son salut confraternel.

Une semaine plus tard, en trois coups de scalpel et un solo d’agrafeuse, un interne de l’hôpital Bretonneau avait brillamment corrigé l’anomalie potentiellement cancérigène (car, on l’aura compris, c’était là le souci véritable de mon entourage) tapie dans le slip du petit footballeur. Comment ce héros anonyme aurait pu se douter que, pas loin de trois siècles plus tard, au fond d’un tunnel de lave martien urbanisé, évolution oblige, on reparlerait de l’ingénieux croisement de testicules auquel il s’était livré aux fins d’éviter que la couille descendue manu militari se prenne, dans un accès de nostalgie, l’envie de regagner les hauteurs abdominales ?

Donc ouais, Nivek Kuduort était en droit de ricaner : la gonade mâle dont la position centrale sur le corps humain (cf le logo Manpower by Leonardo da Vinci) la qualifiait pour abriter son nano-traceur contre les parasites électromagnétiques, bien que située à gauche en entrant, était historiquement celle de droite.

– Ok mais alors… Si, grâce à votre petit bricolage, c’est par les roupettes que votre beau-père me tient … Son implant à lui…

Kuduort hausse les sourcils et hoche plusieurs fois la tête.

– … À quoi sert-il ? Bonne question. Honnêtement, jusqu’à hier soir, Maître …

Korbehn fixe le plafond en soupirant. Il a vraiment du mal avec l’obséquiosité de son pote.

– Je vous aurais répondu : « à m’arracher à l’affection des miens et rien d’autre ! »

 

… rendez-vous demain pour le chap 34 : « Les joies de la famille »…