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« MARS 2221, roman » (chap 47 : « Merveilles et Prodigieux »)

  1. Merveilles et Prodigieux

Pardonnez une fois encore mes références moisies mais la rotondité de la salle de shake autant que son ciel nocturne concave piqué d’étoiles scintillantes me renvoient direct au planétarium du Palais de la Découverte des années folles. À droite en entrant, une bulle antigrav du haut de laquelle, affairé derrière son guichet, Eliot Ness / Robert Stack du feuilleton télé « Les Incorruptibles » (encore un crush de maman) deale ses jetons avec parcimonie. Däk m’a expliqué que sur présentation de mon badge d’accréditation je m’en verrais gracieusement dispenser quelques-uns. C’est inclus dans le prix du séjour. Je gagne la bulle d’Eliot et lui tends mon sésame de jarosite. L’ayant dûment scanné, l’incorruptible me lâche mon comptant de chips et je rejoins les autres. Maîtresse Lawü et Anthéa sont déjà assises à papoter comme de vieilles copines de régiment. Däk me demande si tout est ok. J’agite ma poignée de jetons.

– Paré à flamber. Je voulais vous demander, Däk, vous pouvez nous éclairer sur ce qui se passe là-haut ?

Parce que dans tout ça j’ai pas mentionné l’improbable vivarium aérien qui fait le tour de la salle, juste sous le plafond cosmique. Une fresque vivante à la Santa Eulalia Ibiza du temps de sa splendeur night-clubienne. À part que les créatures phosphorescentes qui se meuvent derrière les vitres ont rien de pole danseuses nues élevées aux amphètes trempées dans la coke.

– Ce sont les six Prodigieux ! Leurs noms sont gravés dans le marbre du plateau. Vous pouvez voir ici les six rangées horizontales…

Däk pointe du doigt une sorte de tableau incrusté couvrant l’entièreté de la longue table autour de laquelle maîtresse Lawü, Anthéa et les autres gamers se serrent frileusement, impatients de se faire dépouiller de leurs économies.

– La rangée supérieure est celle de « Maa »… Ce gros gourmand de Maa !

Däk relève la tête et me montre le tricératops, là-haut dans sa vitrine, occupé à brouter l’herbe grasse de sa prairie HD.

– La deuxième appartient à « Dö »… Dö, c’est lui !

Däk désigne cette fois un hamster à écailles multicolores roulé en boule dans la paille de son box. Il plaît énormément à Anthéa.

– Trop moumoune avec ses moustaches en spirale !

– Au troisième rang nous avons « Nü-Nü ».

Nü-Nü me rappelle le phasme que le prof principal – je devais être en cinquième et j’avais d’autres soucis en tête, d’ordre sexuel principalement – nous avait apporté un jour. Pour nous distraire soi-disant. Au bout de trois semaines le tas de brindille de sa mère avait toujours pas bougé d’un millimètre. Le prof nous affirmait que c’était normal pour un phasme. D’accord mais un mois plus tard, en manipulant le bocal afin de lui changer sa feuille de salade en voie de putréfaction, il avait bousculé le truc qui s’était retrouvé sur le dos, les pattes en l’air, plus immobile que jamais. Le prof avait dû admettre qu’il était mort. Dead, kaput. Dans la classe, les rires avaient commencé à fuser. Vexé le prof nous avait filé une interro écrite sur les chéleutoptères.

– Sous Nü-Nü, c’est Limeh. La légende veut que la totalité des composés bipèdes évoluant dans les Mille Galaxies (dont les Terreux si chers à Lawü !) descendent de Limeh l’Ancien.

Là-haut dans la galerie un grand primate rose à oreilles de cocker s’accroche d’une main à la branche d’un bananier dont il vient de cueillir un fruit avec la deuxième. De sa troisième paluche il pêle maintenant la banane, portant pensivement à ses narines dilatées la quatrième et dernière, celle dont jusqu’alors il s’était servi pour se gratter le trou-de-balle. C’est vrai qu’il a quelque chose d’humain.

Je sais pas vous mais ce Limeh, tout comme son pote Maa me parlent. Quand Däk a fini de nous briefer sur les deux dernières rangées – « Tenken », la baleine chauve-souris et enfin « Khoo », une pieuvre au long bec emmanché d’un long cou qui de son perchoir vitré nous adresse bras d’honneur sur bras d’honneur – j’ai plus aucun doute.

Däk retourne à la grille de la table de jeu.

– …Croisant les rangées horizontales, les quatre colonnes verticales sont celles des quatre Merveilles, reconnaissables par leurs symboles : l’œil d’Elug-iwe, Páhor et son gouvernail, le nœud gordien de Tangtak et l’immanquable lemniscate de Kitta, figurant le couloir obscur du Void…

Plus que troublé, j’ai du mal à me concentrer sur les explications de ce brave Däk.

 

 …demain chap 48 « Shake, rattle and roll »…

« MARS 2221, roman » (chap 46 : « Allo c’est Johnny », suite et fin)

résumé : elle a pas la langue dans sa poche, maîtresse Lawü…

– Chez une espèce douée de raison, Däk chéri, l’aberration dont vous parlez n’aurait jamais trouvé d’écho ! Je déclare que, malgré les innombrables tentatives du Conseil des Pierrots pour les amener à évoluer – quelle patience ! – les Terreux ne sont et ne seront jamais à même d’intégrer le concept de « contingence créatrice ». Il suffit pour s’en convaincre d’entendre un de leurs prétendus savants clamer haut et fort que « Dieu  ne joue pas aux dés » ! Grand Pierrot ! Pareille ineptie témoigne chez son auteur de la tragique incompréhension du monde qui l’a inconsidérément engendré ! Qu’en pensez-vous, Anthéa ? Et vous Lapsonami ?

Je constate que j’ai abandonné toute velléité de revenir sur le malentendu touchant à mon état civil. « Lapsonami », « Franck Richard », « Franck-Yvon Richard », «Heffi Grecker», au bout du compte, comme on s’interrogeait déjà au pays des responsables du génocide amérindien, du « San Juan Bautista », d’Hiroshima et du chewing-gum à chlorophylle : « who gives a fuck ? ». Oserais-je vous confier, ami(e) du 23ème siècle, qu’au temps de ma première jeunesse, sur un 45t sorti chez Phonogram – parenthèse presque glamour dans mon karma de clodo – je me suis même appelé « Cyril Fontaine » ! Si si ! Mon producteur me faisait profiter de sa Cadillac et m’invitait dans des restos chics. On était devenu une paire d’amis. En sortant de nos séances de nuit (croyant ainsi promouvoir l’art lyrique il me droppait sans arrêt pour cause de diction imparfaite, ruinant le semblant de feeling que j’essayais de mettre dans ma voix de chiottes) je l’accompagnais à l’hosto de garde pour son shoot de pénicilline sous le manteau. Il avait toujours une blenno sur le gaz, Gérard ! Marié et père de famille il aimait autant que ce détail de l’histoire restât entre lui et moi et les putes dont il usait et abusait. Ayant longtemps été en charge du devenir artistique de Johnny « C’est bien ! Continue à garder la passerelle  » Hallyday, il me lâchait des anecdotes croustillantes sur l’Idole des Jeunes. Une grande dépressive devant l’Éternel Yaboudhinchrillah, l’Idole des Jeunes ! Une nuit de crise aigüe qu’elle téléphonait pour se faire remonter le momo, c’était la bergère de Gérard qui avait décroché.

– Allo, c’est Johnny…

– Oui eh bien Johnny ou pas Johnny, il est trois heures du matin et on aimerait pouvoir dormir tranquillement !

Dans ses petites santiags il était le lendemain son Gégé quand l’Idole des Jeunes, des valoches de 50 kilos dégoulinant de ses Ray Bans, avait fait son entrée dans son burlingue.

– Lapsonami ?

– P…Pardon ? O… Oui, absolument !

Anthéa comprend que je viens de frôler la remontée hippocampique. Elle me couvre.

– Nous sommes entièrement d’accord avec vous, maîtresse Lawü. À l’évidence, les Terreux ne sont pas près d’accéder à l’« humanité » à laquelle ils se targuent d’appartenir.

– Bien dit, ma chérie ! Des humains ces gens-là ? Ils n’arrivent même pas à la cheville de composés souvent beaucoup plus avancés qu’eux dans l’Évolution mais qu’ils tiennent sous leur férule, les appelant « animaux » ! Quelle insondable fatuité ! Des humains ? Ils ne pensent qu’à s’escroquer les uns les autres ! Entre deux guerres fratricides et trois pandémies tout droit sorties de leurs laboratoires nauséabonds ! Depuis qu’ils en ont pris le contrôle, Terra est devenu un boulet que les Mille Galaxies auront à traîner « aux siècles des siècles », selon la formule absconse de leurs gourous du dimanche matin !

– Luwä, ma mie ! Anthéa et Lapsonami sont en vacances ! Si nous nous désintéressions un instant du sort des Terreux pour nous réjouir de l’imminence d’une shake session que je pressens plus divertissante que jamais ?

Maîtresse Lawü admet en riant s’être quelque peu laissée emporter. Nous finissons de siroter nos Specials quand une des portes à double battant qui font le tour de l’atrium s’ouvre en douceur. Un paisible mouvement de foule arrache alors la trentaine de gamers en attente à leurs chippendales virtuels et les aspire vers le shakodrome.

 

…demain chap 47 : « Merveilles et Prodigieux »

« MARS 2221, roman » (chap 46 : « Allo c’est Johnny »)

  1. Allo c’est Johnny

Anthéa est pas longue à maîtriser les subtilités de la navigation psycho tactile. En trois coups les gros elle réussit à appeler la cabine du Peregrin SF4 et à la piloter sans à-coups  jusqu’à l’orbe du « Red Joystick Shaker ». Le Peregrin nous largue sur une vaste esplanade de granit rose avec, en son centre, la fontaine Art Nouveau de rigueur. Les anciens Romains parleraient d’atrium. Un très très haut plafond soutenu par quatre colonnes élancées nous asperge de sa lumière iridescente. De droite et de gauche autour de la fontaine, des plateaux antigrav livrent leurs commandes aux tables sans pieds de consommateurs assis sur des chaises invisibles. Ça gravitonne à fond dans le quartier.

– Anthéa !!! Lapsonami ! Par ici ! Regarde, Däk ! Les jeunes gens que Mustalpha nous a présentés hier !

Maîtresse Lawü est resplendissante dans un boubou coquille d’œuf en fibre d’algue qui laisse parler sa poitrine généreuse. Son mari – maintenant on sait qu’il s’appelle Däk – nous remet pronto dans un large sourire tandis qu’elle tapote le vide à notre intention de part et d’autre de sa personne.

– Asseyez-vous, asseyez-vous ! Que désirez-vous boire ? Avez-vous testé le Joystick Special ? Incontournable avant une shake session !

Anthéa, vous vous en doutez, a tout de suite repéré les minuscules pédales fichées dans le sol. De la pointe du pied elle en presse une et les contours d’un repose-fesses tout confort se dessinent dans l’air. Avant de s’effacer par magie à la seconde où elle leur confie son popotin joli. Tentant de faire passer mon hésitation pour un geste de galanterie, j’attends que ma chérie ait pris ses aises avant d’actionner à mon tour la pédale à gauche de maîtresse Lawü. Tout se passe bien et je me pose en remerciant la dame de son accueil. Elle me renouvelle son sourire de bienvenue.

– …Car vous êtes venus jouer, n’est-ce pas ? Vous avez choisi la meilleure séance ! Avant qu’il y ait foule autour du plateau et que le croupier en profite pour bâcler ses shakes …Et multiplier les profits de la maison ! Däk, nos amis meurent de soif !

D’un index impeccablement manucuré le gentleman aux tempes grisonnantes s’affaire un instant sur le clavier de la table tandis que son épouse questionne aimablement Anthéa.

– Dites-moi tout. Vos premières impressions sur Skomäth-Hellian ?

Enthousiasme non feint de l’interviewée.

– 20/20 avec mention ! Une interprétation sans faille des lois de la physique des particules…

– N’est-ce pas ? La Spirale W1745 est renommée pour la qualité de ses ludomaines. Et Skomäth-Hellian en est un fleuron. J’espère du fond du cœur que nous saurons tenir à distance les barbares de Terra-la-Honte! Le bruit court qu’ils ont commencé à coloniser la planète.

– Lawü ! Vous êtes trop sévère avec ces malheureux ! L’aberration mystico économique qui depuis quelques millénaires ravage leur monde est pour beaucoup dans leur comportement hasardeux…

L’arrivée de nos Joystick Specials – de petites lampes d’Aladin finement ciselées dont la transparence révèle un liquide couleur lavande nappé de neige carbonique – interrompt la plaidoirie de Däk. Mais profitant de ce que ses lèvres se sont refermées autour de la paille spiralée, maîtresse Lawü revient à la charge.

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 44 : « Photon mapping », suite)

résumé : Lapsonami taquine le liftier…

– Adjacente au salon panoramique, la suite « Red Joy Recline », tout en marbre de Céphée est conçue pour offrir à notre aimable clientèle un sommeil d’une qualité rare.

– C’est pas un peu raide sous les reins, le marbre ? Pour compenser vous avez prévu un bon gros matelas, j’espère !

De boudeuse, l’expression du liftier vire à la réprobation pincée.

– Monsieur aime à plaisanter… Maintenant si Monsieur n’a plus besoin de moi…

– Grâce à tous ces précieux renseignements on devrait pouvoir s’en sortir, mec.  Ah, une dernière chose…

– Monsieur ?

Je sors le badge de ma poche.

– Auriez-vous une bonne table à me conseiller ?

Spirou 2 jette un œil blasé sur la lamelle de jarosite avant de rétorquer, son tact professionnel inentamé :

– La renommée du Red Joystick Shaker est loin d’être usurpée, que Monsieur en soit certain. La qualité des participants… Le plafond quasi illimité des mises…

Puis, pris d’un doute soudain :

– Cela dit… Skomäth-Hellian regorge d’établissements tout à fait honorables…

Serait-ce que finalement, au vu de mes manières douteuses il me calcule sans problème dans l’arrière-salle enfumée d’un bar à putes ?

– Nan, nan, votre « shaker » me va nickel, vieux. C’était histoire d’être sûr.

Pour le finir, à sa surprise un tantinet inquiète j’applique le badge contre son oreille.

– Écoutez attentivement ! Vous n’entendez pas une sorte de son complexe, résultante d’une vibration fondamentale de fréquence f1 à laquelle se superposent les vibrations harmoniques dont les fréquences sont ses multiples ?

– Puisque Monsieur le dit… Mais alors très très confusément… Maintenant si Monsieur m’y autorise, avant de prendre respectueusement congé de Monsieur il me reste à m’assurer que Monsieur est au fait du maniement du Peregrin SF4.

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 44 : « Photon mapping »)

Eh oui les votants, le morveux continue à vous rouler dans la farine démocrateuse ! 🙂

Pas grave, il vous reste la relecture quotidienne et gratuite de « MARS 2221, roman » !

  1. Photon mapping

Un Spirou peut en cacher un autre. Le groom qui, sur l’injonction silencieuse d’Ovaï pointe sa casquette « boîte-à-camembert » hors du tube métallique est la copie conforme de celui qui proposait de porter nos bagages.

– *Liftier, escortez Madame et Monsieur jusqu’à leur biotope. Orbe Ti’ao Sä, alvéole 112.*

Spirou 2 se fend d’une courbette. Comme Spirou 1 il est équipé en cordes vocales.

– Si Madame et Monsieur veulent se donner la peine…

Sa main gantée de blanc nous indique respectueusement l’entrée de la cabine. Spacieuse, claire sans la moindre source de lumière apparente, molletonnée du sol au plafond, elle épouse au millimètre la forme du méga tube qui la contient.

Spirou 2 pianote sur un tableau de bord invisible. Les portes concaves se referment en silence et on décolle. Beurk, mon estomac a du mal à suivre.

– Super matos !

On le sait maintenant, Anthéa est passionnée de mécanique. Son compliment est reçu avec une fierté non dissimulée.

– L’habitacle modulaire du Peregrin SF4 génère des champs gravitationnels asymétriques dans son environnement immédiat, rendant possible son déplacement tridimensionnel dans les couloirs de communication…

Il a pas le temps de s’étendre. Une nouvelle nausée me signale qu’on est arrivé. Re manipe ésotérique, les portes de l’ « habitacle modulaire » se désunissent dans un pshhhh à peine audible et là… Et là !!!

J’en ai le souffle coupé.

En témoigne la tablette de Legrand – je sais plus laquelle, la verte ou la jaune ? Faudrait relire Hippocampe Twist – en tant que Sage entre les sages, avec Marcel (et son « Robert » chéri) des palaces, paraîtrait que j’en aie écumés quelques-uns ! De New York à Doha en passant par les Maldives, on les a fait swinguer les notes de frais de la GAMACON… Bon mais là on est carrément dans autre chose. Comment vous décrire le genre de mini éden qui s’offre à l’ébahissement du chaland ? On hésite à risquer un pied hors de l’ « habitacle modulaire » tellement on se dit qu’on nage en plein hologramme. Que si on fait mine de s’engager entre les parterres de coréopsis multicolores, les lupins au garde-à-vous, les massifs de pavots flamboyants, les lys d’un jour, les sédums, hémérocalles, jasmins et autres gardénias, on va passer direct à travers la moquette vert gazon. Spirou 2 réprime un sourire condescendant. Sans qu’il y ait écrit « immigrants Terreux en rupture de dortoir » sur nos fronts de voyageurs sans bagages, il a intégré qu’on est pas non plus les rupins intergalactiques qu’il a l’habitude de driver. Il récite méticuleusement :

– Le salon panoramique de l’alvéole se trouve au fond de l’allée principale. Sur votre gauche, les thermes. Tepidarium, caldarium, laconicum, spa, alcôve ciel de p…

– Alcôve ciel de pluie ? Yess !

Cédant à l’appel de la mousse de savon et du shampoing aux herbes, Anthéa nous laisse tomber comme des merdes.

Un chouye déstabilisé, Spirou 2 boucle quand même son tour du proprio.

– Le dégagement sur votre droite mène à la taverna. Le robot cuisinier y déclinera à votre intention une carte inépuisable de spécialités empruntées aux plus subtiles pratiques culinaires des Mille Galaxies.

– Cool. Sinon, y aurait pas un pieu quelque part ? Je sais pas si c’est l’air de l’Aquadrome, je sens monter une petite fatigue.

 

…la suite demain (et c’est pas des macronneries)…