Archives par mot-clé : Goncourt 2024

« MARS 2221, roman » (chap 16 : La poutre dans ton œil)

Il continue à s’en passer de belles dans l’arbre à tomates, même le dimanche ! Cette relecture  de « MARS 2221, roman » se révèle de plus en plus passionnante.

 

16. La poutre dans ton œil

 Bâtiment C. Au terme d’un chemin de croix interminable à travers calibreurs, laveurs, séchoirs, équeuteuses, brosseuses, éplucheurs à corindon rotatif (ou à couteaux), les patates, carottes, navets – les Jardins Suspendus s’honorent de satisfaire également les amateurs de manioc, topinambour, poire de terre, oca du Pérou, glycine tubéreuse, igname, crosne et autres ulluques – sont débarqués en douceur sur des autels déroulants à quatre voies, en offrande à autant de conditionneuses voraces. Il me faut m’arracher à la contemplation incrédule de ce Moloch végétarien car il est 14 h 29 et j’ai rencard à 14 h 30 près des bancs à tubercules. Ponctuel, Tyler Jérôme vient à ma rencontre. Il me tend cinq grosses chipos calleuses à travers leur emballage plastique.

– Salut. Bon, autant que tu le saches et j’en suis pas fier, c’est moi qui avais recommandé à Valbueno l’indélicat récemment composté par ses gorilles. Je compte sur toi pour m’aider à me refaire une crédibilité. D’après ce que m’a dit Anthéa…

– La beu et moi c’est une longue histoire d’amour.

Longue de deux siècles et demi mais ça, ça le regarde pas. Il hoche la tête plus ou moins convaincu et me guide vers un cube de verre qui nous propulse en deux temps trois mouvements vers les hauteurs du tomatier. Enchevêtrement inextricable de branches épaisses et noueuses depuis lesquelles d’autres ramifications de plus en plus modestes plongent et se redressent, offrant leurs grappes multicolores aux mains expertes des récolteurs. À la sortie du cube, une espèce de boulevard, transparent lui aussi, façon « Grand Canyon Skywalk » sur lequel mon guide m’invite à avancer. Malade de vertige mais c’est ça ou redescendre aux patates, je m’exécute. Perchée sur son escabeau une cueilleuse se retourne sur notre passage.

– Salut Tyler, on en est où de mon augmentation ?

– Demande au kyste. Tu te renseigneras pour la mienne par la même occasion.

Il ponctue sa vanne d’une main au cul franche et massive. En représailles, la cueilleuse fait mine de lui balancer le fruit gorgé de jus qu’elle tient dans son gant en caoutchouc mais Tyler est déjà loin. Je le rattrape alors que, téléphone à la main, il compose le code d’ouverture d’une petite porte grillagée, à peine visible entre les branches.

Danger ! Clôture sous tension

Accès réservé aux auxiliaires de maintenance

 La diode de la serrure clignote. La porte s’ouvre. On entre.

– Attention la tête !

Tyler Jérôme referme soigneusement derrière nous. On navigue au jugé dans une jungle obscure, évitant comme on peut les mastra tentacules végétaux qui obstruent le passage. Le puits de lumière pourtant pas loin au-dessus peut pas grand-chose contre l’épaisseur de la canopée.

– Bienvenue à Bornéo !

Après trente secondes de parcours du guérillero on arrive à un étroit escalier descendant. Jérôme baisse la tête pour pas se prendre la poutre rouillée qui barre la première marche. Passé de l’autre côté il se retourne.

– Reste là. Je descends dire à Valbueno que t’es arrivé. J’en ai pas pour longtemps.

 

la suite demain

« MARS 2221, roman » (chap15 : L’arbre à tomates, suite et fin)

Plus je relis « MARS 2221, roman », plus j’envie les lecteur(e)s du XXIIIème siècle. Sinon vous avez une idée pour votre série Nextflip de ce weekend ?

 

résumé : il s’en passe de belles dans l’arbre à tomates…

Faut que je vous parle de l’arbre à tomates. Étirant vers le haut ses branches ramifiées à l’extrême jusqu’à tutoyer la triple épaisseur de poly méthacrylate de méthyle du puits de lumière, dardant vers le bas ses racines à travers trois niveaux d’un substrat composé de sels minéraux et de tout un catalogue de nutriments essentiels à sa bonne santé, amoureusement entretenu par plusieurs brigades de bots dédiés, le monstre végétal occupe presque tout le flanc gauche de la cathédrale maraîchère. Autour de son tronc séquoïesque, une flopée de monte-charges grillagés relient dans un va et vient incessant les passerelles des cueilleurs aux magasins du rez-de-chaussée, où les tomates sont triées, calibrées et enfin acheminées vers les plateformes du centre d’expédition. Va savoir par quels mystères de l’hybridation les ingénieurs parviennent à en diversifier les variétés ! T’as des « cœurs-de-bœuf », des « noires de Crimée », des « roses de Berne », des « ananas »… La concurrence américaine, chinoise, Indienne – les Russes n’en parlons pas – reste sur le cul devant pareille prouesse néo agriculturale.

– Dans l’arbre à tomates ? De belles ?

Anthéa approche encore son museau du mien. Je lui roule une pelle réflexe. C’est encore raviolis ce midi à la cantine. Des raviolis à l’ail et aux oignons.

– Ça t’apprendra !  Bon tu m’écoutes ?

– Je suis tout ouie.

– Alors accroche-toi. Ils font pousser de la beu, là-haut !!!

Tu délires.

– Je délire mon cul. Kyste Graisseux est au courant. Même qu’il bouffe au râtelier, le nabot. Radegonde aussi a droit à sa petite enveloppe tous les mois… L’ingénieur agro à la tête du trafic – Juvénal Valbueno il s’appelle – a su les appâter comme il fallait. Il leur a servi l’histoire des Trois Sœurs ?

– Y a des religieuses dans le coup ?

–  Plein ! Et des pets de nonne, c’est obligé ! Nan « Les Trois Sœurs », c’est le nom d’une méthode de compagnonnage végétal vieille de 6000 ans. Les paysans incas avaient découvert que faire pousser ensemble du maïs, de la courge et des haricots boostait la récolte de chacune des trois plantes. « Pourquoi pas appliquer la même recette aux tomates des Jardins ? » qu’il avait suggéré, le Valbueno. D’après lui, question vigueur, rapidité de mûrissement, résistance aux maladies, les chéries auraient tout à gagner à laisser quelques racines de chanvre médicinal se mêler aux leurs. Dans la conversation – c’est là qu’il avait fait fort – il avait glissé qu’après tout ce serait dommage de pas tirer parti de l’intérêt économique du cannabis compagnon. Sa teneur en THC surmultipliée par sa fréquentation assidue des plants de tomates en ferait sans conteste un must sur le marché de la fumette martienne. Tu penses que, même si légalement y aurait eu à redire, Radegonde et Kyste Graisseux n’ont pas résisté longtemps à une opportunité pareille d’arrondir leurs fins de m…

– Bon ap’, les amoureux ! Qu’est-ce qu’on a au menu, ce midi ? Des raviolis j’espère !

Dame Meertens débarque avec son mari. Ils sont tout guillerets. Ils ont reçu des nouvelles de Terra. Leur fille aînée est en cloque. D’accord l’enfer climatique, évidemment les attentats nationalistes, bien sûr le fanatisme religieux mais on a beau dire, arrêter de faire des enfants c’est pas la solution non plus !

– Ce sera un petit garçon une fois ! Il vont l’appeler Cyrus, comme son grand-père !

Meertens a pas le temps de bomber le torse que sa bergère enquille :

– Bon, ça n’est pas ce qu’on fait de plus recherché mais en même temps les prénoms tendance – Alain, Julien, Emmanuel et consorts – manquent un peu de virilité, je trouve…

Nicéphore Beautrelet, un pasteur black ami du rabbi, dépose à son tour son plateau sur la table. Il en veut pas aux Belges de l’annexion du Congo – c’est si loin tout ça ! – et félicite chaleureusement les futurs grands-parents. À l’entendre, une politique résolument nataliste est seule à même de faire retomber la juste colère du Créateur. J’attends pas la fin de l’homélie pour driver discrètement Anthéa vers la machine à café. Négligemment appuyé contre le mur je touille mon caoua.

– Donc les Jardins Suspendus font fumer toute la planète Mars. Et ?

– Et il arrive de temps à autre qu’un petit malin s’amuse à détourner une partie de la récolte. À essayer on va dire. Parce que l’ingénieur Valbueno, il a l’œil. Et très très mauvais caractère. Et une équipe de surveillance qui applique la consigne. La semaine dernière, on a retrouvé une chaussette dans le filtre du broyeur à compost. Une seule.

– Ambiance.

– Conséquemment un poste est à pourvoir.

 

 

demain, chap 16 : « La poutre dans ton œil »

« MARS 2221, roman » (chap 15 : L’arbre à tomates)

À l’intention des nouveaux arrivants, ici sur fyr ou sur mon blog Médiapart, bienvenue chez un auteur-éditeur qui aime se relire et pas que pour s’auto congratuler. « MARS 2221, roman » papier est en vente depuis mars 2024 en mode « impression à la demande » mais les libraires « indépendants » 🙂 ont trop à faire en tant que fourgues des cartels de la page imprimée pour lire et éventuellement conseiller à leur clientèle le travail d’un auteur-éditeur (pour plus de  détails, lire ici Demandez « MARS 2221, roman »  et aussi Continuez à demander « MARS 2221 » ou sur Médiapart :  Impression à la demande, librairie indépendante, écologie et littérature + Impression à la demande, etc… (suite et fin) .

« MARS 2221 » existe également en livre numérique (ebook, kindle), ce qui me permettra un jour d’en publier, à moindre frais, une version 2.0 comportant les menues corrections / améliorations que la présente relecture me suggère au jour le jour. Je tiens toutefois à préciser que, globalement, jusqu’ici « MARS 2221 » me satisfait tel quel. Rapide, musclé, intransigeant, différent, je le recommande chaudement à des cerveaux rapides, musclés, intransigeants et (là est la clé) différents.

 

15. L’arbre à tomates

255 ans en arrière sur Terra les mornes plaines du Hurepoix se la jouaient pas encore désert de Gobi. Pour se faire un peu de maille pendant les vacances d’été, avec Serge on avait tenté de s’enrôler dans un contingent de ramasseurs de pommes de terre. Trop jeunes, on s’était fait jeter. Trois jours aux Jardins m’ont suffi pour comprendre que c’était ce qui pouvait nous arriver de mieux. J’ai les reins en capilotade.

Comme toujours Anthéa a su tirer son épingle du jeu. L’ayant vue rafistoler les doigts dans le nez un tapis roulant qui donnait des signes de faiblesse, Tyler Jérôme s’est dit que cette surdouée méritait un autre karma que remplisseuse de cageots.

– Dis ‘Théa, ils ont pas besoin d’un arpète au service maintenance ?

– Depuis quand tu fais la différence entre une vis Philips et une Pozidriv?

– Je demande qu’à apprendre.

– Il est mignon ! Cela dit…

– Cela dit ?

– Depuis le temps que tu me serines avec tes talents de planteur de beu…

Janville/Juine, printemps 1982. Le propriétaire bègue de la jolie petite maison près du lavoir a dédécidé dede la memettre en venvente. On est priprioritaire pour l’a’acheter mais on a papas la thuthune. Anyway c’est le commencement de la fin de ma longue, tendre mais chaotique histoire sentimentale avec Sa Majesté Mulot 42 (nom de code de Marie). Elle rentre à Paris. Elle kiffe la vie là-bas. Pas moi. Denis, le designer de la pochette de « Titanic », est l’heureux locataire d’une grande baraque à Cerny, un bled voisin. Il offre de nous héberger, mon piano et moi, le temps que la gloire et ses retombées financières nous sourient. Une grande baraque avec un grand jardin. Un très grand jardin. Tellement grand qu’impossible à entretenir dans son entièreté. Les hautes herbes, les ronces et les orties ont pris possession de l’ancien verger. Parallèlement on en a marre d’engraisser les dealers, donc… Mais aux premiers coups de bêche, le moral retombe. La terre est dure comme du ciment. Vingt ans qu’elle a pas connu, ne serait-ce que le gratouillis d’une binette. Kurt (le choriste-saxophoniste-pharmacologue de Chère Crainte, présent sur « Titanic ») passe souvent dans le coin. Il a pas tout à fait terminé de claquer en dope et en restos l’épargne-logement que ses honnêtes commerçants de parents constituent à leur fils unique depuis le jour sa naissance.

– On oublie l’arrosoir. Il nous faut une irrigation à la hauteur.

Ayant dit, Kurt déclare prendre en charge la note de flotte. Et financer les soixante mètres de tuyau nécessaires à son acheminement vers la plantation. N’ayant rien de spécial à faire de mes journées de starlette en stand-by, je propose de mettre ma force de travail au service de la communauté. En une semaine je fais surgir du désert un îlot de terre vierge de toute racine, absent du plus minuscule caillou. Un îlot de cinq mètres sur quatre on ne peut plus propice à la culture intensive du cannabis sativa sisativa samva. Le terme « îlot » est d’autant mieux approprié que, tout autour, j’ai creusé une tranchée de trente bons centimètres de large sur une vingtaine de profondeur. Cette tranchée recevra chaque matin, grâce aux moyens techniques de Kurt, un apport en eau claire susceptible d’entretenir jusqu’au soir et quelle que soit l’ardeur du soleil un micro climat propice à la germination heureuse d’une bonne centaine de graines du meilleur cru. Rebelote à la tombée de la nuit. Un mois et quelques m3 plus tard, une bonne centaine de jeunes pousses vigoureuses manifestent leur volonté de s’enraciner au cœur de notre jardin extraordinaire. Fin août, elles se sont transformées en une bonne centaine de pieds hauts d’un mètre cinquante à deux mètres. Une « française » pleine de promesses dont nous tardons pas à déguster les feuilles du bas, torréfiées à point dans une grande poêle. Kurt, toujours lui, se charge de l’opération. Il appelle ça une « fricassée ».

Qu’est-ce qui te fait sourire ?

– Je souris moi ? Un rictus de douleur. J’ai plus de dos. Tu disais pour mes talents de planteur?

Anthéa se penche par-dessus son assiette.

– Entre toi et moi, il s’en passe de belles dans l’arbre à tomates.

demain la suite …

sinistre israélien + « MARS 2221 » (chap 14 : Les Jardins Suspendus)

On dit le QI des libraires indépendants mais parlons de celui des IA ! En quête d’une image pour mes « jardins suspendus », j’ai cru pouvoir miser sur les capacités d’analyse et de synthèse artistiques de CoPilot, l’IA de Microsoft dispo sur le ouaibe. Je  vous épargne le résultat.

Et tiens, en place de prétendue intelligence, je vous propose une illustration de la connerie réelle, cruelle, putride et sans excuse d’un certain premier sinistre israélien criminel de guerre et sa menace brandie à l’encontre de la population libanaise d’avoir à « subir des destructions comme à Gaza s’ils ne libéraient pas leur pays du Hezbollah ».

 

But ze show must go on ! Retour à « MARS 2221, roman » !

14.  Les Jardins Suspendus

 On ressemble à un escadron de cosmonautes des temps héroïques (« One small step for a man, one giant leap for mankind ») recyclé dans la médecine légale. Je suis le dernier à sortir du vestiaire, le zip de ma braguette était coincé.

– Un… deux… trois, quatre, ah et voici le cinquième… le compte est bon », couine Ramakanta Agarwal, quinze ans de supervision générale à la production horticole des Jardins Suspendus. « …Comme je dis, en sus de la planification des activités selon les objectifs quantitatifs et qualitatifs à atteindre, la vérification au quotidien de l’état des plants et bien sûr, en amont, la collecte des données technico-économiques propre à orienter les choix de l’entreprise en termes d’espèces et de variétés à produire afin de conforter notre pole position sur un marché planétaire des fruits et légumes en perpétuelle mutation…

Jamais il respire, le mec ?

-… sur mes frêles épaules repose le pilotage des équipes de bras cassés que Mme Cherkaoui s’obstine à m’adresser. D’après vos fiches…

Le nain obèse jette un coup d’œil de confirmation sur la tablette qui jusqu’ici lui a servi d’éventail.

– … vous vous y connaissez autant en ultraponie que ma chère et tendre en drone surfing. Néanmoins le déficit de main d’œuvre qui règne sur Mars plaidant pour une formation aussi accélérée qu’illusoire, vous avez une semaine pour assimiler les bases d’une pratique qui, comme il est dit en introduction de vos manuels… Faites passer…

« Initiation à l’horticulture martienne ». C’est le titre de la tablette que le méprisant nous enjoint de lire dans les plus brefs délais.

– … « accélère le processus de maturation des fruits et des légumes grâce à un rythme nycthéméral démultiplié ». D’où nos performances en progression exponentielle en termes de récoltes annuelles. Cela posé, le jus de synapse n’a jamais remplacé l’huile de coude, ou est-ce que je me trompe ?

Ramakanta Agarwal saute à bas de son fauteuil et trottine jusqu’à la porte. Anthéa en actionne la poignée, lui épargnant d’avoir à lever le bras pour l’atteindre.

– Merci. Si vous voulez bien me suivre. On va prendre par les coursives afin de ne pas gêner les agents des premiers niveaux.

Nouveau dédale de couloirs et d’ascenseurs montants et descendants pour gagner ce qui ressemble à une porte de cagibi. Notre guide tape le code d’ouverture sur son mobile.

– L’entrée des artistes ! Passé cette limite nous allons devoir abaisser le hublot de notre capuche. La santé des plantations en dépend. La nôtre également. Aussi invisibles soient-elles, les gouttelettes d’à peine 5 microns du brouillard nourricier qui règne de l’autre côté sont un poison pour le système respiratoire.

Nous nous exécutons scrupuleusement. La porte s’ouvre sur une vision à couper le souffle. La clarté diffuse du soleil qui entame son ascension du ciel de la planète où il pleut jamais ajoute à l’ambiance irréelle. On reste coi devant le gigantisme des lieux.

– Hé hé ! Ce bon vieil aquarium fait toujours son petit effet la première fois, pas vrai ? Entrez vite, que je referme la porte. Au prix de la gouttelette, pas question d’en laisser perdre !

À travers la capuche hermétique, la voix de coin-coin d’Agarwal me rappelle David Mc Williams dans « The days of Pearly Spencer ».

– 200 panneaux de titane d’une hauteur de 110 mètres, comprenant chacun 95 plateaux en rotation permanente. De façon, vous l’aurez compris, à ce que les cultures qu’ils contiennent bénéficient équitablement des bienfaits de l’Astre du Jour. Sachant que dès que celui-ci commence à pâlir, notre réseau de leds horticoles ad hoc entre en action. Distribués au pied des panneaux, des ascenseurs permettent d’accéder aux 22 plateformes et leurs passerelles sécurisées sur lesquelles les récolteurs sont répartis en fonction de l’avancée des pousses.

De fait là-haut dans les étages, au gré de l’entrelacs de passerelles métalliques une myriade d’opérateurs gantés, bottés et masqués tendent les bras pour se saisir délicatement des navets, carottes, poireaux et autres radis qui passent à leur portée au gré de la lente remontée des bacs.

– Je rassure ceux d’entre vous qui seraient sujets au vertige. À moins de débarquer dans un contexte de sous-effectifs particulièrement sensible, les nouveaux arrivants sont dirigés sur le rez-de-chaussée. Là où, le plus souvent et en toute logique, le travail oblige à se baisser… Hé Tyler !

Ainsi hélé, un grand costaud occupé à trier une cargaison de choux de Bruxelles s’interrompt à contrecœur et fait voile dans notre direction.

– Je vous présente Tyler Jérôme, un de nos plus brillants managers de niveau…. Tyler, l’avenir professionnel de ces losers dépend de vous ! À défaut de les initier à des mystères de l’horticulture hydroponique qui dépassent largement votre propre entendement, il serait question de leur apprendre les gestes qui sauvent en matière d’efficacité.

À travers les reflets vieux rose de son hublot en ailes de papillon (modèle réservé aux cadres), notre guide regarde sa montre pour la vingt-cinquième fois.

– Je n’ai plus qu’à vous souhaiter à tous une excellente journée aux Jardins Suspendus. Non sans vous avoir rappelé que « si les chats portaient des gants ils n’attraperaient pas de souris » et aussi que « le lion et l’agneau peuvent dormir côte à côte, mais l’un des deux aura un sommeil agité ».

– Kyste Graisseux et ses proverbes à la con ! » bougonne Tyler Jérôme, à peine le chef- jardinier a taillé la route sur ses petites jambes torses, « …Venez par-là les bleubites, que je vous tuyaute sur le boulot.

demain, chap 15 : « L’arbre à tomates »

« Mars 2221, roman » (chap 13 : Winnie, suite et fin)

résumé : Anthéa et le narrateur mettent à exécution leur plan pour se sortir des griffes du chirurgien Poutine.

Le médecin était ok. Ni une ni deux, le chauffeur du sub et son collègue t’avaient choppé la peluche géante – l’un sous les aisselles, l’autre gérait les pattes arrière – et l’avaient hissée dans l’ambulance en faisant gaffe à pas bousculer le matériel de réa. Masque à oxygène, perfusion, l’urgentiste était déjà au boulot. Par contre les G-men savaient plus quoi faire de leurs carcasses. Alors qu’un des brancardiers s’éclipsait deux secondes satisfaire une envie pressante, l’urgentiste leur avait proposé de suivre le mouvement, direction le CSU le plus proche, une poignée de kilomètres en aval. Le chauffeur du sub s’était étonné qu’on retourne pas plutôt à la Résidence. Le médecin avait rétorqué que, non seulement le centre de soins d’urgence était plus près mais, considéré les contrôles interminables à l’entrée du dôme, la patiente serait plus rapidement prise en charge au centre.

– Don’t worry, ils vont les chouchouter, elle et son nounours ! » avait renchéri le brancardier chauffeur, soudain polyglotte, en refermant le hayon sur l’urgentiste et sa patiente avant de courir s’installer au volant de son véhicule.

En dix-neuf ans de Résidence (c’était l’âge qu’elle disait avoir même si je continuais à lui donner moins) Anthéa avait réussi à se brancher avec tout ce que la région comptait de personnages louches. Dealers bien sûr mais aussi pickpockets, voleurs de subs, faussaires, trafiquants de devises, d’armes etc… Aucune racaille en exercice manquait à son carnet d’adresses. On aura compris qu’elle avait négocié 30 000 kreds (avec un certain Ali Brunswick) la présence d’une pseudo ambulance et ses pseudo ambulanciers au péage de l’Interdôme, au jour et à l’heure prévue de son départ pour le Sud Dakota.

Sur ces entrefaites, le second brancardier s’était repointé, ayant mis à profit sa soi-disant envie de pisser pour passer derrière le sub de nos cow-boys et en saboter les relais TBTS à l’aide du micro laser multitâches qui ne quittait jamais sa poche (il s’en servait aussi pour se couper les ongles de pieds sans avoir à se baisser). Il se marrait encore de sa bonne blague quand, cinq minutes après qu’on ait taillé la route, abandonnant son siège à côté du conducteur il avait fait jouer la cloison amovible et était venu nous rejoindre, Anthéa, le faux toubib et moi à l’arrière de l’ambulance. C’était lui, le Ali Brunswick des 30 000 k.

– Les innocents ! Bonne chance pour démarrer leur bécane ! Your attention please, dans deux kilomètres, changement de monture !

À la hauteur du CSU, le conducteur avait fait mine de décélérer puis brusquement relancé le moteur pour s’enfiler dans une galerie annexe, hors de portée des radars. Je venais à peine d’émerger de l’emballage dans lequel j’avais cru plus d’une fois mourir asphyxié quand on avait ralenti de nouveau pour venir se coller au cul d’un gros sub anti G. Sautant à bas de l’ambulance, Ali Brunswick avait pris les commandes de l’engin.

– Attachez vos ceintures ! Cap sur Helsinki, ses grillimakkaras vegan et son astroport ! Le commandant Korbehn n’attend plus que vos charmantes personnes pour décoller !

 

– Hé, les paravents c’est pas que pour la déco ! Le moral est revenu on dirait ?

Mon côté amateur d’art ! Je repensais à ce cher Ali… Et à Korbehn ! Il avait pas tort, Lafleur, de le traiter de charognard. 50 000 k le passage, il se fait pas chier !

– C’était le  moins cher sur le marché. Moi c’est la note de l’astrotel qui me reste en travers de la gorge. 300 balles la nuit ! Ok ils sont pas regardants sur les puces d’identité, les Finlandais, mais admets qu’on ait dû attendre la fenêtre de tir une semaine de plus, on se retrouvait en slip en arrivant sur Mars. Et maintenant si monsieur le voyeur veut bien descendre de son mirador, c’est l’heure du marchand de sable.

Anthéa a raison. Le dortoir commence à se remplir, inutile d’attirer l’attention. Je plonge dans mon sac à viande.

– Bonne nuit « Fesses de Rêve » ! Au fait tu sais comment ça se repique une salade ?

– C’est toi l’expert en salades ! Si tu nous pondais un autre best-seller ? Ça arrangerait bien nos finances tu crois pas ?

– J’ai rien contre. C’est juste que l’inspiration ça se commande pas sur Amazon !

– Quelle amazone ?

– Laisse tomber, t’es trop jeune pour comprendre.

– Lapin ?

– Ouais ?

– Faut que tu saches un truc…  Quand j’étais petite, j’allais pas mal traîner à la médiathèque de la Résidence. En farfouillant dans les fichiers PDF j’étais tombée sur un roman qui m’avait bien plu. « Hippocampe Twist », ça s’appelait.

Je fais un bond de cinquante centimètres sur le matelas.

– PARDON ??? MON Hippocampe Twist ???  Marie-Claude, le tas de sable, les Relax, Léon Zitrone, Ray Davies…

– Ouais… Et aussi Les Seigneurs du Fond, « Chez Georges », Le Zébi Allégorie de l’Ennui, James… le pauvre gars, ça m’avait fait pleurer son histoire de brochet de la mort qui tue…

– Je le crois pas ! JE –  LE – CROIS – PAS !!! Et tu m’as laissé te raconter ma vie comme un…

– Comme un audio book ? Ouais y a de ça… T’as une si jolie voix, lapin.

– J’aurais dû m’en douter… T’avais pas l’air plus étonné que ça quand je t’ai parlé de mes royalties…

– Chuuut ! T’empêche tout le monde de dormir.

 

à suivre demain