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« MARS 2221, roman » (chap15 : L’arbre à tomates, suite et fin)

Plus je relis « MARS 2221, roman », plus j’envie les lecteur(e)s du XXIIIème siècle. Sinon vous avez une idée pour votre série Nextflip de ce weekend ?

 

résumé : il s’en passe de belles dans l’arbre à tomates…

Faut que je vous parle de l’arbre à tomates. Étirant vers le haut ses branches ramifiées à l’extrême jusqu’à tutoyer la triple épaisseur de poly méthacrylate de méthyle du puits de lumière, dardant vers le bas ses racines à travers trois niveaux d’un substrat composé de sels minéraux et de tout un catalogue de nutriments essentiels à sa bonne santé, amoureusement entretenu par plusieurs brigades de bots dédiés, le monstre végétal occupe presque tout le flanc gauche de la cathédrale maraîchère. Autour de son tronc séquoïesque, une flopée de monte-charges grillagés relient dans un va et vient incessant les passerelles des cueilleurs aux magasins du rez-de-chaussée, où les tomates sont triées, calibrées et enfin acheminées vers les plateformes du centre d’expédition. Va savoir par quels mystères de l’hybridation les ingénieurs parviennent à en diversifier les variétés ! T’as des « cœurs-de-bœuf », des « noires de Crimée », des « roses de Berne », des « ananas »… La concurrence américaine, chinoise, Indienne – les Russes n’en parlons pas – reste sur le cul devant pareille prouesse néo agriculturale.

– Dans l’arbre à tomates ? De belles ?

Anthéa approche encore son museau du mien. Je lui roule une pelle réflexe. C’est encore raviolis ce midi à la cantine. Des raviolis à l’ail et aux oignons.

– Ça t’apprendra !  Bon tu m’écoutes ?

– Je suis tout ouie.

– Alors accroche-toi. Ils font pousser de la beu, là-haut !!!

Tu délires.

– Je délire mon cul. Kyste Graisseux est au courant. Même qu’il bouffe au râtelier, le nabot. Radegonde aussi a droit à sa petite enveloppe tous les mois… L’ingénieur agro à la tête du trafic – Juvénal Valbueno il s’appelle – a su les appâter comme il fallait. Il leur a servi l’histoire des Trois Sœurs ?

– Y a des religieuses dans le coup ?

–  Plein ! Et des pets de nonne, c’est obligé ! Nan « Les Trois Sœurs », c’est le nom d’une méthode de compagnonnage végétal vieille de 6000 ans. Les paysans incas avaient découvert que faire pousser ensemble du maïs, de la courge et des haricots boostait la récolte de chacune des trois plantes. « Pourquoi pas appliquer la même recette aux tomates des Jardins ? » qu’il avait suggéré, le Valbueno. D’après lui, question vigueur, rapidité de mûrissement, résistance aux maladies, les chéries auraient tout à gagner à laisser quelques racines de chanvre médicinal se mêler aux leurs. Dans la conversation – c’est là qu’il avait fait fort – il avait glissé qu’après tout ce serait dommage de pas tirer parti de l’intérêt économique du cannabis compagnon. Sa teneur en THC surmultipliée par sa fréquentation assidue des plants de tomates en ferait sans conteste un must sur le marché de la fumette martienne. Tu penses que, même si légalement y aurait eu à redire, Radegonde et Kyste Graisseux n’ont pas résisté longtemps à une opportunité pareille d’arrondir leurs fins de m…

– Bon ap’, les amoureux ! Qu’est-ce qu’on a au menu, ce midi ? Des raviolis j’espère !

Dame Meertens débarque avec son mari. Ils sont tout guillerets. Ils ont reçu des nouvelles de Terra. Leur fille aînée est en cloque. D’accord l’enfer climatique, évidemment les attentats nationalistes, bien sûr le fanatisme religieux mais on a beau dire, arrêter de faire des enfants c’est pas la solution non plus !

– Ce sera un petit garçon une fois ! Il vont l’appeler Cyrus, comme son grand-père !

Meertens a pas le temps de bomber le torse que sa bergère enquille :

– Bon, ça n’est pas ce qu’on fait de plus recherché mais en même temps les prénoms tendance – Alain, Julien, Emmanuel et consorts – manquent un peu de virilité, je trouve…

Nicéphore Beautrelet, un pasteur black ami du rabbi, dépose à son tour son plateau sur la table. Il en veut pas aux Belges de l’annexion du Congo – c’est si loin tout ça ! – et félicite chaleureusement les futurs grands-parents. À l’entendre, une politique résolument nataliste est seule à même de faire retomber la juste colère du Créateur. J’attends pas la fin de l’homélie pour driver discrètement Anthéa vers la machine à café. Négligemment appuyé contre le mur je touille mon caoua.

– Donc les Jardins Suspendus font fumer toute la planète Mars. Et ?

– Et il arrive de temps à autre qu’un petit malin s’amuse à détourner une partie de la récolte. À essayer on va dire. Parce que l’ingénieur Valbueno, il a l’œil. Et très très mauvais caractère. Et une équipe de surveillance qui applique la consigne. La semaine dernière, on a retrouvé une chaussette dans le filtre du broyeur à compost. Une seule.

– Ambiance.

– Conséquemment un poste est à pourvoir.

 

 

demain, chap 16 : « La poutre dans ton œil »