« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 4 : L’église de la Foi Universelle)

Mars au 23ème siècle comme si vous y étiez !

résumé : lire les 3 premiers chapitres

 

  1. L’église de la Foi Universelle

 

Le square Galileo est à la Nouvelle Lutèce, capitale du secteur français du Mont Olympus ce que la place de la Concorde a été à Paris avant que la « ville lumière », comme toutes les mégapoles de Terra, se vide de ses habitants. Pratiqués dans la roche à une centaine de mètres au-dessus des têtes, des puits de lumière arrosent du matin au soir la méga esplanade et les rues qui s’en échappent de leur clarté parfaitement naturelle. En termes de durée, les journées martiennes sont comparables aux journées terrestres. Question ensoleillement par contre… Sur Mars il fait beau tous les jours. Un peu trop même, avaient constaté les premiers trompe-la-mort à venir se tordre les chevilles sur les caillasses désertiques. Pas le moindre cumulonimbus pour se protéger des radiations létales. Heureusement, nos courageux pionniers avaient fait une découverte susceptible de leur remonter le momo. Les coulées de magma nées dans le cœur des innombrables verrues volcaniques qui grêlent la surface de la planète rouge avaient, l’enfer des éruptions passé, laissé derrière elles une myriade de galeries et de cavernes. Sur Terra, les tunnels de lave excèdent rarement deux ou trois mètres de diamètre sur une longueur de quelques kilomètres. À l’image de celles de Luna, les cavernes volcaniques martiennes s’étaient quant à elles révélées propres à abriter des villes entières. Sans le moindre risque d’effondrement, en partie à cause de la faible gravité ambiante. Restait à sélectionner les structures volcaniques en fonction de la présence ou non de gisements de glace à même de rafraîchir le pastis des populations. Pour ce qui est de l’oxygène on savait depuis longtemps l’extraire de roches chauffées à l’énergie solaire. On avait de l’air, on avait de l’eau. En quelques décennies, la démographie avait explosé et les sites comme Marsington, Bei Huoxing, Marskva ou la Nouvelle Lutèce pullulaient sous la croûte martienne.

Korbehn, notre passeur, nous avait expliqué comment gagner la rue des Nébuleuses depuis la sortie de l’underspeed. On a suivi ses indications.

– Beuh…L’underspeed me file la gerbe, pas toi ?

– Petite nature ! Attends de tester l’Interloop !

Anthéa a de grandes jambes. J’ai du mal à la suivre. À le suivre ? C’est gavant cette obsession de la syntaxe française à genrer à tout va. J’envie les rosbifs et leur neutre grammatical. Allez, on va dire qu’Anthéa est une meuf. Ça fera plaisir à mon daron qui gambade là-haut, au paradis des homophobes pur jus.

– « Dans la rue des Nébuleuses, c’est la troisième à droite », il a dit Korbehn. « La sente du Rognon… L’église de la Foi Universelle se trouve tout au bout de la sente. Vous sonnez et vous demandez à vous confesser. »

Elle paye pas de mine, l’église de la Foi Universelle. Un entrepôt en métal rouillé. Sur la porte enroulable, peint à la one again, un U majuscule dont la branche gauche darde ses rayons sacrés. Celle de droite sert de montant au F dont les deux barres transversales en forme de flèches pointent vers un futur radieux. On aurait pu imaginer qu’en 2221, considéré le merdier dans lequel les bipèdes à poil ras s’étaient fourrés à cause des superstitions antagoniques qui les avaient si souvent conduits à s’entr’exterminer, on serait depuis longtemps passé à autre chose. Je t’en fous. En 2221, sur Mars comme sur Terra ou son satellite naturel, le Créateur de toutes choses s’est jamais aussi bien porté. À droite de la porte, un interphone. Anthéa presse le bouton. Pas de réponse mais j’ai cru voir clignoter une minuscule diode à quelques centimètres au-dessus du micro grillagé. Souriez, vous êtes filmés ! Anthéa récidive. Un grésillement. La liaison est établie.

– En semaine, l’office est à 14h. », annonce une voix fatiguée.

– Nous sommes venus nous confesser.

Silence.

– Nous venons de la part du commandant Korbehn.

La porte amorce un enroulement réticent, stoppant à moins d’un mètre.

– Allez-y, entrez !

On se baisse et on entre. La porte redescend derrière nous. Notre hôte est grand et costaud sous sa djellaba tachée de cambouis.

– Korbehn ! C’est lui qui gagnerait à se confesser plus souvent ! Vivre aux dépens de pauvres hères qui fuient les conditions climatiques de jour en jour plus meurtrières, les pandémies, les guerres de clans qui ravagent la planète mère, pfff… Je suis le rabbi Lafleur. Vous débarquez de Terra, évidemment ?

On acquiesce. On explique au rabbi que le maigre pécule qu’on avait mis de côté pour le voyage a fondu comme neige au soleil. Il compatit avec amertume.

– Le nombre de pattes crochues qu’il ne faut pas graisser pour venir échouer entre celles de marchands de sommeil sans scrupules ! Korbehn n’est pas seul à se nourrir des misères de ses semblables… Au moins lui il peut en partie justifier ses tarifs prohibitifs. L’entretien d’un voilier, ça a un coût. Sans parler des risques. Les astroports sont de plus en plus surveillés… Les trajectoires quadrillées… Alors que ces sangsues de proprios…

– Comme vous dites. Du coup on a besoin de bosser. Un besoin pressant.

Lafleur nous scrute.

– Vous avez l’air en bonne santé tous les deux. Ils sont toujours en manque de chair fraîche, là-bas aux Jardins… Douze heures par jour, six jours par semaine les bras en l’air, payés au lance-pierre, ça a tendance à booster le turn-over…

L’ecclésiastique lâche un soupir désabusé en marmonnant dans sa barbe :

– Sauf Ton respect, Seigneur, T’avais vraiment besoin d’aller nous inventer le pognon ? Ça ne tiendrait qu’à moi, comment je virerais pas mal de versets du Deutéronome… Surtout celui qui fait la promo du prêt à intérêt. Bon mais on va pas réécrire la Torah, hein ? Cet aprèm’, après l’office, je décolle pour la Nouvelle Vendée. Pour une fois il reste de la place dans le camion…

Le rabbi Lafleur mate ses ongles en deuil avant de grogner.

– …Si je parviens à m’en sortir avec cette saloperie de variateur !

 

à suivre

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 3: Le Projet, suite et fin)

Je sais, je sais, y a plein de gens qui persistent à narguer le beurre Naout avec le décompte quotidien des malversations du morveux et son gang d’enfumeurs… Ou celles, incomparablement plus immondes et sanglantes des bouchers-charcutiers de Tel-Aviv… Bah qu’est-ce que vous voulez, sur fyr en ce moment on aime mieux se relire « MARS 2221, roman ». Avertissement : la fin du chap 3 se révèle pas mal technique !

 

résumé : le chirurgien Poutine narre au narrateur les tenants et aboutissants de son retour à la conscience.

– Vous n’êtes pas sans savoir que quand les sauveteurs vous extraient des débris de l’aéronef, vous êtes dans un si piteux état que le professeur Marcel n’a d’autre solution que vous placer en animation suspendue. Puis, au constat que votre moelle épinière est irréparablement endommagée, il prend une décision qui, en 2074, constitue une première dans l’histoire de la médecine. Il va isoler votre cerveau, par chance intact, du reste de votre corps et se consacrer dorénavant à la réalisation de ce qu’il baptise le « Projet ». Le professeur mise sur les avancées récentes de chercheurs en « mind uploading » qui estiment réalisable, à court terme, l’informatisation intégrale de la psyché d’un individu. La Docteure Hannah Critchlow, de l’Université de Cambridge, pour ne citer qu’elle, promet la vie éternelle dans un disque dur à quiconque ayant accès à un ordinateur capable de reproduire les 100 trilliards de connections de son encéphale… Qu’à cela ne tienne ! Le professeur Marcel décrète qu’on va le fabriquer, cet ordinateur ! Dès lors, il n’a de cesse d’attirer à la Résidence le nec plus ultra des informaticiens du moment.

À tous les coups la caisse noire de la GAMACON avait dû y passer !

– Hélas, en fait de « court terme », il allait falloir attendre le développement des systèmes ubiquitaires et l’introduction des nanotubes dans les transistors moléculaires pour que l’informatique quantique soit enfin apte à récompenser l’obstination visionnaire du professeur Marcel. Ce n’est qu’en 2170 en effet – savoir près d’un siècle après la tragique disparition du professeur – qu’est enfin mise au point la première machine capable de numériser un cerveau homo sapiens sapiens dans toute sa complexité.

Poutine s’était carré un morceau de baba dans le cornet.

– Les ultimes techts de faijabilité effectués, le département Intelligenche Artifichielle de la Résidence… » – déglutition – « avait créé une copie de sauvegarde de vos données cérébrales … Puis le feu vert avait été donné au Département « Duplication Génique »… Que j’ai l’honneur de diriger.

L’honoré avait marqué un temps d’arrêt.

– Dans la pensée du professeur Marcel, le transfert de votre personnalité aux circuits imprimés d’un ordinateur ne devait être que temporaire. À terme, le contenu du disque dur serait réintroduit au sein d’un système neurovégétatif humain.

Nouvelle pause avant de conclure, finaud :

– Quel support physique était le mieux à même d’héberger le cerveau du Maître que …le Maître en personne ?

Poutine avait tranquillement englouti le reliquat de son assiette en carton avant d’enfourcher son dada de toujours :

– Du vivant du professeur on avait depuis longtemps compris que le noyau de toute cellule vivante pouvait retrouver un état embryonnaire…

Les cellules souches ! M’eût étonné qu’on m’en reparlât pas un jour. J’entendais encore Legrand m’en vanter l’efficacité, touchant à la réparation inespérée de mon hippocampe.

– Les cellules souches ?

Poutine avait hoché la tête.

– Les cellules souches. Donnez-moi le noyau d’une cellule prélevée sur un individu – biostasé ou non – et un ovule énucléé…

Le cador du clonage s’était un instant perdu dans ses pensées avant de revenir à ici et maintenant.

– Lorsqu’à la fin du siècle dernier, je me suis vu confier les rênes du Département «Duplication Génique », les équipes qui s’y étaient succédées avait porté la spécialité à un niveau d’excellence jamais atteint sur Terra…

Pour fêter ça, le gros gourmand avait proposé du rab de baba. Contrairement à Marinella j’avais poliment décliné. Mon estogomme était en rodage.

– Toutefois, à l’heure de mettre en mugique la phage finale du Projet, un problème demeurait. Et de taille. Chi la duplication de votre entité phygique ne prégentait aucune difficulté d’ordre technique… » – déglutition – « … encore fallait-il que votre cerveau cloné restât parfaitement vierge ! Au moins jusqu’à vos 25 ans, âge où les dernières connexions neuronales se mettent en place.

Emporté par son raisonnement scientifique, Poutine s’était enfourné une dernière mastra portion de gâteau.

– …Alors cheulement cherait-il pochible de prochéder au tranchfert… » – déglutition – « … de la copie de sauvegarde de votre psyché originelle.

Le chirurgien avait balancé la cuillère en plastoc dans sa mangeoire vide. Avant de porter la coupe de champagne à hauteur de ses lèvres.

– Une contrainte qui ne devait en aucune façon affecter le développement de votre enveloppe charnelle…

La coupe était restée quelques secondes en suspens. Le temps pour le chirurgien Poutine d’esquisser un sourire modeste, presque sincère.

– …J’avoue avoir connu le bonheur ineffable de superviser la conception et la réalisation du sarcophage matriciel qui, en ce jour glorieux, vous …rend à vous-même ! Prosit !

 

la suite demain

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 3 : Le Projet)

En ce moment on peut dire qu’à moins de fermer les yeux et se boucher les oreilles, garder le moral relève de l’inatteignable. Une bouée de sauvetage : la lecture. Bon weekend sur MARS 2221, roman !

 

résumé : lire les 2 premiers chapitres

3.Le Projet

 …Sachant que cette fois ça sortait pas d’un photomaton… Que c’était ma vraie teutê dans un putain de miroir !

Je m’étais palpé à travers le pyjama. J’ai jamais été spécialement musclé (à part les cuisses et les mollets à cause du foot) mais sentir sous mes doigts la tiédeur élastique de mes biceps, de mes pectoraux, ça faisait super drôle.

– Je peux me lever ?

– Je vous en prie, Maître.

– C’est vraiment indispensable de continuer à m’appeler comme ça ? D’après Legrand y a de fortes chances que j’aie laissé ma « maîtrise » avec le reste en forêt de Fontainebleau.

– Dans son Projet le professeur Marcel ne vous mentionne pas autrement. Et avec quelle déférente affection ! Tenez, laissez-moi vous lire un passage qui fait référence à…

Pitié ! J’avais eu ma dose de citations marcelliennes avec Legrand.

– Heu non merci. Je vous crois sur parole.

Je m’étais mis debout. Ça aussi ça faisait drôle ! J’avais risqué quelques mouvements d’assouplissement.

– Sans indiscrétion on est en quelle année ?

– Nous sommes en 2221, Maître. Le 9 février 2221.

Je m’étais figé dans mes flexions-extensions.

– Vous déconnez ? On s’est crashé le 31 août 2074 ! Legrand disait que… Ça fait combien de temps qu’il est clamecé, le fumier ?

– Omar Boushaki fut relaxé au bénéfice du doute en 2094. Le drame ayant eu lieu quelques années plus tôt…

Omar « Robert » s’en était tiré ??? J’étais content pour lui. Sinon j’avais pris plus d’un siècle le temps de le dire !

Craignant peut-être une nouvelle attaque, Poutine s’était empressé d’insister.

– Le 9 février, Maître ! Le 9 février ! Nous nous sommes efforcés de faire coïncider votre retour dans le monde réel avec… Marinella ! Le baba !

L’infirmière hors champ, Poutine avait justifié son choix de gâteau d’anniversaire.

– Les notes du professeur Marcel ne sont pas avares de détails sur vos préférences alimentaires. Jamais de viande, une préférence marquée pour les pommes de terre et le riz, les fruits n’ont pas votre faveur… Une raison à cette aversion ?

– Mon grand-père maternel affirmait que les fruits sont pas stomachiques. J’honore sa mémoire.

– Pas « stomachiques » ? Tiens donc ! Ah oui ! Nous avons longuement hésité sur le nombre de bougies : 28 ou 269 ? L’âge de votre corps actuel ou celui du contenu de votre cerveau ? Je dis bien de son contenu car votre cerveau est du même âge que le reste de votre corps, cela va de soi !

– Cela va de soi.

Le chirurgien allait se lancer dans un résumé des épisodes que j’avais ratés quand Marinella s’était repointée avec le baba au rhum planté de 28 bougies. Dans la chambre encombrée d’un tas d’appareils barbares il restait juste assez de place pour déplier un genre de table et trois tabourets de camping. J’avais eu droit à l’increvable « ♫ Happy Birthday to you ♫ » en anglais dans le texte avant de passer haut la main le test du soufflage de bougies. Rassuré sur le bon fonctionnement de mes poums, Poutine avait découpé le baba et fait tourner. Ensuite seulement il y était allé de sa remise à niveau.

 

la suite demain

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 2, suite et fin)

On peut être et pas avoir été. C’est selon.

résumé : le chirurgien Poutine vient de réveiller le narrateur. Qu’il soumet à une petite gymnastique d’échauffement…

 

– Je constate avec plaisir que votre sens de l’humour n’a pas souffert du transfert. Bien. Le gauche maintenant. Parfait. Tournez la tête, voulez-vous ? Vers la droite… Lentement… Vers la gauche… Excellent. Pas de sensation de vertige ?

– Pas la moindre.

Legrand aurait été bien en peine de me demander de me livrer à ces exercices !

– Marinella, soyez gentille de nous trouver un miroir. J’aimerais avoir l’avis du Maître sur son visage tout neuf.

Marinella était allée fouiller dans sa trousse de maquillage. Poutine m’avait carré le petit rectangle réfléchissant sous le menton.

Paris 1981, du côté des Champs Élysées, direction artistique RCA Victor, bureau de Bob Socquet. Mon éditeur, Christian de Ronceray, pote de Bob, lui a soutiré un contrat de licence inespéré pour mézigue. On a fait la balade à pied depuis la rue Marbeuf qui, en attendant sa une au journal de 20 heures l’année suivante – attentat à la bombe, un mort et une soixantaine de blessés – se contente pour l’instant d’abriter le siège de You You Music. Il s’agit de régler les ultimes détails de la sortie imminente de mon squeud.

J’ai ramé pour en arriver là ! Une après-midi entière à squatter le téléphone de mes darons (à Janville on l’a pas, le téléphone). Des dizaines et des dizaines d’appels à tout ce qui touche de près ou de loin à l’industrie du disque parisienne. Râteau sur râteau, joint sur joint pour pas craquer et vers le soir le miracle s’était produit.

– Franchement, sur la tête de Bernard Hinault et la prostate de François Mitterrand ou le contraire, c’est le meilleur morceau que vous ayez jamais entendu de toute votre vie sédentaire et trop souvent ingrate, Monsieur le Directeur. Un tube pareil, ma parole vous allez pas…

– Arrête ton cirque et passe me faire écouter.

Un mec bien, Christian de Ronceray. Sa dernière réussite en date c’est Michel Jonasz, « Les vacances au bord de la mer ». Quand j’avais débarqué, le contrat traînait encore sur le bureau de Nicole, la secrétaire toujours souriante. La signature de Jonasz on aurait dit un caca de mouche constipée. Ma maquette avait plu à Christian. Il m’avait branché sur le petit studio 12 pistes qui lui fait des prix d’amis. « Laguna ». L’ingé son c‘est Alain Pype, son boxer mutant c’est Kaya. Deux nuits de dur labeur – Kurt à la roulite aigüe, Pype au ferroviaire revigorant savamment dosé – et les productions « Chère Crainte » étaient fières d’annoncer la naissance de « Titanic », LE 45t ! Restait à concocter une pochette. Que je dépose délicatement sur le bureau de Bob Socquet.

Quand on est entré, Bob était en conversation avec Alain Souchon. Bob a fait les présentations. Plutôt sympa, Souchon. Pas bêcheur, à la nouvelle que je file des cours de piano, il m’a demandé de sa voix de colvert enrhumé au sortir d’une cartouche dans le cul si je voulais pas lui en donner.

– Cin me ferint pas de minl, hein Bamb ?

Bamb, ses paupières on dirait des papillons de nuit pris dans les phares d’un tracteur.

– Elle fait mal aux yeux ta pochette.

Faut dire, avec Denis, graphiste d’art égaré dans la réclame, on avait mis le paquet. Une pluie battante de « TITANIC…DES HEURES…TITANIC…DES HEURES… » grise sur fond noir avec, perdu dans les zébrures, un carré photomaton de ma tronche… Celle-là même qui venait de m’apparaître dans le mini miroir du chirurgien Poutine.

– Tout va bien Maître ? Marinella, un grand verre d’eau s’il vous plaît !

– Q…Quelque chose de plus c…costaud si vous avez.

Du vieux fripé de ma carte d’identité de 2025 au beau gosse sur le perron de l’Élysée cinquante ans plus tard, en passant par l’espèce de momie soufflant ses 120 bougies en première page du New York Times, les clichés de moi que Legrand m’avait montrés dataient d’une période effacée de ma mémoire. D’où mon manque d’intérêt. Alors que là ! Me revoir à 28 balais, comme ça, sans préavis…

 

la suite demain…

 

 

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 2)

D’accord, la bonne littérature c’est pas fait que pour rigoler mais un peu quand même.

 

  1. La Résidence

 

 Anthéa et moi on se connaît du dôme de la Résidence. On s’est fait la malle de ce repaire de dingos ensemble.

La Résidence est une clinique privée sur Terra. Devenue, au fil du temps, une cité autonome dont l’économie florissante repose officiellement sur des activités hospitalo-universitaires. Une façon comme une autre d’échapper à l’impôt. Comparé à des institutions quasi médiévales comme l’Hôtel-Dieu ou la Pitié Salpêtrière, la Résidence pourrait passer pour récente mais ça fait quand même pas loin de deux siècles que la médecine y progresse à pas de géant. À l’entrée, perché sur un genre d’obélisque, façon le génie de la Bastille en un peu moins haut, le buste du professeur Jean-Louis Marcel (2007-2077), père fondateur de la clinique. Comme m’avait expliqué cette vérole de Legrand, le professeur Marcel porte sa part de responsabilité dans quantité d’aléas, revers et incidents de parcours ayant failli avoir raison de mon intégrité physique et mentale. D’un autre côté, force est d’admettre que le dernier en date (le crash du dirigeable) m’eût été fatal sans le « projet » par lui mis en place pour rattraper le coup. C’est juste qu’il se montrait singulièrement optimiste quant aux délais nécessaires à son aboutissement, le bon professeur Marcel. Quand j’avais émergé d’un de ces mini comas réparateurs engendrés conjointement par le baratin soporifique de Legrand et les injections de son infirmière-chef, la poitrine généreuse qui me balayait le museau n’était plus celle de Mathilde Pelletier.

– Professeur, je crois qu’il se réveille.

Professeur ? Legrand avait pris du galon ? Il devait bicher. Il allait pouvoir se payer une nouvelle virée au Machu Picchu avec Minerva et sa « distinction » légendaire ! Mais attends… Il était cané Daktari !!! Son joli trou au milieu du front je l’avais pas rêvé ! La vengeance de « Robert » ! Qu’est-ce qu…

– Bonjour Maître. Comment vous sentez-vous ce matin ?

Le monsieur que la paire de flotteurs avaient appelé « professeur » se penchait à son tour sur mon cas. C’était pas Legrand.

– Je suis le chirurgien Poutine. En mon nom personnel et celui du Conseil d’Administration de la Résidence, laissez-moi vous souhaiter un heureux retour à la conscience. Mon bonheur est immense de constater que les efforts inlassables de plusieurs générations de chercheurs n’ont pas été vains. Le professeur Marcel était décidément un grand visionnaire. Son Projet s’avère une réussite absolue. Qu’à notre immense fierté, il nous ait été octroyé le privilège d’y apporter la touche finale, mes assistants et moi-même n’en concevons que peu de mérite. En fait il suffisait d’attendre que mécanique fractale et nano informatique atteignent l’excellence nécessaire à la cartographie d’un cerveau humain pour entamer le processus de duplication de votre support physique…

– Poutine ? Comme le dictateur russe ? Le pote de Bachar-le-Sanglant ? Le compagnon de route des ayatollahs déjantés ? L’apôtre des colonies pénitentiaires, de la chasse aux tchétchènes « jusque sur leur chiottes », le chantre de la persécution des LGBT, le pourfendeur de l’homoparentalité et  tout ça ?

– Comme le dictateur. Mais rassurez-vous, en huit ou neuf générations le gène de l’autoritarisme consubstantiel à Deduchka Vlad a eu tout le temps d’évacuer mon ADN. C’est dénué de toute intention nuisible à votre statut d’homme libre que je vais vous demander de lever le bras droit…

– No problemo. Je jure de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Miss Roploplos s’était bidonnée.

 

la suite завтра…