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« MARS 2221, roman » (chap 19 : « La tache sombre »)

 

19. La tache sombre

Le professeur Kembaçkuk fait le jour et la nuit au CHU de la Ferrière. Grand, maigre, on dirait Emma-la-Cigogne. Le professeur aime à régaler de son humour glacé et sophistiqué l’aréopage d’internes qui le lâchent pas d’une semelle . Exemple, chaque fois qu’il se pointe  il commence par se fendre d’un salut réglementaire à l’adresse de mon voisin. Ce matin il déroge pas à son habitude.

– Mon adjudant ! » (claquement de talons, marrade de l’aréopage) « … Paré pour notre petite intervention ? C’est demain n’est-ce pas, Jean-Baptiste ?

La question s’adresse au fayot le plus proche. Qui s’empresse de compulser le planning du patron.

– Lundi, 8 h 30 : M. Calmann-Lévy, fémur gauche.

– On les aura, mon adjudant ! » (re marrade générale) « ! Je compte sur vous pour garder la forme jusque là. « It takes two to tango » comme on dit ! À propos…

Le ton du professeur se fait moins enjoué.

– …Madame d’Avila elle aussi a besoin de garder la forme… Si vous lui épargniez des allées et venues inutiles ? Notre stock de Lopramédazolam n’est pas inépuisable, vous savez ?

Murmure désapprobateur du coryphée. Magnanime, Emma-la-Cigogne insiste pas et oriente maintenant son bec malodorant dans ma direction.

– À nous, jeune homme !

Pouah ! M’étonnerait qu’il suce que de l’eau solide, le Kembaçkuk. Penché sur moi, il tapote d’un doigt léger le bandage qui fait le tour de mon crâne douloureux.

– À notre âge, le sphénoïde récupère en un clin d’œil. Toutefois nous devrons attendre un peu avant de nous remettre aux intégrales de Lebesgue ou de Kurzweil-Henstock ! (sourires appréciateurs d’une culture mathématique aussi spirituellement partagée)

Kembaçkuk repose notre pogne sur notre plumard – notre pouls lui convient – et soulève délicatement notre drap.

– Hum, ce sera un peu plus long pour les cartilages de cette cheville… Pas trop douloureux ?

Mon rictus parle de lui-même.

– Jean-Baptiste, monsieur est sous Tramadol ? Doublez la dose. Au chapitre de nos avulsions ligamentaires, aux fins d’optimiser les résultats fonctionnels et nous prémunir contre les atteintes possibles à l’intégrité du sciatique j’ai opté pour cette élégante attelle jambière en polyester stratifié. Ça gratte pas trop ?

– C’est supportable on va dire.

– Votre stoïcisme vous honore. Les clichés s’il vous plaît Jean-Baptiste !

Kembaçkuk rabat le drap sur ma triple entorse et s’assoit au bord du lit. Il se saisit des scans comme d’un plan de métro qu’il me propose de consulter avec lui.

– Sachant que nous avions fait un petit coma – oh une demi-heure, pas plus mais il arrive qu’on le paie des années plus tard – le service des urgences avait fort judicieusement eu recours à un premier examen tomodensitométrique.

Je fais semblant de m’intéresser à la découpe en rondelles de ma boîte crânienne.

– …Grâce auquel on pouvait d’ores et déjà exclure la présence d’un hématome intra ou extra cérébral…  Regardez, la symétrie est parfaite.  Aucune anomalie des tissus  non plus, hémorragique ou autre,  les coupes sur et sous-jacentes en témoignent. R.A.S.  du côté des substances blanches et grises, même chose côté liquide céphalorachidien. Ventricules, cervelet…

L’index manucuré d’Emma-la-Cigogne fait comme chez lui dans les méandres de mon chef.

– … Hypothalamus, hypophyse, épiphyse, notre équipement encéphalo rachidien est intact. Dès lors, pourquoi diantre ai-je cru bon de nous faire passer un second TDM, êtes-vous en droit de vous demander…

 

 et nous donc ! réponse demain matin …

« MARS 2221, roman » (chap 18 : Une petite qui frétille (suite et fin))

Un mois et un jour après que j’aie commencé à relire avec vous « MARS 2221, roman », le plaisir est toujours le même. Je me régale de ce court instant quotidien pendant lequel me laissent en paix mes pensées mangeuses de raison de vivre… La shoah des Animaux encore et toujours, ses camps de la mort, ses dépeçages barbares, le déchaînement génocidaire d’Israël, son gang de voleurs, ses potes cow-boys endettés jusqu’au slip – ceci expliquant peut-être cela – dans un ping-pong sordide avec les dictateurs monomaniaques homophobes et misogynes les plus tarés du casting planétaire… Entre les deux, les enfants perdu(e)s qui se décharnent et/ou se noient en silence, les rescapé(e)s qu’on rejette à la mer… Et soudain pfffuit – comme une peinture de Magritte – quelques paragraphes-oxygène, quelques nuages d’un beau temps pas gnangnan avant de replonger dans la nuit des bipèdes à poil ras… Aujôrd’hui (comme on dit sur France Culture) « Une petite qui frétille » (suite et fin).

 

résumé : suite à une glissade, le narrateur se retrouve dans une chambre d’hosto qu’il doit partager avec un vétéran de la 7ème guerre d’indépendance taïwanaise…

L’infirmière éteint la lumière et se casse jusque la prochaine fois. C’est vrai qu’il m’a à la bonne, le vieux. La plastique d’Anthéa y est pour beaucoup, je dirais. Un jour ou deux après qu’on m’ait remonté des urgences, elle avait apporté une tablette de mots croisés. Kembaçkuk dit que ça peut aider pour ce que j’ai. Maladroitement, j’avais laissé choir le stylaser. Il avait roulé sous mon pieu. Anthéa s’était mise à quatre pattes pour le récupérer.

– De dos, votre amie me rappelle ma première épouse », m’avait confié le vieux militaire une fois Anthéa partie.

Il avait précisé sa pensée.

– Pour sûr qu’ elle était bonne, ma Delphana ! Aussi bonne que volage. Un jour – j’étais encore que caporal – je rentre d’une semaine de pacification à Guernesey, y avait un mot sur la table. « Me cherche pas, je suis partie avec le facteur ». Vous n’allez pas me croire mais, abstraction faite de la vaisselle d’une semaine qu’elle avait laissée dans l’évier, j’avais plutôt bien pris son abandon de poste. Après tout c’était elle ou ma carrière ! À la fin de chaque perm’,  je rentrais à la caserne plus crevé qu’en partant, tellement fallait pas lui en promettre à Delphana !

Son expression s’était faite songeuse.

– De toutes façons elle m’aurait pas suivi à Taipei. Elle avait décrété qu’elle aimait pas les Jaunes.

Le cornard magnanime avait cru bon d’ajouter, mezza voce :

– J’ai toujours pensé que c’était parce qu’elle faisait sienne la croyance selon laquelle Dame Nature avait escroqué les Asiatiques de quelques centimètres… stratégiques !

Rire égrillard.

– En cela Delphana n’accordait aucun crédit à un dicton qui avait cours dans ma jeunesse…

– « Mieux vaut une petite qui frétille qu’une grosse qui roupille » ?

Le vétéran en était resté bouche bée. J’avais pas jugé utile de lui expliquer que, contrairement aux apparences, ma jeunesse à moi précédait la sienne d’une bonne centaine d’années.

– Mon arrière-grand-père était agrégé de philosophie.

Pour finir de lui trouer le cul, à son adjudant, j’aurais pu lui dire que son patronyme m’était familier. Sauf que ce soir encore j’ai beau fouiller dans les coins et recoins de mon hippocampe « surcompensé », je saurais toujours pas dire pourquoi. Calmann-Lévy… Calmann-Lévy…  Ça sonne comme un label de plats cuisinés… Dans la lignée de « William Saurin » ou « Jackie et Michel »… Nan, pas « Jackie et Michel », « Jackie et Michel » c’était une maison d’édit…

 

demain chap 19 : « La tache sombre » …

« MARS 2221, roman » (chap 18 : « Une petite qui frétille »)

 

 

18. Une petite qui frétille

 – NOM DE DIEU, Li-Heung !!! Soit le détecteur thermique déconne, soit ils ont le don d’ubiquité ces enfants de salauds !!! Mon désintégrateur a presque plus rien dans le sac !!! LI-HEUNG !!! TU ME REÇOIS ??? Li-Heung ??? Réponds fils de ta mère !!!

La porte s’ouvre, la lumière s’allume, précédant une voix ensommeillée.

– Que se passe-t-il, monsieur Calmann-Lévy ? Ces vilains communistes recommencent à vous faire des misères ? On vous a pourtant donné votre bonbon du soir ? Ne me dites pas que… monsieur Calmann ! Que fait ce comprimé de Lopramédazolam au fond de votre pistolet ? C’est malin, maintenant qu’il a trempé dans le pipi je vais devoir aller vous en chercher un autre ! Comment espérer combler le trou de la Mutuelle Interplanétaire avec des patients tels que vous ? Je ne suis pas contente, vous savez ! Mais alors pas du tout ! Le professeur Kembaçkuk ne sera pas content non plus lorsque je lui ferai part de cette nouvelle excentricité.

La voix repart d’où elle est venue en continuant de vitupérer.

J’admets que les cauchemars du vétéran de la 7ème guerre d’indépendance taïwanaise commencent à me plaire à moi aussi. Terra années 2000 ou Mars 23ème siècle, les us et coutumes dans les CHU ont pas évolué d’un iota. Clodo ? Ok la Sécu te prend en charge à 100% mais comme t’as pas la petite enveloppe qui va bien à glisser dans la fouille du médecin de garde, pour la chambre individuelle tu repasseras. C’est pas une malheureuse triple entorse à la cheville avec écrasement des cartilages, assortie à l’étage supérieur d’une commotion cérébrale de rien du tout qui va changer la donne. Résultat je partage ma chambre d’accidenté du travail clandestin avec un centenaire gâteux.

Ça m’apprendra à descendre un escalier correctement. À ce que je me suis laissé dire, m’ayant ramassé inconscient en bas des marches, le Valbueno, soucieux d’éviter toute publicité sur ses activités para culturales, m’a fait rapatrier dare-dare au rez-de-chaussée. À l’heure qu’il est, les pompiers essaient toujours de comprendre comment on peut se mettre dans un état pareil en se baissant pour ramasser des pommes de terre.

L’infirmière se repointe, armée d’un cacheton de rechange et d’un verre d’eau tiédasse.

– Allons, monsieur Calmann-Lévy, ouvrez grand la boubouche et dites « aaa ». Parfait. Quelques gorgées pour faire glisser… Lentement… Il ne manquerait plus que vous me fassiez une fausse route comme la dernière fois ! Vous vous souvenez ? J’y étais allée un peu fort en vous tapant dans le dos et voilà qu’on ne retrouvait plus votre dentier ! Lààà, le beau gros rototo ! C’est bien, je vais vous remonter vos oreillers pour la peine… Et maintenant on va oublier les vilains communistes et faire de jolis rêves de paix sur la terre – et sur Mars, hi hi – pour les hommes de bonne volonté, d’accord  monsieur Calmann ? Allez, j’éteins la lumière.

En sortant, l’aspirante bienheureuse passe à côté de mon pieu. Elle compatit.

– Il vous a réveillé, pauvre jeune homme !

– Un petit peu mais comment lui en tenir rigueur, à ce brave adjudant-chef !

– Ah il vous a dit ? C’est qu’il ne se confie pas à n’importe qui sur sa carrière militaire, vous savez ? Allons, essayez de vous rendormir à votre tour. Le professeur passera vous examiner demain matin. Je crois qu’il est satisfait de votre dernier scanner.

 

la suite demain s’il en reste

« MARS 2221, roman » (chap 17 : « Des fleurs, des feuilles et des branches »)

C’est pas qu’ils sont méchants sur France Culture. Ils font ce qu’ils peuvent, si vous voyez qu’est-ce je veux dire (en franceculturien dans le texte). À les en croire, ils sont « l’esprit d’ouverture ». Genre en ce moment l’esprit ouvre sur le « polar ». Sa spirituelle vision du polar, à l’esprit d’ouverture. Exemple hier mardi 15 octobre vers 13h 30, entre « Les midis » et « Les pieds sur terre »,  alors que je terminais mon camembert j’ai entendu une voix mâle et sexy en diable, onctueuse comme mon camembert vanter le plaisir incomparable de « se faire peur ». Le bg conviait les franceculturistes intéressés à le suivre « dans la pluie glaciale », se choper des « sueurs froides » et patauger dans des « mares de sang ». J’en ai mangé la croûte de mon camembert. Bon mais foin de culture franceculturelle, le présent chapitre de « MARS 2221, roman » cause culture pour de vrai. La culture de la washmeuh pour être précis.

17. Des fleurs, des feuilles et des branches

– E…Excusez-moi ! La chaleur… J’ai dû m’endormir…

Le mec chasse une mouche invisible et passe direct à la question qui le préoccupe.

– Juvénal Valbueno. Tyler prétend que vous vous y connaissez en chanvre indien. On va voir ça tout de suite. L’égourmandage, ça vous dit quelque chose ?

– Paraît que ça marche pour les tomates. S’agissant de la beu, c’est une hérésie.

À travers nos visières respectives je vois ses yeux s’agrandir.

– Une hérésie, vraiment ?

– Vraiment. À moins que vos clients s’éclatent à méfu de la salade.

Gêne palpable de mon interlocuteur. J’enfonce le clou.

– Hé boss ! Un joint c’est pas un cigarillo ! Dans la beu c’est la tête qui fait tout. Une bonne grosse tête bien dodue, bien velue qui craque sous les doigts du rouleur, libérant son arôme généreux…

Les siècles ont passé mais branchez moi fumette et direct je retrouve l’enthousiasme de mes premiers pétards. Ganja, marijuana, kif, pot, weed, kaya, des mots si doux à mes oreilles ! Les siècles ont passé, dis-je, et comme prévisible, malgré les promesses qui ressurgissent à chaque campagne électorale, sur Mars comme ailleurs, la culture de l’herbe est toujours tricarde. Mais je tombe des nues au constat qu’il y a pire : qui dit « égourmander » dit priver la plante des tiges secondaires, voire tertiaires qui, à terme, produisent les précieuses sommités défonçantes.  Au profit du développement des feuilles. Les feuilles ! Doux Jésus ! Jésus qui, à en juger par la puissance de son délire devait y aller à fond sur le « sénevé », première orthographe de « chènevis » = cannabis. Il n’est pour s’en convaincre que de lire sa fameuse parabole.

C’est pas que ce soit 100% inintéressant à fumer, une feuille de beu, m’objecterez-vous. Sous réserve qu’elle ait été prélevée sur un pied femelle ! Délicate, fine, gracieuse, féminine quoi. Pas un grossier bifteck mâle sans le moindre potentiel psychotrope… Je l’ai dit, à Cerny on était prompt à déguster les prémices de notre récolte – vision fugitive de Kurt, vidant sa poêle de « française » torréfiée à souhait sur la table de la cuisine – mais les « fricassées » c’était en attendant de faire tomber les têtes pire que Robespierre !

Valbueno a aucune intention de perdre la face devant Tyler. Il me saisit par le coude et m’entraîne un peu à l’écart.

– Parce que vous pensez que…

– Un peu que je pense que. Faites le test. Arrêtez votre égourmandage criminel et laissez au contraire ces délicates branchettes prendre de la vigueur. Vous m’en direz des nouvelles.

Pendant que l’ingénieur essaie de se gratter le front mais c’est pas facile à cause des gants et de la visière, j’échafaude mentalement une théorie touchant à la régression culturale renversante dont je suis témoin. Se pourrait-il que, pendant mon sommeil forcé, face à la surenchère des labos hollandais ou californiens dans le surdosage en THC de leurs produits, les pouvoirs publics mondiaux aient exigé de leurs distingués légistes un tour de vis supplémentaire ? Déclaré une guerre sans merci à la « Hawaïan Skunk», la « Mango Kush », l’« Amnesia » qui causaient trop de ravages sur les neurones de notre belle jeunesse ? Était-ce que pourchassés jusques au fond des caves de leurs HLM étroitement surveillés par les Forces du Bien, les misérables loques qui persistaient à adultérer leur tabac – quand il en restait encore dans leurs spiffs – en avaient, de génération en génération, oublié jusqu’aux fondements sacrés de l’élevage de la washmeuh ???

Juvénal Valbueno m’arrache à mes conjectures. Sa décision est prise.

– Si Tyler accepte de faire sans vous en bas, vous prenez vos fonctions immédiatement.

Un peu que Tyler accepte de faire sans moi ! Trop content d’avoir réussi à redorer son blason d’entremetteur patenté, il croise juste les doigts pour que je me montre à la hauteur de la situation. Pendant qu’il décarre, Valbueno me désigne l’escalier.

– Je vous donne carte blanche. Descendons à la plantation, voulez-vous ? Attention, l’humidité ambiante rend l’escalier un peu gliss…

L’avertissement me parvient trop tard.

demain chap 18 : « Une petite qui frétille »

« MARS 2221, roman (chap 16 : La poutre dans ton œil (suite et fin))

résumé : embarqué dans une nouvelle remontée hippocampique, le narrateur revit ses expériences de projectionniste au Palais des Sports de la Porte de Versailles dans les années 1970…

Rudolf et ses petites burnes perdues dans sa grosse coquille ! J’en rigole encore, assis peinard à dix mètres en surplomb de la salle qui finit de se remplir. Depuis qu’on a retrouvé des intrus en balade dans les cintres – ils avaient réussi à se faufiler backstage et grimper incognito – Claude (Claude N’Guyen, c’est notre boss, il a une fille super moumoune, Geneviève, elle passe de temps en temps au Palais abuser de la générosité de son père et nous rendre fous d’amour) a décidé de prendre des mesures. Un maladroit, voire un candidat au suicide qui viendrait à pleuvoir sur le public, sûr que ça ferait désordre. En conséquence, à chaque représentation on désigne un volontaire pour interdire à toute personne non autorisée l’accès à la passerelle. Pour quelque obscure raison ce sont les poursuiteurs qui sont chargés du boulot. À tour de rôle l’un d’entre nous est dispensé d’éclairage et passe la soirée dans les hauteurs à garantir l’intégrité des lieux. Ce soir c’est mon tour. Alors qu’une douce somnolence commence à m’envahir il me semble entendre un bruit de pas en approche des quelques marches, métalliques elles aussi, en haut desquelles je suis perché. J’espère que l’indésirable va pas faire d’histoires quand je lui dirai que stop désolé on passe pas, la passerelle est interdite au public et tout ça. D’autant que la paire de tiags qui marquent un temps d’arrêt là en bas c’est pas du 36 fillette. La pénombre ambiante et surtout la poutrelle en acier qui oblige à se baisser pour attaquer les marches m’empêchent de distinguer le visage de l’intrus. J’augmente la puissance de ma torche et, d’une voix aussi dissuasive que  possible je me lance.

– Bonsoir. Excusez-moi mais les ordres sont formels. Cette zone est strictement interdite au public.

À en croire la santiag qu’il vient de poser sur la première marche, soit le mec est sourd, soit, comme je le redoute, il a pas envie d’entendre. La seconde santiag attaque la deuxième marche. Je réitère mon injonction.

– On passe pas, désolé !

Je suis tout sauf à l’aise. Les tiags persistent dans leur ascension. Au terme de laquelle une tête passe sous la poutrelle et vient se redresser à vingt centimètres de la mienne.

– Si, on passe ! Mais c’est bien, fils, continue à garder la passerelle pendant que je vais faire un tour là-haut !

Simultanément une pogne bagouzée tête de mort et néanmoins amicale se pose sur mon épaule.

Que je suis con ! On m’a prévenu pourtant ! Quand il joue Porte de Versailles, avant de partager toute la musique qu’il aime avec ses fans de radis, le Jojo il aime bien monter prendre la température de la salle. S’assurer qu’elle est à point. Ça le motive. C’est humain. Il est humain, Jojo, on peut pas lui enlever ça. C’en est même un brave, d’humain. Ça a pas échappé à la faune de parasites qui lui fument ses clopes, descendent son Jack Daniel’s, sniffent sa coke et tirent ses groupies.

– Ouah ! Salut Johnny ! Je vous avais pas reconnu !

Un tantinet déconcerté, Juvénal Valbueno se tourne vers Tyler.

– Qu’est-ce qu’il raconte, ton gars ? Pourquoi il m’appelle Johnny ?

 

demain chap 17 : « Des fleurs, des feuilles et des branches »