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« MARS 2221, roman » (chap 21 : « Le récit d’Endymion (2) )

Vous êtes de plus en plus nombreux (au moins 4 ou 5 !) sur fyr, à relire avec moi « MARS 2221, roman », je vous en félicite. Sur Médiapart, j’ai pas accès aux stats mais vu que je culmine toujours à 0 « recommander » l’engouement doit être moins palpable 🙂

 

21. Le récit d’Endymion (2)

Endymion récupère comme il peut d’une nouvelle quinte.

– …Tu dois penser qu’à mon âge, faut plus toucher aux alcools forts, hein ? Que la vodka de ta copine est en train d’agir à retardement sur mon cerveau ramolli ?

– Ben… En fait…

– Comment t’en vouloir ? Surtout quand je t’aurai dit qu’un peu à l’écart du groupe de furieux qui continuent à mitrailler à tout va, voilà que je repère deux nains qui sortent du lot. Ils n’en ont rien à battre des menhirs gruyères. Ils sont clairement dans autre chose. Ils se tiennent debout l’un en face de l’autre, chacun une main planquée dans le dos. Périodiquement ils la ramènent devant eux. Et à chaque fois il y en a un des deux qui biche et l’autre qui… Coff.. Coff… Tire la gueule… Coff… Coff..

J’attends que la quinte passe. C’est marrant mais plus il s’enfonce dans son délire, l’adjudant-chef, moins je pourrais jurer que c’est  rien d’autre qu’un délire.

– Et d’un coup ça me revient ! Môme, il y avait un jeu populaire dans la cour de récré… Quand on avait notre dose d’Hyper Mario XIX, Donkey Kong ou Sick my Duck, toutes ces conneries de jeux vidéo qui nous explosaient les yeux… Un jeu sans écran qui se jouait à deux. Pareil comme les deux nains, là, on planquait une main derrière notre dos et au signal, on la sortait pour la comparer à celle de l’adversaire. « Pierre » c’était le poing serré, « feuille » la main à plat et « ciseaux » on écartait les doigts en forme de ciseaux… La feuille couvrait la pierre, les ciseaux coupaient la feuille mais s’ébréchaient sur la pierre…

Endymion me prend à témoin.

– Non mais t’imagines ? Une soucoupe volante m’atterrit sous le nez, lâche une cargaison de petits pois hydrocéphales excités comme des puces et maintenant vas-y que j’en repère deux à fond dans une partie de chifoumi !

– Une partie de what ? », je faux-culte sans vergogne. Là encore Endymion a pas à savoir que je jouais à « Pierre, feuille, ciseaux » un siècle et demi avant sa naissance !

– Chifoumi. On disait « Chi –Fou – Mi » et hop on sortait la main. Bon mais d’un seul coup t’as l’OVNI qui se remet à siffler, sur l’air de « faites chauffer les turbines, paré à décoller ». Direct t’as l’équipe de nains qui remballent… Tous, excepté les deux chifoumeurs qu’arrivent pas à s’arracher à leur partie. Faut dire, ça prend bien la tête le chifoumi quand t’es dedans ! Faudra qu’on s’en fasse un, un jour !

Endymion se remet à parler au futur. C’est bon signe.

– Et comment. Ça a l’air cool.

– Bon mais en attendant le sifflement se fait plus strident. Ça sent son décollage imminent. Je me dis que mes flambeurs vont louper le départ ! Comme dans «  E.T »… (Coff coff)… Ah « E.T. » ! Il l’avait aussi celui-là, pépère Calmann ! Je me souviens j’avais flippé la première fois qu’il l’avait passé. Le moment où les mecs fouillent les buissons sous lesquels E.T s’est planqué, quand t’es môme ça fout les boules ! Heureusement ça finissait bien… Ça me gave les films qui finissent mal. Comme si on allait au cinéma pour voir des histoires qui racontent la vraie vie… Pareil pour les bouquins… Je vais t’étonner mais quand j’étais gamin, je lisais tout ce qui me tombait sous la main… Pendant que mes vieux s’abrutissaient avec leurs séries à la con, moi je m’éclatais sur une vieille liseuse récupérée dans une brocante…

– Endymion, j’ai sommeil.

 

la suite demain…

« MARS 2221 » (chap 20 : Le récit d’Endymion (1), suite et fin)

résumé : Endymion Calmann-Lévy continue de nous bassiner avec ses souvenirs alcoolisés…

Le vétéran revit l’action. Il se couvre les oreilles avec les mains.

– J’ai cru que les cocos avaient déjà remis le couvert. Un putain de missile qui nous arrivait dessus ! Tous aux abris !!! Je calcule un trou pas loin. Une tombe qui tombait à pic comme qui dirait, ha ha ! Je plonge dedans. Recroquevillé, la tête entre les genoux, je me prépare à l’impact … Rien ne se passe ! Au bout d’un moment, je me risque à décoller le nez de la crotte de chien… C’était ça que ça sentait drôle pour une sépulture, même tri millénaire…

M’ayant entendu bâiller, Endymion passe la vitesse au-dessus.

– Je me redresse, centimètre après centimètre, jusqu’à pouvoir me faire une idée de ce qui se trame en surface. Et qu’est-ce que je vois en fait de missile ? Une soucoupe volante ! La vie de ma grand-mère, UNE SOUCOUPE VOLANTE !!! Sortie de nulle part, là sous mes yeux, au beau milieu du site archéologique ! Un OVNI, comme disait mon gramp’. Il en avait plein un gros classeur, des photos d’OVNIS. Découpées dans les journaux avec les lieux d’apparition, les dates et le toutim… Ils me faisaient penser aux œufs au plat de ma grand-mère, ses « objets volants non identifiés » à pépère Calmann-Lévy ! Elle les laissait toujours cuire trop longtemps ses œufs, mémère. Alors pépère il gueulait. « Ça des œufs au plat ? C’est quoi comme marque de poule ???  »

Endymion secoue la tête, en proie à la nostalgie de l’enfance.

– Un OVNI, bordel de dieu !!! Un OVNI en lévitation à ça du sol. Le sifflement décroit progressivement alors qu’une rampe télescopique émerge de la carlingue. Et trente secondes plus tard, qu’est-ce que je vois descendre le long de la rampe ? Qui s’étirant, qui bousculant son voisin, dans un mélange de couinements et d’éructations entrecoupés de borborygmes… UNE BANDE DE NAINS !!! TOUT VERTS !!! Avec des têtes énormes !!! Un commando communiste ? Les cocos, ils sont souvent minuscules, c’est une affaire entendue mais pas hydrocéphales ! Pas plus que la moyenne des Chinois, je veux dire. Et question couleur, les Chinetoques, ils sont plus souvent jaunes que verts !!!

Endymion plisse les yeux. Il se repasse l’événement dans toute sa saugrenuité.

– Il y avait aussi ces espèces de flûtes de Pan avec lesquels les nouveaux arrivants s’étaient mis à mitrailler les monolithes sous tous les angles… J’avais pensé un moment à des touristes japonais… Mais les touristes japonais, ils sont pas verts non plus ! À part ceux qui crèchent trop près des réacteurs nucléaires fissurés de Fukushima III. Mais si c’était des habitants de Fukushima III, dans le tas il aurait dû aussi y avoir, je sais pas moi, des pieds-bots… Des manchots… Truffés de kystes, de fistules, d’exostoses cartilagineuses…

Vigoureux secouage de teutê.

– Non, fils ! Y avait pas à tortiller du cul pour chier droit. J’étais bel et bien en présence d’EXTRA TERRESTRES !!! D’« estraterresques » comme disait mémère Calmann-Lévy, quand elle engueulait mon grand-père encore en train de classer ses photos là-haut dans le grenier. « T’arrêtes un peu avec tes estraterresques, oui ? Ta soupe va être froide ! »…

 

demain chap 21, « Le récit d’Endymion (2) »…

« MARS 2221, roman (chap 20 : Le récit d’Endymion (1) (suite))

résumé : le narrateur écoute la narration de l’adjudant-chef en retraite Endymion Calmann-Lévy. Qui insiste pour lui remettre « une sorte d’hostie en cristal rougeâtre ». On frappe à la porte de la chambre…

– Alors monsieur Calmann-Lévy, ils étaient bons mes rav… Mes « jiaozis », devrais-je dire ! Mei-Li, une collègue qui est de là-bas, m’a appris que la recette des raviolis avait été inventée par un Chinois… Vos amis les Chinois ! Hi hi… Oh le vilain ! Il n’y a pas touché, à ses jiaozis réchauffés avec amour ! Le jeune homme non plus, on dirait…

D’Avila me regarde d’un air de reproche, remballe ses « jaozis » et retourne à Endymion.

– Lui il pourra se rattraper sur le petit-déjeuner mais vous monsieur Calmann, tintin ! Vous devez impérativement être à jeun pour l’intervention… Cela dit vous avez de la chance ! Toujours à cause de l’anesthésie à venir, ce soir vous êtes dispensé de Lopramédazolam ! N’en profitez pas pour remettre ça avec vos cauchemars guerriers ! Je compte sur vous, n’est-ce pas monsieur Calmann ?

L’infirmière, sa mine sévère et son sweet chariot disparaissent dans le couloir. Endymion bougonne.

– Pfff ! Elle serait mieux gaulée, je te lui prouverais que son « monsieur Calmann », entre les jambes, il a encore de quoi la faire grimper aux rideaux ! Avec ou sans Lopramédazolam !

Ricanement grivois ponctué d’une quinte de toux.

– Bon où j’en étais ? Ah oui, BRGTR hors service, je m’étais rabattu sur le bar de l’hôtel. Me voyant me morfondre tout seul devant mon vermouth cassis,  le barman me demande à tout hasard si je serais pas branché vieilles pierres. « Drôle de question », je lui réponds, « parce que quand j’étais petit, en vacances chez mes grands-parents je demandais tout le temps à mon grand-père de me repasser un vieux nanar du temps jadis sur son home cinéma pourave. Rien que le titre me faisait bidonner. « Les Aventuriers de l’Arche Perdue » ! Toute une époque ! « En ce cas » qu’il me fait, « pourquoi n’iriez-vous pas visiter le site archéologique de Beinan ? La municipalité investit une fortune dans son entretien et personne n’y va jamais. Pourtant les monolithes valent le détour ! Ces grosses pierres taillées, posées au milieu de nulle part… Dont certaines sont percées ! Les spécialistes s’interrogent toujours sur leur signification… Même chose pour les 1600 restes de sépultures ! Mais non, les touristes ils préfèrent aller faire trempette dans les micro billes en plastique et se faire sécher sur le sable radioactif… Le prenez pas pour vous mais si le client est roi, roi des quoi, ça reste à définir ! », qu’il ironise, le loufiat…

Comprenant qu’Endymion est parti pour la version longue je me cale mieux contre mes oreillers. Après tout, me farcir son journal de bord ou me planter dans mon comptage de moutons en l’écoutant ronfler…

– Je vais te dire, fiston. Pour ce qui est du pragmatisme, les Chinois – républicains ou cocos – ont des leçons à nous donner. La philosophie du « faire avec » ! Selon ces faces de pamplemousse avarié « S’il n’y avait pas de montagnes, les plaines n’apparaîtraient pas ». BRGTR avait ses ours ? J’en profiterais pour tripper « Indiana Jones » !

L’ex baroudeur fait mine de réfléchir.

– Ou « Han Solo » plutôt ! Cherche pas à comprendre, c’est dans un autre film qu’il avait dans sa collec, mon gramp’. Je me souviens plus du titre. Ça se passait dans l’espace… Bon mais le barman avait raison, y avait pas un chat sur le site archéologique. Je me baladais seulabre dans les allées, m’arrêtant devant une tombe par-ci, les fondations d’une baraque par là…  D’après les pancartes le tout remontait à entre 5000 et 2000 ans avant notre ère…. Les occupants des lieux avaient ensuite disparu sans laisser d’adresse. À en croire les spécialistes, il n’existait aucune preuve de leur filiation avec les tribus aborigènes de Taïwan, comme les Amis, les Paiwan ou les Puyuma. BRGTR était d’ascendance puyuma. À tous les coups ça l’aurait intéressée de visiter le site. Elle était pas que con BRGTR, tu sais ? Pour une Taïwanaise, je veux dire. Bref je venais d’apercevoir le fameux monolithe troué, sûr qu’il avait une drôle de dégaine ! Je faisais route dans sa direction quand un sifflement suraigu m’avait vrillé les tympans !

 

la suite demain

« MARS 2221, roman » (chap 20, « Le récit d’Endymion (1) »

Plus je relis (et fignole au passage) « MARS 2221, roman », plus j’acquiers la certitude de me trouver devant un putain de bon bouquin. J’ai promis à une personne qui m’est chère de pas dire de mal de la majorité de mes collègues scribouilleur(e)s donc point ne procéderai-je par comparaison, laissant ce soin aux frères Goncourt toujours.

  1. Le récit d’Endymion (1)

  Quand Mme d’Avila débarque, nous signifiant avec tact mais fermeté que l’horaire des visites touche à sa fin, la maxi flasque de vodka est vide. Anthéa la remballe discret dans son sac à main avant de me faire un bisou, souhaiter bonne chance à mon compagnon de chambre pour son opération du lendemain et nous laisser seuls, lui et moi, à méditer devant nos plateaux repas. Vous allez pas le croire, c’est des raviolis.

– Pfff ! Même pas un coup de rouquin pour faire descendre !

Dégoûté, le centenaire repousse le plateau sur sa tablette de lit et se tourne vers moi.

– Écoute, gamin. Le professeur Troudemonkuk a beau se vouloir rassurant, mon fémur, il est bouffé aux mites.

Sa voix est un chouïa pâteuse. Il a pas dit non quand Anthéa lui a tendu la flasque, cet après-midi. À condition qu’elle l’appelle par son petit nom, Endymion. Au troisième shot, on se tutoyait tous.

– …Quant à mon palpitant, pas certain qu’il puisse encaisser une anesthésie générale…

– Sérieux, Endymion, t’as vu comment il tient la vodka, ton palpitant ?

– La vodka c’est naturel, mon gars. Contrairement à toutes les saloperies qu’ils nous injectent. Quand ils nous les font pas bouffer !

Nan les raviolis c’est pas son truc à l’adjudant-chef.

– …Bref, au cas où je reviendrais pas de la salle d’op’, vu que t’es la première personne sympathique que je rencontre sur cette putain de planète rouge, je te déclare officiellement mon légataire universel.

– Ton légataire ? Qu’est-ce que tu racontes, mec ?

– C’est comme ça, fais pas chier ! J’ai ma charge mais ça m’empêche pas d’être clair dans ma tête. Limite, si je sors vivant des pattes du Troudemon, tu me le rendras.

– Je te rendrai quoi ?

– Ce bazar, là… Mon arrière-petite-nièce ingénieure en astrophysique dit que c’est de la jarosite.

De la poche de son pyjama, il extrait une sorte d’hostie en cristal rougeâtre.

– Tiens, attrape !

Surpris, je rate la réception. Le « bazar » atterrit dans mon assiette encore pleine. Je le récupère entre le pouce et l’index et l’essuie avec ma serviette, intrigué.

– De la jarosite, tu dis ? Ça ressemble à du mica… De l’ambre plutôt… Avec plein de grains minuscules pris dedans… Où t’as trouvé ça ?

– Souvenir de Beinan. Soixante ans après, j’arrive toujours pas à croire que cette histoire de fou me soit arrivée pour de bon.

D’une voix absente, la vodka y est pas pour rien, l’adjudant-chef en retraite envoie le diaporama.

– J’étais à Taïwan depuis deux ans. Comme toujours en période de mousson, les communistes, occupés qu’ils sont à réparer leurs barrages vétustes et calmer leurs minorités religieuses, nous lâchent temporairement la grappe. Le major Fox m’avait octroyé une permission de trois jours. Bol-de-Riz-Gluant-au-Thon-Rouge était aux anges. Depuis le temps qu’elle voulait voir Taitung… Taitung c’est le St Tropez de la côte ouest taïwanaise. Le St Trop’ d’avant que la centrale du Tricastin fasse des siennes, je précise !

–  Curieux comme nom, « Bol-de-Riz-Gluant-au-Thon-Rouge ».

– Je te l’accorde. Sur l’île à une époque, pour attirer la clientèle, une chaîne de restos promettait un repas gratuit à quiconque dont le patronyme contiendrait les mots « Hóng jīnqiāngyú ». C’est le mandarin simplifié pour « thon rouge ». Comme en République de Chine, tu as droit à changer d’état civil trois fois dans ta vie, la gourmande avait pas hésité à renégocier son état civil en « Bol-de-Riz-Gluant-au-Thon-Rouge ». Bref on débarque à Taitung – un petit hôtel sympa avec piscine, sauna, court de tennis et tout – et bam, voilà que BRGTR est prise de maux de ventre. Au point d’aller se coucher direct… BRGTR et ses règles douloureuses! Si je te disais que c’est ça qui m’a fait me tirer à la fin… Ça et ses chlamydioses à répétition ! Ma parole, j’en étais arrivé à regretter Delph…

On toque à la porte. Je planque la rondelle de jarosite sous le drap.

 

la suite demain

« MARS 2221 » (chap 19 : La tache sombre, suite et fin)

Je sais pas ce qui me fait dire ça parce qu’après tout ils sévissent pas exactement dans le même business mais le professeur Kembaçkuk, je le vois bien sous les traits de S. Freud. Et tonton Sigmund je le vois bien carburer à la c, surtout le dimanche.

 

résumé : mais pourquoi diable le professeur Kembaçkuk nous a-t-il fait passer un second TDM?

Kembaçkuk relève la tête et balaie d’un regard surpris la rangée de carabins dont il avait momentanément zappé l’existence.

– Jean-Baptiste, seriez-vous assez aimable, vous et vos camarades… Pour descendre à la boulangerie ? Je sens venir mon petit creux de 10.30 h. Et vous, jeune homme ?

La question me prend de court.

– Bah…

– Le meilleur boulanger de la Ferrière officie à deux pas du CHU. Vous auriez tort de ne pas en profiter. Jean-Baptiste s’il vous plaît, deux pains aux raisins de Corinthe pour monsieur et pour moi. Sur mon ardoise personnelle.

Tout le monde dégage. La porte refermée, Emma-la-Cigogne se fend d’un sourire las. Assorti d’un haussement de paupières qui en dit long sur l’estime dans laquelle il tient son public.

– Ils sont gentils, comme on dit…

Puis, quasi inaudible  :

– Pour autant, ils n’ont pas à savoir que nous portons un implant cérébral, n’est-ce pas ? Un « brain chip », comme on dit en zone étasunienne.

– Un …imp… lant cérébral ???

– Allons, allons ! Pourquoi tant de cachoteries à l’égard du bon professeur Kembaçkuk ?

Un chouïa vexé par le remontage de bretelles du toubib, Calmann-Lévy s’est muré dans un désintérêt total pour nos personnes. Le « bon professeur Kembaçkuk » n’en colle pas moins sa bouche (et son haleine fétide) contre mon oreille :

– Regardez ! … À la commissure hippocampique du corps calleux… Oui, là, dans le fornix… La tache sombre… J’ai d’abord pensé à une tumeur… Après tout, c’est en cherchant les Indes que Colomb a découvert l’Amérique. Ce n’eût pas été une première dans l’histoire de la médecine qu’un examen de routine révélât une affection systémique à traiter d’urgence… D’où ma décision de vous faire passer un second scan, centré sur la tache…

Mon air positivement ahuri commence à agacer l’homme de l’art.

– La tache qui s’est avérée être un brain chip. Ne faites pas l’enfant…

Il croit que je simule, c’est clair. Il essaie autre chose.

– Il n’y a pas de souci à porter un implant cérébral, mon vieux ! C’est même la grande mode, par les temps qui courent ! Surtout depuis qu’une équipe de neuro ingénieurs japonais a réussi à régler l’épineuse question de l’alimentation. La pile disgracieuse derrière l’oreille c’était pour nos grands-parents ! Ah ces Japonais ! Penser à utiliser l’énergie électro magnétique du cerveau lui-même…

Les yeux rusés aux blancs jaunâtres cherchent les miens.

– …Si je vous disais que depuis quelque temps mon épouse me travaille au corps pour… Non que ma virilité soit en cause mais au niveau de, comment dire, de… l’inventivité… de la fantaisie… la preuve est faite que…

Il  me gave avec ses confidences plumardières, le Kembaçkuk. Je hausse le ton.

– Écoutez, professeur, que ce soit pour améliorer mes performances aux JO de la feuille de vigne ou – je sais que ça se pratique également en artisterie – barbouiller des endivarolades à la chaîne ou – puisqu’il m’arrive d’écrire – répondre aux exigences de nouveautés malsaines  d’un lectorat plus pathétique de jour en jour, jamais dans ma vie, au grand jamais, j’ai eu recours à un implant cérébral !!! C’EST CLAIR ?

– Pas si fort s’il vous plaît !

Refroidi mais sans abandonner le terrain il me bafouille une info apte selon lui à expliquer la présence de l’implant mystérieux.

– J’ai ouï dire que, dans certains services – dieu merci cela n’est jamais arrivé ici, nous prenons toutes nos précautions en ce sens – il ait pu advenir qu’un patient marqué par le destin entrât au bloc pour une appendicite et en sortît hem… avec un bras en moins… Pourquoi pas un implant cérébral en plus ? Essayons de nous souvenir, aurions-nous, par hasard, à un quelconque moment de notre existence, subi une intervention chirurgic… ?

Toc toc ! La porte de la chambre s’est ouverte, mettant fin à l’interrogatoire. Anthéa !!! C’est vrai qu’on est dimanche ! Et que le dimanche aux Jardins c’est repos ! Wallalluhiachem Shaktiwang ! On va enfin pouvoir passer une journée ensemble !

– Qu’est-ce qui t’arrive lapin ? C’est toi que j’entends brailler depuis l’ascenseur ?

Kembaçkuk s’éjecte de mon pieu pour s’incliner galamment devant la visiteuse.

– Mes respects, Mademoiselle ! Votre ami manifestait sa joie d’apprendre que sa sortie est désormais parfaitement envisageable. D’ailleurs je m’en vais vous laisser fêter cela avec lui.

Arrivé à la porte il se ravise.

– …Après un dernier examen de routine, cependant… Il est indispensable de nous assurer du recouvrement à 100% de nos circuits mnésiques.

 

… à suivre et comment ! Chap 20, « Le récit d’Endymion (1) »…