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« MARS 2221 » (chap 26 : Mine de rien (suite et fin))

résumé : Anthéa et lapin se payent un urbex et orbex à la recherche de Darius…

Je congédie sans états d’âme le fantôme de la postière. Passée de l’autre côté du comptoir, Anthéa désire me montrer le tableau de mini écrans de contrôle, partie prenante du système de vidéo surveillance de la mine. Pour qui, pourquoi, trois d’entre eux continuent à faire le taf… Sur le premier on reconnait la façade devant laquelle le taxi nous a déposés. Un second balaie le couloir (je repère le logo des cagoinces). Sur le dernier écran on navigue en territoire inconnu. Un espace ouvert, assez vaste avec une sorte de caverne en arrière plan.

– Là… », Anthéa effleure l’écran d’un ongle perspicace, « …c’est pas un des rails qu’on apercevait d’en haut ?

– « Je me souviens ce jour-là, avec Darius on avait réussi à atteindre l’entrée des galeries… »

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Endymion Calmann-Lévy, mémoires d’outre-tombe.

– Ah ok.

Ma chérie à zéro nibards est full focus sur le haut de l’écran.

– J’ai vu un truc bouger… Choufe ! Ça recommence ! Là, par terre… À côté du rail… Tu vois pas ?

– Peut-être bien…

Elle se retourne.

– La porte là… Je parie qu’elle donne sur l’intérieur du bâtiment.

Sûre de son coup, Anthéa se dirige vers ladite porte. Miracle, la cellule photo électrique fonctionne toujours. Dans un grincement poli, le panneau métallique taché de rouille cède le passage.

– Qu’est-ce que je disais ! Ouah c’est gigantesque là-dedans !

Je sautille à mon tour jusqu’à l’ouverture. Sans commune mesure avec la vastitude colossale des Jardins, c’est vrai que le hangar en impose malgré tout. Il fallait ça pour accueillir les tunneliers, jumbos de forage, excavatrices et autres grues qui géraient le déchargement des wagonnets de retour des galeries. Fini les « tourniquets » des gueules noires aux poumons ravagés par la silicose. Plus question d’abattage manuel. Ni d’explosifs rudimentaires, aussi néfastes à la santé de l’artificier qu’à la stabilité de la roche environnante.

– Le loft que ça ferait ! » Anthéa délire, « …Aller prendre ta douche en skate, le matin ! Ton bowling perso…

– Ta note de chauffage perso…

– Là-bas dans le fond ! Le no man’s land de l’écran de contrôle !

Vivement intéressée par la large ouverture visible à la sortie du hall de gare, Anthéa slalome entre les barres d’alésage tordues, châssis, glissières rouillées et roues de coupe tournantes édentées en attente du passage des encombrants. Je fais ce que je peux pour lui filer le train mais mes prothèses me retardent.

– Attends-moi ! Où t’es ? Je te vois plus !

– Un bras !!! C’EST UN BRAS !!! Un putain de bras !!!

 

…demain, chap 27 : « Remote Control Impulse System »…

« MARS 2221 » (chap 26 : Mine de rien (suite))

« MARS 2221, roman », de la « science fiction »? ??  Pis quoi encore ? Déjà que la 4ème de couverture parle de  «dystopie» juste pour calmer les angoisses de « l’agence littéraire » qui gère ma paperasse de publication. Et oui, «Ferdinand» c’est bien Louis-Ferdinand Céline. Et non les libraires ont jamais rien eu d’« indépendant » à proposer. Leurs piles c’est pas gratos qu’ils peuvent se les construire. Parlant d’empilement, vous vous êtes enfin trouvé une série glauque et touche-pipi à souhait pour le we ?

 

 

résumé : plutôt que rentrer aux Jardins, Anthéa propose de descendre faire un tour à la mine désaffectée…

– Tu t’en sors avec tes béquilles ?

La porte glissière ayant cette fois accepté de me libérer, je lui montre si je m’en sors avec mes béquilles ! D’un coup de reins qui, contrairement à ma cheville, a rien perdu de sa vigueur je suis dehors avant qu’elle ait eu le temps de déplier ses grandes cannes. Elle me rattrape devant l’entrée principale du bâtiment alors que, dans son dos, le taxi regagne les hauteurs.

Le volet roulant est une version géante de celui de l’église de la Foi Universelle. Sauf qu’il est dûment verrouillé. En quelques enjambées félines Anthéa gagne le coin de la façade. Cri de victoire.

– « L’entrée des artistes », comme dirait Kyste Graisseux !

Je la rejoins. Sur le côté du hangar une porte, métallique elle aussi mais à taille humaine. Au-dessus il y a encore moyen de lire :

« AC  EIL – LIVRA S NS »

Ouv  tu e   9h / 17h »

Le battant fatigué cède à la poussée de ma béquille.

– Après toi s’il en reste !

Un long couloir chichement éclairé par des leds poussiéreux. On avance, moi clopin-clopinant derrière Anthéa sur le qui-vive. On laisse un chiottard sur la gauche avant de parvenir à une nouvelle porte, en verre dépoli. « Sonnez et entrez ». Pas contrariante  Anthéa presse le bouton et, ayant poussé la lourde, passe un museau furtif.

– Nobody in the class-room », elle me renseigne mezza voce.

– Monsieur Darius ? » je contribue, risquant un œil à mon tour.

Le silence persiste. On entre. La pièce baigne dans une lumière crépusculaire, vide de chez vide. Ambiance agence postale après un hold-up. Au mur, on dirait une vitrine d’exposition de timbres rares. Explosée. À défaut de casse du siècle les braqueurs ont dû se rabattre sur son contenu, des fois qu’il puisse intéresser un fourgue philatéliste. Un moment je crains que mon hippocampe ait finalement décidé de remettre le couvert. St Martin d’Étampes, années 2000. Je suis venu poster les formulaires provisoires de mes dernières bluettes à la SACEM, service des dépôts… « Veuillez  indiquer le titre de votre œuvre et en consigner les quatre premières mesures dans le rectangle prévu à cet effet, les paroles au-dessus de la musique ». La postière me sourit connivente. Je lui refile l’enveloppe en papier kraft, ça va encore me coûter des ronds ces conneries…

– Lapin, viens voir !

 

la suite demain si vous êtes sages

« MARS 2221, roman » (chapitre 26 : « Mine de rien »)

Ferdinand serait d’accord avec moi, au sortir de « Veiller sur elle », « Tout le bleu du ciel », « Les Yeux de Mona » et le toutim, c’est pas facile de continuer à respecter son libraire indépendant (rires) ». Heureusement y a Nextflip !

 

  1. Mine de rien

À l’hosto ils veulent me rapatrier aux Jardins en ambulance mais avec Anthéa on négocie l’anonymat d’un taxibot. Il y en a toujours deux ou trois qui patrouillent autour du CHU. Vautrés l’un contre l’autre sur la banquette on regarde défiler les préfabs métalliques. Un étage, deux, trois maxi, fenêtres PVC modèle unique. Ça et là, à la demande de quelque rupin désireux d’être reconnu comme tel, un architecte audacieux a tenté un balcon. J’ai même cru apercevoir un pot de géraniums en plastique. Il est pas loin de midi, les puits de lumière s’en donnent à cœur joie. Je sens le regard d’Anthéa sur mon pif boutonneux.

– Vous êtes quand même un drôle de coco, Maître !

– Nan ! Pas toi, Anthéa !

–  Pourquoi pas ? Tu captes à nouveau le cri du blé dans ton cristal de jarosite oui ou non ?

– Affirmatif. Hyper faiblard mais c’est bien le « son complexe représenté par une courbe périodique, non sinusoïdale et de forme compliquée », selon la définition de madame Dupouy.

– La prof coquine qui montrait sa culotte à toute la classe ? Écoute, à moins que tu sois pressé de retourner te perfectionner en agriculture hydroponique, aujourd’hui j’ai envie de faire les Jardins Suspendus buissonniers… Chauffeur ! Direction l’ancienne mine de fer !

Y a pas de chauffeur dans un taxibot mais le changement de destination a été reçu cinq sur cinq. Docile et silencieuse, la capsule antigrav s’engage dans une artère adjacente. Mêmes alignements de cubes sauf que de plus en plus vieillots, de plus en plus rouillés. À un moment on se retrouve au bord d’une immense cuvette poussiéreuse. Un nouveau « trou des Halles »  de quelques centaines de mètres de diamètre qui plonge par paliers vers une construction en partie délabrée. Une sorte de gare à l’abandon qui darde ses rails dans les flancs rocheux.

– Il y a moyen de descendre ? » Anthéa questionne.

En réponse le taxibot s’engage sur le semblant de piste circulaire. On se retrouve rapidement au pied de l’espèce de bâtisse. Elle a l’air moins pourave que vue d’en haut. Anthéa se tourne vers moi.

– Tu m’as pas parlé d’un gardien ?

– Si. Darius. Endymion en parlait en bien. Puisqu’on est là, on pourrait descendre lui faire part du décès de l’adjudant-chef. Pas plus joyeux que ça comme entrée en matière mais…

Joignant le geste à la parole, j’actionne le loquet d’ouverture de ma portière. Sans résultat.

Le montant de la course est de 9,7 kreds. Quel mode de règlement, je vous prie ?

La confiance règne dans les taxis martiens ! Je me demande combien de gros étourdis ayant omis de se munir de cash ou d’une carte de crédit valide ont été retrouvés momifiés à l’arrière d’une de ces brouettes en titane. Anthéa glisse un biffeton de 10 dans la tirette qui l’avale gloutonnement et recrache 3 boutons de braguette. Ils resteront dans la sébile. On a sa dignité.

 

la suite demain

« MARS 2221, roman » (chap 25 : « Ganesh, le retour » )

Lecteur(e)s des années 2220 je vous kiffe. Ca change tout d’écrire pour vous. Les autres, il est temps de vous trouver une série pour le weekend.

 

  1. Ganesh, le retour

Les privilégiés qui auront réussi à télécharger Hippocampe Twist se souviennent certainement d’une partie de poker d’anthologie chez Wilma. Un jackpot d’enfer entre St-Mégland, Brice et mézigue.

Aux autres je dois quelques éclaircissements. En ma prime adolescence, alors que dans la solitude de ma chambre je m’initiais aux subtilités proto électroniques d’un orgue de supermarché, il advint que sur la teutê me tomba une étagère pleine de bordel. Le tout finissant sa course sur le clavier de l’instrument. Produisant en cela un accord plaqué déchirant qui était parvenu aux oreilles de ma mère. Qui lorsque je l’avais rejointe en bas dans la cuisine avait pas manqué de s’enquérir de l’origine d’un tel « barrissement ». C’était le terme dont elle avait usé. Curieusement, une centaine d’années ayant passé (et au terme d’un suivi thérapeutique discutable sur lequel on reviendra pas), le professeur Marcel s’était cru justifié à voir en ma personne un des innombrables avatars de Ganesh, la divinité hindoue à tête d’éléphant. D’où, affirmait l’éminent neuropsychiatre, mes singulières poussées proboscidiennes (j’en avais profité pour enrichir mon vocabulaire) ainsi que l’acouphène non moins singulier que j’avais à endurer chaque fois qu’était fait mention en ma présence d’un événement lié à un enrichissement quelconque, avéré ou potentiel. Normal, expliquait Marcel, puisque Ganesh possède – entre autres pouvoirs – ceux de dispensateur attitré de l’abondance matérielle et de grand protecteur des comptes en banques à neuf zéros.

– …Lointain, étouffé mais parfaitement reconnaissable, je l’ai entendu ce putain de « barissement », Anthéa ! Là, dans le cristal ! Le même qu’au bahut, lorsque confronté à Michel Édouard à qui j’essayais sans y croire de soutirer une ristourne sur un paquet de gâteaux secs. Ou à Jipé-l’escroc-au-tiercé en train de me taxer une Rothman’s rouge sous l’abri à poubelles de la cantine…

– Tu me rassures…

– Comment ça je te rassure ?

– Ton espèce de gros bouton de fièvre, là…

Anthéa se tapote le bout du nez. Elle se fend la poire.

– …Je t’imaginais déjà avoir chopé un staphylocoque doré ou je ne sais quelle maladie nosocomiale éruptive en vogue au CHU de La Ferrière. Ah tiens, pendant que j’y pense, à l’accueil ils m’ont dit que Kembaçkuk avait signé ton bon de sortie.

– Sans déc’ ? Je croyais qu’il voulait d’abord me faire passer une dernière batterie de tests…

Anthéa secoue ses boucles peroxydées.

– Sa contre-performance avec le fémur d’Endymion doit être en cause. Il préfère se faire oublier pendant une semaine ou deux, quitte à lever le pied sur ses turlutaines d’implants aphrodisiaques.

Je regarde là-haut, au-delà du plafond.

– Merci Endymion ! Éclate-toi bien au paradis des baroudeurs !

 

…demain chapitre 26 : « Mine de rien »…

« MARS 2221, roman » (chap 24 : « Jour férié »)

À partir d’aujourd’hui, le narrateur s’appelle « lapin ». Sans majuscule.

  1. Jour férié

– Salut lapin, t’es tout seul ?

À la tronche que je tire Anthéa pige direct.

– Ils sont venus le chercher à l’aube. Comme un condamné.

– À l’aube ?

– Avant le petit-déj’ quoi… La médecine est intraitable là-dessus. Lui qui appréciait tellement sa biscotte beurrée. « Mon seul plaisir ! » qu’il disait en faisant trempette dans son bol de cacao. Ça craint, Anthéa. Je l’avais pris en affection ce vieux débris.

–  Moi aussi je l’aimais bien… Ça me fait quelque chose… Le jour de la St Thomas-Pesquet en plus !

– Ah c’est ça que t’es pas aux Jardins ?

– Jour férié. Regarde, je nous avais pris une ISS à la frangipane à la boulange en bas. Elle me faisait trop envie…

La galette en pâte feuilletée qu’Anthéa vient de sortir de son emballage, toute plate, en forme de « H », est censée évoquer l’ « International Space Station», un tas de ferraille qui, dans les temps anciens, flottait en orbite basse autour de Terra. Sa fonction principale était d’éviter la nuée de satellites en perdition qui lui arrivaient dessus de tous les côtés.

– Quand je pense que je l’ai connu de son vivant, ton St Thomas-Pesquet ! Sa dégaine «bonhomme Michelin » a tourné en boucle pendant des semaines sur toutes les télés. Le premier français à commander la station spatiale internationale ! Cocorico ! J’étais pas loin d’avoir l’âge d’Endymion. C’était la fameuse période où une confrérie de seringueux voulaient à tout prix shooter le monde contre un virus chinois soi-disant mortel pour les vieux et les immuno déprimés. Les labos se faisaient des couilles en or avec ça. Je me souviens, à la radio ils avaient inventé un nouveau mot : « vaccinodrome ». Soit disant que c’était une marque de civisme de se faire injecter cette saloperie. Au point que de prétendus journalistes voulaient envoyer les keufs trouer de force le cul des récalcitrants…

– Hé, tu vas pas me faire une remontée ?

– Nan rassure-toi, on dirait que, de ce côté-là, ma chute dans l’escalier a eu au moins un effet positif !

– Comme dans Hippocampe Twist ! Un trauma à la calebasse et hop, fini les hallus intempestives ! Si tous les petaucasques fonctionnaient comme toi, la neuropsychiatrie gagnerait à s’équiper en marteaux ou en battes de base-ball.

– À propos de calebasse, hier j’ai pas trouvé le temps de t’en parler mais Kembaçkuk m’a localisé un brain chip dans le fornix.

– Sérieux ? Où c’est le fornix ?

– Pas loin de l’hippocampe justement. Il croit que je me le suis fait poser histoire de bander plus dur, t’imagines ! Paraît que c’est la mode en ce moment.

– M’étonne pas. Tiens, c’est joli ça… D’où ça sort ?

Anthéa a repéré le cristal de jarosite sur ma table de nuit.

– Le cadeau d’adieu d’Endymion.

Anthéa se saisit de la fine lamelle dont les reflets rougeoyants contrastent avec la pâleur de ses doigts.

– Tombé de la poche d’un extraterrestre.

Anthéa écarquille les yeux. Je lui résume du mieux que je peux le polar rocambolesque de feu l’adjudant-chef. Le site archéologique, la soucoupe volante, les chifoumeurs de l’espace, sans omettre les conclusions de l’arrière-petite-nièce astrophysicienne après analyse du cristal. Je note qu’au mot « rayonnement », Anthéa s’empresse de reposer la lamelle où elle l’a prise.

– Ha ha ! Un karma à la Marie Curie te tente pas plus que ça, on dirait ? Je te vanne mais j’ai eu le même réflexe. Sans raison, d’après Endymion. Il pense – pardon : il pensait, j’ai du mal à m’y faire – qu’il s’agit ni plus ni moins d’un aimant un peu costaud.

Anthéa est perplexe. Je lui dis ou je lui dis pas ?

– Quand t’étais petite, ‘Théa, tu t’amusais pas à écouter la mer dans les coquillages ?

– Bah si ! Comme tous les gosses, pourquoi ?

– Vas-y, essaie avec ce truc…

Moyennement rassurée, Anthéa se saisit à nouveau du cristal. Elle le glisse sous ses bouclettes soyeuses, tout contre son oreille délicatement ourlée, se concentre quelques instants… Avant d’afficher une moue négative.

– Nan, j’entends que dalle.

– T’es sûre ? Ferme les yeux… Imagine que tu te balades dans la savane africaine…

– Depuis quand y a la mer dans la savane africaine ? Nan je t’assure, lapin, j’entends rien.

– Eh ben moi tout à l’heure j’ai porté le bidule à mon oreille, comme ça, machinalement, et…

 

…demain chap 25 : « Ganesh, le retour »