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« MARS 2221, roman » (chap 57 : « Marjolaine », suite et fin)

résumé : même constat qu’hier.

– Au fait, Gd’Ye-Asi, je voulais vous demander… l’asanjrat serait pas pour quelque chose dans l’histoire ?

Je pousse ma mobylette le plus loin possible à l’écart de la route. En provenance de laquelle les premiers froissements de tôle se font entendre. Ponctués des premiers « bloody hell ! » « Jesus fucking Christ », « you dick head !  », « stupid cow !  », « up your ass ! », « screw your aunty you motherfucker ! »… Comme quoi le flegme britannique a ses limites… 

– *Ce ne serait pas impossible. De récentes recherches ont mis en évidence un rapport de causalité entre l’ingestion même minime de dr’noä bleu et la manifestation, dans le métabolisme de certains composés, d’une singularité de la matière connue depuis des lustres partout dans les Mille Galaxies et tout récemment parvenue jusqu’à l’entendement de la pseudo science terreu… eu…eu…se.*

Si l’ingéson pouvait baisser l’écho sur la voix de ma correspondante, merci.

– *…Qui lui a, semble-t-il, donné un nom… Un nom  qui, comme presque toujours avec la pseudo science terreuse fait de l’effet sur le blaireau moyen mais ne veut strictement rien dire… Quelque chose comme l’ intrac … L’ intruc… *

Le bosquet refuge entraperçu n’est plus qu’à quelques yards …Quand le sol se dérobe ! Un ravin ! Dans ma surprise effrayée, je lâche le guidon. Entraînée par son pesant de ferraille, de guitare et de tente amarrée au porte-bagage, la 204 plonge. 

– L’« intrication quantique » ? « Couantique » comme prononçait Nicolas Martin et ses oreilles en carton ? C’était son kif à Nico le France-Culturiste, d’« esspliquer » des trucs auxquels il comprenait queud, rejoignant sur ce point couantité d’autres prétendus spécialistes de la couestion…

Clank ! Le ravin se révèle un modeste fossé dont ma bécane a presqu’aussitôt touché le fond, la roue avant se déboîtant sous le choc. Après tout elle est bien où elle est, ma noble monture ! Ma guitare pareil. «Un inconnu et sa guitare ♫ dans une rue pleine de brouillard ♫ Marjolaine, toi si jolie ♫… Je vais juste essayer de récupérer ma tente… Je la planterais bien dans la petite clairière entr’aperçue il y a une minute…

– * Nicolas Qui ?  Je vous reçois de plus en plus mal, Lapsonami…i…i…*

Faire gaffe à pas trébucher sur le sol inégal… Heureusement il est pas trop dur… Les sardines s’enfoncent assez profondément pour conférer à mon abri de toile monté à la one again un semblant de solidité…

– L’ « IN-TRI-CA-TION », Gd’Ye-Asi ! Le cat de Schrödinger, à la fois mort et vivant dans sa caisse à savon, ce genre de conneries…

La réponse mentale de Gd’Ye-Asi finit par me parvenir, altérée. D’où, je sais pas… De loin, très très très loin.

– * L’« intrication », oui c’est bien le mo… o… ot ! Écoutez, Lapsonami, il faut que vous sachiez une cho… o… ose ! Dans leur approche, les pseudo chercheurs terreux négligent une donnée essentielle. Le principe de non-localité… é… é des particules en état intriqué s’applique non seulement à l’espace mais au temps. AU TEMPS !!! … Lapsonami ? Lapson…  *

 

…demain 58ème et dernier chapitre : « Bordel ! »…

« MARS 2221, roman » (chap 57 : « Marjolaine », suite)

résumé : un chapter commace ça se résume pas.

Assis sur son barda au bord du trottoir, Monsieur le baron s’en remettra à présent à la compréhension des automobilistes. Il m’exhorte à pas m’en faire pour lui. Sourire du vieux de la vieille qu’en a vu d’autres, fermeté du pouce levé, il me file rencard ce soir au pub le plus proche de l’embarcadère. « Parie combien que j’y serai avant toi et ta mob pourave ? ». Slalomeur au jugé entre caisses en perdition et giga camtars impuissants à tronçonner ce mur de smog gélatineux, je me dis qu’il a gagné son pari. Un coup de volant incontrôlé, un coup de frein trop brusque et ma 204 peut vite se retrouver compressée comme un césar sous les roues du juggernaut de service. J’opte pour la prudence. Je me rabats tant bien que mal sur le bas-côté en misant (contre toute probabilité) sur une accalmie qui me permettrait de repartir comme en quarante. Au bout d’une demi-heure de poireau tout ce que je constate c’est que le brouillard a encore gagné en épaisseur. Sont-ce des arbres là-bas ? Ils seraient peut-être ok pour abriter une humble canadienne perdue dans la tourmente ? Arrêter les frais. Bivouaquer. Demain il fera jour comme on dit… Moins nuit en tous cas…

– *Lapsonami ? Répondez Lapsonami ! Vous êtes toujours avec moi ?*

– Tout dépend d’où vous émettez ! M’est avis que me je suis une fois encore pris les pinceaux dans un « fantasme parallèle induit par une similitude avec une situation dont j’ai gardé l’empreinte mémorielle » ! Un fantasme parallèle à côté duquel la madeleine du gars Proust fait figure de gadget à un galacton …Au cas peu probable où ce grand puceau cacochyme et sa prose à rallonge vous soient familiers, très chère Gd’Ye-Asi !

Un pilier en marbre de Céphée qui se dresse brusquement entre toi et les goguenots et bam ! Tes « facultés mnésiques surcompensées » recommencent à faire des leurs ! Mais ce serait trop long de rencarder Gd’Ye-Asi sur les aléas de mon hippocampe. Depuis ma chute dans l’escalier de la plantation de Valbueno (chute qui, on s’en souvient, avait réactivé l’option « cri du blé », rendant possible ma performance au Shaker) je croyais être débarrassé de ces intrusions plus que gênantes dans ce que le chirurgien Poutine appelait en se marrant doucement – je commence à comprendre pourquoi – la « réalité objective ».

 

la suite « demain » si mon hippocampe est d’accord

« MARS 2221, roman » (chap 57 : « Marjolaine »)

  1. Marjolaine

Bonne question. J’ai pas trempé dans un potage pareil depuis la grande époque de la Résidence.

– Je… Je…

– *Ne vous agitez pas… Laissez-vous porter…*

Porter par quoi ? De plus en plus déformée par une sorte d’équivalent télépathique de l’auto tune de Kendrick Lamar, la pensée de Gd’Ye-Asi s’éparpille en moi, se dilue, se désagrège… Putain de brouillard. Même les juggernauts pourtant illuminés comme des arbres de noël roulent au pas. Ceux qui se risquent encore à rouler ! Les obstinés qui espèrent envers et contre tout pouvoir rallier Folkestone avant la nuit.

Ma première nuit solo.

Le Solex du Baron a pris feu hier soir, à peu près à la même heure. On venait de passer Cambridge. J’étais parti en éclaireur en quête d’un abri de bus à même de nous héberger pour la nuit. On dirait que la nuit tombe sans arrêt sur notre retraite de Calédonie, entamée voici une dizaine de jours. Imposée par nos finances à zéro et la fin de contrat de Sandra et Noddy. Le cœur lourd il a fallu plier les tentes et enfourcher nos montures. Même sans pot d’échappement, j’étais plus rapide que St-Mégland, surtout depuis son boulon semé dans les hautes herbes du camping. Son absence a-t-elle causé l’incendie ? Va savoir avec un Solex ! Lorsque, m’étant retourné, j’ai vu au loin les flammes monter dans les ténèbres j’ai fait demi-tour illico presto. Pour tomber sur mon baron hébété, affalé en contrebas de la route (vu l’état de nos coursiers on avait oublié la motorway). Il regardait sans les voir les dernières flammèches s’échapper de son moteur à explosion (!). On le répètera jamais assez : le talon d’Achille du Solex, c’est le cylindre posé sur le réservoir. La flotte s’était remise à tomber à verse, finissant d’éteindre le sinistre mais menaçant nos bronches fragilisées par une alimentation spartiate. Il fallait se mettre à l’abri. À défaut d’arrêt de bus, j’avais repéré une cabine téléphonique dans le hameau voisin. Un hameau  d’au moins une âme. Celle qui nous a direct signalés aux keufs. « Allo superintendant, y a là deux migrants qu’ont investi un fleuron du patrimoine royal. Ils osent dormir à l’intérieur. Dormir debout, oui superintendant, debout ! Tête-bêche ! ». L’incrédulité des bobbies accourus en urgence constater les faits était à peine moindre que, trois mois en arrière, celle des mounted police devant le destrier de mon poteau. Question mètres carrés habitables, on aurait pas perdu au change d’être embarqués manu militari à la police station. Hélas, on était pas en France, fille aînée de l’Église et arrière-grand-mère de l’arrestation arbitraire et de la garde à vue préventive. Après l’incontournable vérification d’identité, l’intervention s’était soldée par un non moins incontournable « Oh you’re French ? Baguette, vin rouge ordinaire, De Gaulle, Champs Élysées ! », un nécessaire « vous êtes priés de laisser les lieux dans l’état etc… » et de très optimistes souhaits de bonne nuit.

Ce matin donc, aux premières lueurs de l’aube et sa promesse bien connue, massant nos membres endoloris et profitant d’une courte pause dans le déluge, on s’est résolu à reprendre la route.

 

…la suite demain…

« MARS 2221, roman » (chap 56 : « Explication rationnelle », suite et fin)

résumé : CQFD

–  *Ha ha ! Le rapport de l’Agence signale effectivement un « brouhaha assourdissant au cœur de la nuit »…*

Les doigts légers et précis de Gd’Ye-Asi virevoltent sur le clavier de la table. Presqu’aussitôt un plateau antigrav vient remplacer nos flûtes spiralées vides par des pleines. À notre arrivée sur l’atrium, alors que nous prenions place dans nos fauteuils invisibles, Gd’Ye-Asi avait décrété que le Joystick Special était une boisson « décidément trop touristique ». Elle désirait me faire découvrir un mélange plus « subtil ». C’est l’adjectif qu’elle avait employé.

– *L’asanjrat est distillé à partir de dr’noä bleu, succulente vivace rare cultivée exclusivement sur Taphao Kaew, une exo planète de Chalawan.*

Dès la première gorgée j’avais compris ce que Gd’Ye-Asi entendait par « subtil ». Cette seconde tournée ajoute encore à ma compréhension.

– Si vous permettez,  y a quand même un truc qui m’échappe. L’espèce de hadj que tout composé bien élevé se doit d’accomplir au moins une fois dans sa life s’applique à des entités minérales bien plus anciennes que les pierres d’un château médiéval, non ?

J’avais en tête les « Sages » de Beinan. « Entre 5000 et 2000 ans avant notre ère » qu’il avait dit Endymion. Les Moaïs de l’Île de Pâques devaient pas être beaucoup plus jeunes…

– *Remarque entièrement justifiée. Il se trouve que pour leurs fondations, en raison de leur capacité de résistance aux flétrissures du temps, les bâtisseurs de Glengarry avaient eu recours à des pierres taillées dans le corps éternel des Aïeux du Cercle de Brodgar, un cromlech situé sur Mainland, île principale des Orcades, entre les lochs Harray et Stenness. Des soixante mégalithes qui se dressaient antan sur cette étroite bande de terre, il n’en subsiste que vingt-sept aujourd’hui. C’est dire le nombre de châteaux, manoirs et autres gentilhommières des Highlands érigés au prix du pillage systématique d’un sanctuaire renommé dans les Mille Galaxies ! *

– Je vois. D’où la réputation de l’Écosse en matière d’apparitions, ectoplasmes, poltergeists et autres réjouissances paranormales…

Gd’Ye-Asi avait acquiescé.

– *Un organisateur impréparé à la matérialisation d’urgence, une manipulation hasardeuse et c’est parti pour un quiproquo comme celui dont vous avez fait les frais ! Et je ne parle pas des frasques de pèlerins venus officiellement se recueillir sur les restes des Aïeux mais officieusement prompts à faire n’importe quoi. Si je vous disais, cher Lapsonami, que votre « monstre » du Loch Ness se trouve être un Ichtyoïde de Tucana III en rupture de ban. Au moment de regagner le TransVac et ayant décrété que la composition de l’eau du loch convenait mieux à son métabolisme que celle des chotts de Tucana, l’indélicat avait faussé compagnie à son groupe et plongé en douce dans les eaux sombres. Au fond desquelles, aux dernières nouvelles, il pataugerait touj… Lapsonami ? Lapsonami, que se passe-t-il ?  *

 

…demain chap 57 : « Marjolaine »…

« MARS 2221, roman » (chap 56 : « Explication rationnelle », suite)

Le contexte :

– à force de serrer les fesses, le dernier éditeur phronçais vient de rouler sous sa chaise à porteurs, faisant trébucher ses poulains maousses costauds.

– le dernier client de la dernière « librairie indépendante » vient de mourir de rire.

Décongelés en catastrophe, les frères Goncourt décident d’en finir une bonne fois avec la littérature pathético chiatique dans laquelle les derniers rescapés du « Nextflip swindle » se noient un à un.

résumé : Ah d’accord !

– * Votre présence inattendue aux abords de l’Aïeul avait rendu incontournable une opération « soucoupe et petits hommes verts »… C’est un nom de code pour…*

– Je sais, votre belle-mère m’a briefé sur vos redoutables techniques de camouflage. Donc ce soir-là c’était pas un revenant en armure pris d’un accès de nostalgie pour son ex nid d’amour ? Vous me rassurez !

On a quitté les filles un peu plus tôt que d’habitude, elles prennent leur service de bonne heure demain matin. Il doit être dans les minuit, une heure du mat’. On arpente la petite allée goudronnée qui serpente entre les arbres. Il y a un mahousse genévrier près de la grille, derrière lequel on planque la 204 (en voulant décalaminer le piston de son Soldo, St-Mégland a égaré une vis forcément introuvable en terre calédonienne. Maintenant sa bécane broute comme pas possible alors on prend ma chiotte pour bouger). On approche des ruines du château médiéval qui donne son nom à l’hôtel. La lune est énorme.

– Qu’est-ce que c’est ce bruit ?

– Quel bruit ?

– T’entends pas ? Derrière nous… Comme un bruit de ferraille…

– Ça y est je l’entends… Ça se rapproche… On dirait des pas plutôt…

– Le gardien tu crois ? Depuis quand on ferre des bottes en caoutchouc ?

L’allée décrit une courbe serrée. Si ce sont bien des pas, on devrait pas tarder à voir le marcheur nocturne déboucher de derrière le bouquet d’arbres… Nada ! Les pas prennent le virage mais le marcheur reste invisible ! …Et continue d’avancer sur nous !

– C’est pas possible !!! Qu’est-ce que c’est que cette embrouille ??? Allez viens on se casse !!!

Avec St-Mégland on croit pas spécialement aux fantômes mais bon, la pleine lune, les ruines, le marcheur invisible, le tout copieusement arrosé… Tellement arrosé qu’on peut pas s’empêcher de se marrer en détalant. C’est nerveux comme on dit.

J’émerge en continuant à rigoler comme un bossu.

– Excusez-moi, Gd’Ye-Asi ! Je suppose que le french kiss de cette nuit avec le pilier en marbre de Céphée m’a relancé l’hippocampe…

Gd’Ye-Asi comprend pas de quoi je parle mais c’est pas grave. Elle demande pas mieux que rigoler elle aussi.

– Arrivés à la grille en moins de temps qu’il en faut pour le dire on avait enfourché ma mobylette qui avait fini par démarrer et taillé la route. Dans un vacarme d’enfer vu que j’avais semé mon pot d’échappement dans la banlieue de Glasgow…

 

…la suite demain…