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« MARS 2221, roman » (chap 28 : « Ladies and gentlemen ! »)

  1. Ladies and gentlemen !

Perchés sur le rail à côté du cavalier sans tête, nous regardons nos jambes se balancer, un chouïa frustrés. L’écusson cousu sur la vareuse nous a ôté nos derniers doutes. « GI » pour « General Irons ».

– Au moins maintenant on sait que Darius était un bot.

– Pour ce que ça chan… Hé !!!

Anthéa m’assène une grande claque sur la cuisse. Sans mes béquilles je perdais l’équilibre !

Ça change pas mal de choses en fait !

L’inspirée soudaine saute du rail et fonce au poste d’aiguillage. Je la vois mater à travers la vitre, pousser la porte et entrer. Elle réapparaît presqu’aussitôt, porteuse d’un tabouret. Sur lequel elle grimpe. Se hissant sur la pointe des pieds et après quelques balayages à l’aveugle, elle finit par pécho la tête de Darius. Plus radieuse qu’un troisième ligne venant de s’emparer de la balle et courant à l’essai elle saute du tabouret. La voici de retour, chargée de son précieux trophée. « Judith et Holopherne », version Cristofano Allori (1577-1621)…

Contrairement à un macchabée de chair et d’os un robot hors service peut se révéler super bavard.

Ayant dit, elle me colle la terrine de l’ex gardien dans les bras. Je suis étonné de sa légèreté. La fixité du regard, quant à elle, autant que le contact avec l’épiderme plus vrai que nature me mettent mal à l’aise.

– Coup de bol, il est pas trop esquinté. Coince lui le museau entre tes genoux… Là, comme ça ! Garde la pose !

De la mini trousse à outils qui ne quitte jamais son sac à dos, Anthéa a sorti un crayon laser. Elle écarte les cheveux du patient.

– Pour commencer, j’ai besoin de savoir à qui j’ai affaire. En principe, ça se passe derrière l’oreille.

Monte une odeur subtile d’élastomère calciné. Débarrassé de son épiderme, le cartilage se révèle en caoutchouc flexible.

– Dis-moi ce que tu lis sur la plaque, lapin. C’est écrit trop petit pour moi.

Je l’ai dit, les yeux d’Anthéa sont de purs joyaux. En tant que tels, ils leur faut composer avec une hypermétropie carabinée.

– PKD0882513M.

– Ok. Et plus bas, là, sur le lobe?

– 07-11-16.

– 2216 ? La chance est avec nous. Chez PKD ils sont passés au RCIS en 2215. Mais surtout, leurs boîtiers sont réputés d’un accès aisé. À la Résidence le prof de cyber appliquée faisait un tabac avec sa vanne de l’andro PKD qui philosophait trop sur sa condition de droïde. Chaque fois qu’il se grattait la tête il semait son unité centrale !

– Drôle.

À la façon d’un capilliculteur à la recherche d’un angle d’attaque pour sa tondeuse, Anthéa manipule la tronche de Darius jusqu’à lui imprimer l’orientation voulue.

– Lààà ! Surtout tu bouges plus.

Nouveau trait de laser en haut de la tempe, à la racine des cheveux, avant de remonter d’environ trois centimètres de chaque côté. Satisfaite, la méticuleuse décolle le carré de scalp puis, d’une ultime estafilade de son cutter luminescent, le détache et le balance sans le moindre égard, comme un poseur de moquette une chute indésirable.

 

la suite demain

« MARS 2221, roman » (chap 27 : « Remote Control Impulse System », suite et fin)

Non à l’overdose, je me remettrai (peut-être) à l’actu quand cow-boys et pom pom girls auront enfin désigné (le)(la)Top Chef(fe) digne de les rouler dans la farine (sur place) et continuer à leur mitonner une chouette complicité de génocide (à emporter). Pour l’instant je m’éclate trop à relire avec vous « MARS 2221, roman », le worstseller préféré des Goncourt Bros qui – défunts hélas – n’ont plus leur mot à dire dans leur propre académie de pain.

résumé : Anthéa a toutes les peines du monde à faire comprendre des trucs un peu  techniques à lapin.

– Ho du bateau ? Faudrait voir à t’intéresser ! Je disais que, sous RCIS, l’ordinateur cérébral de l’andro émet des infra rouges intelligents en direction de récepteurs stratégiques …

Anthéa farfouille à l’intérieur de l’épaule inerte.

– Dans le genre de ce minuscule boîtier, là… Les récepteurs transforment le signal lumineux en un signal électrique à destination du réseau de circuits intégrés. Et hop les muscles, tendons et articulations exécutent scrupuleusement l’ordre reçu.

Sa moue appréciatrice s’élargit en un sourire matois.

– Comme son nom l’indique, le « remote control » continue, le cas échéant, à opérer à distance.

Anthéa fixe ostensiblement l’entrée de la bouche de métro XXL entraperçue sur l’écran tout à l’heure.

– Tu m’attends deux secondes ? Je voudrais en avoir le cœur net.

– J’attends que dalle. Regarde ! Quel animal marche sur trois pattes avec autant d’aisance ?

D’accord avec toi, lecteur du 23ème siècle et qui pourtant connais tes classiques mieux que nombre de ceux qui t’ont précédé (morts et enterrés depuis, eux et leurs « séries »  de merde) : pour qui s’aventure dans l’antre du Minotaure est-il bien raisonnable de convoquer Œdipe ? Un Minotaure qui donnerait dans la modernité toutefois. Les parois de la vaste salle souterraine sont parfaitement lisses, à coup sûr l’œuvre d’un tunnelier mahousse costaud. Sous la voûte arrondie, le monorail en provenance du méga hall de gare fait des petits, chacun s’en allant desservir une des trois galeries là-bas dans le fond. Plantée au milieu de la salle, une cabine vitrée éclairée par une veilleuse. Un poste d’aiguillage.

Plus inattendu, à califourchon sur le monorail un cavalier unibrassiste tente une figure que le grand Bartabas lui-même, écuyer, metteur en scène, scénographe et réalisateur français, fondateur du Théâtre équestre Zingaro en 1984 et créateur en 2003 de l’Académie du spectacle équestre de Versailles, aurait eu peine à réaliser.

Il eût fallu pour ça que le fougueux dresseur de bourrins fût de surcroît unijambiste.

Et qu’il eût perdu la tête dans l’aventure.

Qu’il l’eût égarée disons.

Sur le toit du poste d’aiguillage par exemple.

 

…demain chap 28 : « Ladies and gentlemen ! »…

« MARS 2221, roman » (chap 27 : « Remote Control Impulse System »…)

  1. Remote Control Impulse System

C’est bien un bras. Un bras, son avant-bras et la main assortie. Équipée de doigts en quantité réglementaire. Qui se crispent et se tendent, se crispent et se tendent. L’articulation du coude elle aussi semble avoir la bougeotte. La main prend appui sur la paume, le poignet se replie, l’avant-bras essaie de participer… Ho hisse ! Mais trop lourde l’épaule démissionne. J’arrive sur zone pour assister à une ultime et pathétique tentative. À bout de forces l’avant-bras découragé retombe pour le compte. Les doigts capitulent. C’est fini.

Accroupie au chevet du membre supérieur désormais immobile, Anthéa monologue.

– Il cherchait à se relever.

– « Il » ?

– Quelque part pas loin un andro manchot vient de griller ses dernières batteries.

Je prends conscience de l’absence d’hémoglobine dans les environs du membre supérieur livré à lui-même. Jadis les clients de ce bon vieux psychopathe à succès de Stephen King (et de la marée de pondeurs de « srileurs » horrifiques qui, des deux côtés de l’Atlantique, s’étaient fait un devoir, ne serait-ce que financier, de lui emboiter le pas) auraient exigé le remboursement de leur brochure de cellulose imprimée. Pas le moindre ligament déchiqueté. Pas l’ombre d’un cartilage osseux broyé ni le plus léger soupçon de tissu conjonctif dégoulinant hors de la manche de costard déchirée…

Taillée dans un tissu synthétique bon marché de couleur sombre.

Un uniforme de gardien.

– Darius.

– Endymion savait que le gardien de la mine était un andro ?

– Ça m’étonnerait. Il m’aurait passé l’info.

– L’hypothèse avait pas dû l’effleurer, le pauvre vieux. À sa décharge, l’apparence physique des robots dernière génération frise la perfection… Pareil pour leur efficacité en termes de gestuelle, d’expression orale… Le RCIS y est pour beaucoup.

Cette fois encore, Anthéa a pitié de mon ignorance.

– Le « Remote Control Impulse System ». Une technologie pré atomique remise au goût du jour par nos distingués cybernéticiens. Substituée à l’arc réflexe analogique, elle réduit encore le retard à l’allumage induit. C’est le principe de la zappette.

Chère zappette ! J’avais connu ses balbutiements. Découvert avec ravissement le plaisir à peine sadique de mettre fin aux geignements pompiers de Jean-Jacques Goldman sans bouger du canapé. Puis, les années ayant passé, celui de congédier d’une pression de pouce l’univers consternant des gagneurs de millions, oublieurs de paroles, fermiers célèbres et autres staracadémiciens. Puis, plus tard encore dans ma vie, le soulagement indicible de mettre un terme aux à-peu-près mensongers (on en parlait tout à l’heure) d’une cohorte de désinformateurs patentés. Comment il s’appelait déjà l’autre suceur de teub présidentielle avec son écharpe en pure laine rouge de honte ? Christian Coiffeur, un nom comme ça…

 

…à suivre si vous êtes sages…

« MARS 2221 » (chap 26 : Mine de rien (suite et fin))

résumé : Anthéa et lapin se payent un urbex et orbex à la recherche de Darius…

Je congédie sans états d’âme le fantôme de la postière. Passée de l’autre côté du comptoir, Anthéa désire me montrer le tableau de mini écrans de contrôle, partie prenante du système de vidéo surveillance de la mine. Pour qui, pourquoi, trois d’entre eux continuent à faire le taf… Sur le premier on reconnait la façade devant laquelle le taxi nous a déposés. Un second balaie le couloir (je repère le logo des cagoinces). Sur le dernier écran on navigue en territoire inconnu. Un espace ouvert, assez vaste avec une sorte de caverne en arrière plan.

– Là… », Anthéa effleure l’écran d’un ongle perspicace, « …c’est pas un des rails qu’on apercevait d’en haut ?

– « Je me souviens ce jour-là, avec Darius on avait réussi à atteindre l’entrée des galeries… »

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Endymion Calmann-Lévy, mémoires d’outre-tombe.

– Ah ok.

Ma chérie à zéro nibards est full focus sur le haut de l’écran.

– J’ai vu un truc bouger… Choufe ! Ça recommence ! Là, par terre… À côté du rail… Tu vois pas ?

– Peut-être bien…

Elle se retourne.

– La porte là… Je parie qu’elle donne sur l’intérieur du bâtiment.

Sûre de son coup, Anthéa se dirige vers ladite porte. Miracle, la cellule photo électrique fonctionne toujours. Dans un grincement poli, le panneau métallique taché de rouille cède le passage.

– Qu’est-ce que je disais ! Ouah c’est gigantesque là-dedans !

Je sautille à mon tour jusqu’à l’ouverture. Sans commune mesure avec la vastitude colossale des Jardins, c’est vrai que le hangar en impose malgré tout. Il fallait ça pour accueillir les tunneliers, jumbos de forage, excavatrices et autres grues qui géraient le déchargement des wagonnets de retour des galeries. Fini les « tourniquets » des gueules noires aux poumons ravagés par la silicose. Plus question d’abattage manuel. Ni d’explosifs rudimentaires, aussi néfastes à la santé de l’artificier qu’à la stabilité de la roche environnante.

– Le loft que ça ferait ! » Anthéa délire, « …Aller prendre ta douche en skate, le matin ! Ton bowling perso…

– Ta note de chauffage perso…

– Là-bas dans le fond ! Le no man’s land de l’écran de contrôle !

Vivement intéressée par la large ouverture visible à la sortie du hall de gare, Anthéa slalome entre les barres d’alésage tordues, châssis, glissières rouillées et roues de coupe tournantes édentées en attente du passage des encombrants. Je fais ce que je peux pour lui filer le train mais mes prothèses me retardent.

– Attends-moi ! Où t’es ? Je te vois plus !

– Un bras !!! C’EST UN BRAS !!! Un putain de bras !!!

 

…demain, chap 27 : « Remote Control Impulse System »…

« MARS 2221 » (chap 26 : Mine de rien (suite))

« MARS 2221, roman », de la « science fiction »? ??  Pis quoi encore ? Déjà que la 4ème de couverture parle de  «dystopie» juste pour calmer les angoisses de « l’agence littéraire » qui gère ma paperasse de publication. Et oui, «Ferdinand» c’est bien Louis-Ferdinand Céline. Et non les libraires ont jamais rien eu d’« indépendant » à proposer. Leurs piles c’est pas gratos qu’ils peuvent se les construire. Parlant d’empilement, vous vous êtes enfin trouvé une série glauque et touche-pipi à souhait pour le we ?

 

 

résumé : plutôt que rentrer aux Jardins, Anthéa propose de descendre faire un tour à la mine désaffectée…

– Tu t’en sors avec tes béquilles ?

La porte glissière ayant cette fois accepté de me libérer, je lui montre si je m’en sors avec mes béquilles ! D’un coup de reins qui, contrairement à ma cheville, a rien perdu de sa vigueur je suis dehors avant qu’elle ait eu le temps de déplier ses grandes cannes. Elle me rattrape devant l’entrée principale du bâtiment alors que, dans son dos, le taxi regagne les hauteurs.

Le volet roulant est une version géante de celui de l’église de la Foi Universelle. Sauf qu’il est dûment verrouillé. En quelques enjambées félines Anthéa gagne le coin de la façade. Cri de victoire.

– « L’entrée des artistes », comme dirait Kyste Graisseux !

Je la rejoins. Sur le côté du hangar une porte, métallique elle aussi mais à taille humaine. Au-dessus il y a encore moyen de lire :

« AC  EIL – LIVRA S NS »

Ouv  tu e   9h / 17h »

Le battant fatigué cède à la poussée de ma béquille.

– Après toi s’il en reste !

Un long couloir chichement éclairé par des leds poussiéreux. On avance, moi clopin-clopinant derrière Anthéa sur le qui-vive. On laisse un chiottard sur la gauche avant de parvenir à une nouvelle porte, en verre dépoli. « Sonnez et entrez ». Pas contrariante  Anthéa presse le bouton et, ayant poussé la lourde, passe un museau furtif.

– Nobody in the class-room », elle me renseigne mezza voce.

– Monsieur Darius ? » je contribue, risquant un œil à mon tour.

Le silence persiste. On entre. La pièce baigne dans une lumière crépusculaire, vide de chez vide. Ambiance agence postale après un hold-up. Au mur, on dirait une vitrine d’exposition de timbres rares. Explosée. À défaut de casse du siècle les braqueurs ont dû se rabattre sur son contenu, des fois qu’il puisse intéresser un fourgue philatéliste. Un moment je crains que mon hippocampe ait finalement décidé de remettre le couvert. St Martin d’Étampes, années 2000. Je suis venu poster les formulaires provisoires de mes dernières bluettes à la SACEM, service des dépôts… « Veuillez  indiquer le titre de votre œuvre et en consigner les quatre premières mesures dans le rectangle prévu à cet effet, les paroles au-dessus de la musique ». La postière me sourit connivente. Je lui refile l’enveloppe en papier kraft, ça va encore me coûter des ronds ces conneries…

– Lapin, viens voir !

 

la suite demain si vous êtes sages