« MARS 2221, roman » (chap 24 : « Jour férié »)

À partir d’aujourd’hui, le narrateur s’appelle « lapin ». Sans majuscule.

  1. Jour férié

– Salut lapin, t’es tout seul ?

À la tronche que je tire Anthéa pige direct.

– Ils sont venus le chercher à l’aube. Comme un condamné.

– À l’aube ?

– Avant le petit-déj’ quoi… La médecine est intraitable là-dessus. Lui qui appréciait tellement sa biscotte beurrée. « Mon seul plaisir ! » qu’il disait en faisant trempette dans son bol de cacao. Ça craint, Anthéa. Je l’avais pris en affection ce vieux débris.

–  Moi aussi je l’aimais bien… Ça me fait quelque chose… Le jour de la St Thomas-Pesquet en plus !

– Ah c’est ça que t’es pas aux Jardins ?

– Jour férié. Regarde, je nous avais pris une ISS à la frangipane à la boulange en bas. Elle me faisait trop envie…

La galette en pâte feuilletée qu’Anthéa vient de sortir de son emballage, toute plate, en forme de « H », est censée évoquer l’ « International Space Station», un tas de ferraille qui, dans les temps anciens, flottait en orbite basse autour de Terra. Sa fonction principale était d’éviter la nuée de satellites en perdition qui lui arrivaient dessus de tous les côtés.

– Quand je pense que je l’ai connu de son vivant, ton St Thomas-Pesquet ! Sa dégaine «bonhomme Michelin » a tourné en boucle pendant des semaines sur toutes les télés. Le premier français à commander la station spatiale internationale ! Cocorico ! J’étais pas loin d’avoir l’âge d’Endymion. C’était la fameuse période où une confrérie de seringueux voulaient à tout prix shooter le monde contre un virus chinois soi-disant mortel pour les vieux et les immuno déprimés. Les labos se faisaient des couilles en or avec ça. Je me souviens, à la radio ils avaient inventé un nouveau mot : « vaccinodrome ». Soit disant que c’était une marque de civisme de se faire injecter cette saloperie. Au point que de prétendus journalistes voulaient envoyer les keufs trouer de force le cul des récalcitrants…

– Hé, tu vas pas me faire une remontée ?

– Nan rassure-toi, on dirait que, de ce côté-là, ma chute dans l’escalier a eu au moins un effet positif !

– Comme dans Hippocampe Twist ! Un trauma à la calebasse et hop, fini les hallus intempestives ! Si tous les petaucasques fonctionnaient comme toi, la neuropsychiatrie gagnerait à s’équiper en marteaux ou en battes de base-ball.

– À propos de calebasse, hier j’ai pas trouvé le temps de t’en parler mais Kembaçkuk m’a localisé un brain chip dans le fornix.

– Sérieux ? Où c’est le fornix ?

– Pas loin de l’hippocampe justement. Il croit que je me le suis fait poser histoire de bander plus dur, t’imagines ! Paraît que c’est la mode en ce moment.

– M’étonne pas. Tiens, c’est joli ça… D’où ça sort ?

Anthéa a repéré le cristal de jarosite sur ma table de nuit.

– Le cadeau d’adieu d’Endymion.

Anthéa se saisit de la fine lamelle dont les reflets rougeoyants contrastent avec la pâleur de ses doigts.

– Tombé de la poche d’un extraterrestre.

Anthéa écarquille les yeux. Je lui résume du mieux que je peux le polar rocambolesque de feu l’adjudant-chef. Le site archéologique, la soucoupe volante, les chifoumeurs de l’espace, sans omettre les conclusions de l’arrière-petite-nièce astrophysicienne après analyse du cristal. Je note qu’au mot « rayonnement », Anthéa s’empresse de reposer la lamelle où elle l’a prise.

– Ha ha ! Un karma à la Marie Curie te tente pas plus que ça, on dirait ? Je te vanne mais j’ai eu le même réflexe. Sans raison, d’après Endymion. Il pense – pardon : il pensait, j’ai du mal à m’y faire – qu’il s’agit ni plus ni moins d’un aimant un peu costaud.

Anthéa est perplexe. Je lui dis ou je lui dis pas ?

– Quand t’étais petite, ‘Théa, tu t’amusais pas à écouter la mer dans les coquillages ?

– Bah si ! Comme tous les gosses, pourquoi ?

– Vas-y, essaie avec ce truc…

Moyennement rassurée, Anthéa se saisit à nouveau du cristal. Elle le glisse sous ses bouclettes soyeuses, tout contre son oreille délicatement ourlée, se concentre quelques instants… Avant d’afficher une moue négative.

– Nan, j’entends que dalle.

– T’es sûre ? Ferme les yeux… Imagine que tu te balades dans la savane africaine…

– Depuis quand y a la mer dans la savane africaine ? Nan je t’assure, lapin, j’entends rien.

– Eh ben moi tout à l’heure j’ai porté le bidule à mon oreille, comme ça, machinalement, et…

 

…demain chap 25 : « Ganesh, le retour »