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« MARS 2221, roman » (chap 57 : « Marjolaine »)

  1. Marjolaine

Bonne question. J’ai pas trempé dans un potage pareil depuis la grande époque de la Résidence.

– Je… Je…

– *Ne vous agitez pas… Laissez-vous porter…*

Porter par quoi ? De plus en plus déformée par une sorte d’équivalent télépathique de l’auto tune de Kendrick Lamar, la pensée de Gd’Ye-Asi s’éparpille en moi, se dilue, se désagrège… Putain de brouillard. Même les juggernauts pourtant illuminés comme des arbres de noël roulent au pas. Ceux qui se risquent encore à rouler ! Les obstinés qui espèrent envers et contre tout pouvoir rallier Folkestone avant la nuit.

Ma première nuit solo.

Le Solex du Baron a pris feu hier soir, à peu près à la même heure. On venait de passer Cambridge. J’étais parti en éclaireur en quête d’un abri de bus à même de nous héberger pour la nuit. On dirait que la nuit tombe sans arrêt sur notre retraite de Calédonie, entamée voici une dizaine de jours. Imposée par nos finances à zéro et la fin de contrat de Sandra et Noddy. Le cœur lourd il a fallu plier les tentes et enfourcher nos montures. Même sans pot d’échappement, j’étais plus rapide que St-Mégland, surtout depuis son boulon semé dans les hautes herbes du camping. Son absence a-t-elle causé l’incendie ? Va savoir avec un Solex ! Lorsque, m’étant retourné, j’ai vu au loin les flammes monter dans les ténèbres j’ai fait demi-tour illico presto. Pour tomber sur mon baron hébété, affalé en contrebas de la route (vu l’état de nos coursiers on avait oublié la motorway). Il regardait sans les voir les dernières flammèches s’échapper de son moteur à explosion (!). On le répètera jamais assez : le talon d’Achille du Solex, c’est le cylindre posé sur le réservoir. La flotte s’était remise à tomber à verse, finissant d’éteindre le sinistre mais menaçant nos bronches fragilisées par une alimentation spartiate. Il fallait se mettre à l’abri. À défaut d’arrêt de bus, j’avais repéré une cabine téléphonique dans le hameau voisin. Un hameau  d’au moins une âme. Celle qui nous a direct signalés aux keufs. « Allo superintendant, y a là deux migrants qu’ont investi un fleuron du patrimoine royal. Ils osent dormir à l’intérieur. Dormir debout, oui superintendant, debout ! Tête-bêche ! ». L’incrédulité des bobbies accourus en urgence constater les faits était à peine moindre que, trois mois en arrière, celle des mounted police devant le destrier de mon poteau. Question mètres carrés habitables, on aurait pas perdu au change d’être embarqués manu militari à la police station. Hélas, on était pas en France, fille aînée de l’Église et arrière-grand-mère de l’arrestation arbitraire et de la garde à vue préventive. Après l’incontournable vérification d’identité, l’intervention s’était soldée par un non moins incontournable « Oh you’re French ? Baguette, vin rouge ordinaire, De Gaulle, Champs Élysées ! », un nécessaire « vous êtes priés de laisser les lieux dans l’état etc… » et de très optimistes souhaits de bonne nuit.

Ce matin donc, aux premières lueurs de l’aube et sa promesse bien connue, massant nos membres endoloris et profitant d’une courte pause dans le déluge, on s’est résolu à reprendre la route.

 

…la suite demain…