- Dans Mars
Dire que je suis bon perdant serait mentir.
– La revanche ?
L’amiral est partant mais Mustalpha, ayant jeté un nouveau coup d’œil par la fenêtre, nous stoppe dans notre élan.
– J’ai peur que nous ne puissions plus faire attendre votre glisseur.
On se retourne. Sur le parking, un chariot du père Noël sans les rennes avec, floqué en lettres fantaisie sur la portière : « Red Joystick Resort », flotte à un mètre du sol.
Cancanement appréciateur de l’amiral.
– Le « Red Joy Stick » ? Nos amis ne se torchent pas avec les coins de mur !
Sur ce, nous ayant remercié pour cette « partie intéressante », il retourne à sa vaisselle. Le capitaine Troy nous accompagne jusqu’au glisseur.
– Transmettez mes amitiés à Gd’Ye-Asi, voulez-vous ? Gd’Ye-Asi dirige le Joystick Resort.
– Entendu capit… monsieur Mustalpha ! Pour le reste ce n’est que …partie remise !
Anthéa a déjà pris ses aises sur la banquette. Je m’installe à côté d’elle. Le taulier de l’Aquadrome a capté mon allusion à un match retour. Sourire jusqu’aux oreilles.
– Je ne voyais pas les choses autrement ! Je vous promets de veiller personnellement à l’entretien du tapis ainsi qu’à la qualité des balles !
Le sweet chariot qui était descendu au ras du sol pour faciliter notre montée à son bord reprend de la hauteur. Un subtil tintement de clochettes, un bourdonnement à peine perceptible et en route ! À la sortie du parking nous nous engageons sur la large promenade qui longe le lac. Des feux follets dansent sur les eaux déjà sombres. De l’autre côté de l’avenue, les néons s’allument un à un à la devanture des boutiques de luxe, restos, bars, clubs, pubs, cinémas et autres salles de jeux. Skomäth-Hellian, le rendez-vous de la jet set interstellaire !
Accoudée à la portière de notre tilbury sur coussins d’air Anthéa en prend plein les mirettes. Il faut admettre qu’entre la Biennale Inter Dômes et les rares concerts silencieux dans les Jardins de la Résidence, ses références en matière de festivités pissent pas loin. D’une façon générale, en 2221 sur Terra, les mots « fête », « teuf », « fiesta », « bamboche », « nouba », « java », « rave », « night-clubbing » ont disparu avec les dictionnaires. À titre personnel je m’en bats le testicule et demi. Aussi loin que mon hippocampe surcompensé m’autorise à remonter je me suis toujours senti mal à l’aise au sein du moindre rassemblement à vocation socialement jubilatoire. Quand elle a le blues, que pareil comme Alfred elle se la joue pauvre chose « venue trop tard dans un monde trop vieux », quand elle se pète une crise de nostalgie d’un « monde d’avant » qui à ce que j’en sais, à l’image de tous les mondes d’avant avant lui, a jamais existé ailleurs que dans les manuels d’historiens défoncés au protoxyde d’azote, il arrive qu’Anthéa me demande de lui narrer quelque épisode du gay Paris pré nucléaire. Les passages à l’année nouvelle sur les Champs Élysées par exemple. Comment alors il faut que je me fasse violence pour mettre un semblant de positif dans ma peinture d’une tour Eiffel déjà suffisamment crainteuse au naturel livrée aux malversations d’artificiers de supermarché, à la plus grande joie de grappes d’idolâtres du futur en marche vers leur crise de foie réglementaire. Tant qu’à convoquer un passé jubilatoire j’aime autant la brancher carnaval de Rio, écoles de samba déchaînées, chars délirants tirés par des dragons cracheurs de feu, créatures emplumées tirées par va savoir qui ou quoi, dans une frénésie de paillettes et de confettis hallucinogènes. Motus sur, à peine quelques rues plus loin, la misère rampante des favelas et leur quotidien de famine assaisonnée de règlements de compte entre dealers de mort injectable et keufs ripoux…
– J’arrive pas à me croire sur Mars, lapin !
– Dans Mars, tu veux dire ! Dans Mars, ‘Théa ! Cinquante bornes underground !
C’est vrai que cette débauche de robes longues, de smokings entrant et sortant de leurs hôtels luxueux pour s’engouffrer tout sourires dans leurs limos aéroglissantes direction là-où-on-s’amuse, aussi tape-à-l’œil soit-elle, aussi clinquante, m’as-tu vu, superficielle et toute la liste des adjectifs applicables à la high society en goguette, le tout à cinquante putains de bornes dans les profondeurs de la roche martienne, il faut se pincer très fort pour…
– Regarde, lapin ! Le Red Joystick !
…demain chap 43 : « Check in »…