« MARS 2221, roman » (chap 17 : « Des fleurs, des feuilles et des branches »)

C’est pas qu’ils sont méchants sur France Culture. Ils font ce qu’ils peuvent, si vous voyez qu’est-ce je veux dire (en franceculturien dans le texte). À les en croire, ils sont « l’esprit d’ouverture ». Genre en ce moment l’esprit ouvre sur le « polar ». Sa spirituelle vision du polar, à l’esprit d’ouverture. Exemple hier mardi 15 octobre vers 13h 30, entre « Les midis » et « Les pieds sur terre »,  alors que je terminais mon camembert j’ai entendu une voix mâle et sexy en diable, onctueuse comme mon camembert vanter le plaisir incomparable de « se faire peur ». Le bg conviait les franceculturistes intéressés à le suivre « dans la pluie glaciale », se choper des « sueurs froides » et patauger dans des « mares de sang ». J’en ai mangé la croûte de mon camembert. Bon mais foin de culture franceculturelle, le présent chapitre de « MARS 2221, roman » cause culture pour de vrai. La culture de la washmeuh pour être précis.

17. Des fleurs, des feuilles et des branches

– E…Excusez-moi ! La chaleur… J’ai dû m’endormir…

Le mec chasse une mouche invisible et passe direct à la question qui le préoccupe.

– Juvénal Valbueno. Tyler prétend que vous vous y connaissez en chanvre indien. On va voir ça tout de suite. L’égourmandage, ça vous dit quelque chose ?

– Paraît que ça marche pour les tomates. S’agissant de la beu, c’est une hérésie.

À travers nos visières respectives je vois ses yeux s’agrandir.

– Une hérésie, vraiment ?

– Vraiment. À moins que vos clients s’éclatent à méfu de la salade.

Gêne palpable de mon interlocuteur. J’enfonce le clou.

– Hé boss ! Un joint c’est pas un cigarillo ! Dans la beu c’est la tête qui fait tout. Une bonne grosse tête bien dodue, bien velue qui craque sous les doigts du rouleur, libérant son arôme généreux…

Les siècles ont passé mais branchez moi fumette et direct je retrouve l’enthousiasme de mes premiers pétards. Ganja, marijuana, kif, pot, weed, kaya, des mots si doux à mes oreilles ! Les siècles ont passé, dis-je, et comme prévisible, malgré les promesses qui ressurgissent à chaque campagne électorale, sur Mars comme ailleurs, la culture de l’herbe est toujours tricarde. Mais je tombe des nues au constat qu’il y a pire : qui dit « égourmander » dit priver la plante des tiges secondaires, voire tertiaires qui, à terme, produisent les précieuses sommités défonçantes.  Au profit du développement des feuilles. Les feuilles ! Doux Jésus ! Jésus qui, à en juger par la puissance de son délire devait y aller à fond sur le « sénevé », première orthographe de « chènevis » = cannabis. Il n’est pour s’en convaincre que de lire sa fameuse parabole.

C’est pas que ce soit 100% inintéressant à fumer, une feuille de beu, m’objecterez-vous. Sous réserve qu’elle ait été prélevée sur un pied femelle ! Délicate, fine, gracieuse, féminine quoi. Pas un grossier bifteck mâle sans le moindre potentiel psychotrope… Je l’ai dit, à Cerny on était prompt à déguster les prémices de notre récolte – vision fugitive de Kurt, vidant sa poêle de « française » torréfiée à souhait sur la table de la cuisine – mais les « fricassées » c’était en attendant de faire tomber les têtes pire que Robespierre !

Valbueno a aucune intention de perdre la face devant Tyler. Il me saisit par le coude et m’entraîne un peu à l’écart.

– Parce que vous pensez que…

– Un peu que je pense que. Faites le test. Arrêtez votre égourmandage criminel et laissez au contraire ces délicates branchettes prendre de la vigueur. Vous m’en direz des nouvelles.

Pendant que l’ingénieur essaie de se gratter le front mais c’est pas facile à cause des gants et de la visière, j’échafaude mentalement une théorie touchant à la régression culturale renversante dont je suis témoin. Se pourrait-il que, pendant mon sommeil forcé, face à la surenchère des labos hollandais ou californiens dans le surdosage en THC de leurs produits, les pouvoirs publics mondiaux aient exigé de leurs distingués légistes un tour de vis supplémentaire ? Déclaré une guerre sans merci à la « Hawaïan Skunk», la « Mango Kush », l’« Amnesia » qui causaient trop de ravages sur les neurones de notre belle jeunesse ? Était-ce que pourchassés jusques au fond des caves de leurs HLM étroitement surveillés par les Forces du Bien, les misérables loques qui persistaient à adultérer leur tabac – quand il en restait encore dans leurs spiffs – en avaient, de génération en génération, oublié jusqu’aux fondements sacrés de l’élevage de la washmeuh ???

Juvénal Valbueno m’arrache à mes conjectures. Sa décision est prise.

– Si Tyler accepte de faire sans vous en bas, vous prenez vos fonctions immédiatement.

Un peu que Tyler accepte de faire sans moi ! Trop content d’avoir réussi à redorer son blason d’entremetteur patenté, il croise juste les doigts pour que je me montre à la hauteur de la situation. Pendant qu’il décarre, Valbueno me désigne l’escalier.

– Je vous donne carte blanche. Descendons à la plantation, voulez-vous ? Attention, l’humidité ambiante rend l’escalier un peu gliss…

L’avertissement me parvient trop tard.

demain chap 18 : « Une petite qui frétille »