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« MARS 2221, roman » (chap 16 : La poutre dans ton œil)

Il continue à s’en passer de belles dans l’arbre à tomates, même le dimanche ! Cette relecture  de « MARS 2221, roman » se révèle de plus en plus passionnante.

 

16. La poutre dans ton œil

 Bâtiment C. Au terme d’un chemin de croix interminable à travers calibreurs, laveurs, séchoirs, équeuteuses, brosseuses, éplucheurs à corindon rotatif (ou à couteaux), les patates, carottes, navets – les Jardins Suspendus s’honorent de satisfaire également les amateurs de manioc, topinambour, poire de terre, oca du Pérou, glycine tubéreuse, igname, crosne et autres ulluques – sont débarqués en douceur sur des autels déroulants à quatre voies, en offrande à autant de conditionneuses voraces. Il me faut m’arracher à la contemplation incrédule de ce Moloch végétarien car il est 14 h 29 et j’ai rencard à 14 h 30 près des bancs à tubercules. Ponctuel, Tyler Jérôme vient à ma rencontre. Il me tend cinq grosses chipos calleuses à travers leur emballage plastique.

– Salut. Bon, autant que tu le saches et j’en suis pas fier, c’est moi qui avais recommandé à Valbueno l’indélicat récemment composté par ses gorilles. Je compte sur toi pour m’aider à me refaire une crédibilité. D’après ce que m’a dit Anthéa…

– La beu et moi c’est une longue histoire d’amour.

Longue de deux siècles et demi mais ça, ça le regarde pas. Il hoche la tête plus ou moins convaincu et me guide vers un cube de verre qui nous propulse en deux temps trois mouvements vers les hauteurs du tomatier. Enchevêtrement inextricable de branches épaisses et noueuses depuis lesquelles d’autres ramifications de plus en plus modestes plongent et se redressent, offrant leurs grappes multicolores aux mains expertes des récolteurs. À la sortie du cube, une espèce de boulevard, transparent lui aussi, façon « Grand Canyon Skywalk » sur lequel mon guide m’invite à avancer. Malade de vertige mais c’est ça ou redescendre aux patates, je m’exécute. Perchée sur son escabeau une cueilleuse se retourne sur notre passage.

– Salut Tyler, on en est où de mon augmentation ?

– Demande au kyste. Tu te renseigneras pour la mienne par la même occasion.

Il ponctue sa vanne d’une main au cul franche et massive. En représailles, la cueilleuse fait mine de lui balancer le fruit gorgé de jus qu’elle tient dans son gant en caoutchouc mais Tyler est déjà loin. Je le rattrape alors que, téléphone à la main, il compose le code d’ouverture d’une petite porte grillagée, à peine visible entre les branches.

Danger ! Clôture sous tension

Accès réservé aux auxiliaires de maintenance

 La diode de la serrure clignote. La porte s’ouvre. On entre.

– Attention la tête !

Tyler Jérôme referme soigneusement derrière nous. On navigue au jugé dans une jungle obscure, évitant comme on peut les mastra tentacules végétaux qui obstruent le passage. Le puits de lumière pourtant pas loin au-dessus peut pas grand-chose contre l’épaisseur de la canopée.

– Bienvenue à Bornéo !

Après trente secondes de parcours du guérillero on arrive à un étroit escalier descendant. Jérôme baisse la tête pour pas se prendre la poutre rouillée qui barre la première marche. Passé de l’autre côté il se retourne.

– Reste là. Je descends dire à Valbueno que t’es arrivé. J’en ai pas pour longtemps.

 

la suite demain