Entretiens avec Léon (2)

Du Torbico à l’Utopie

-Sinon, à la télé, donc partout, les voilà tous plus ou moins pileux du museau, t’as vu ?
-Mouais ! En tout état de cause et belle soirée à vous ! Je suppose que c’est le kratos du dêmos  juchréman sur lui-même qui finit par faire prendre à ce dernier sa bouche pour son trou de balle. Quand tu entends la diarrhée de promesses intenables que nos maîtres chanteurs au bonheur par les urnes nous lâchent du matin au soir, de munislipales en europétaines, rien d’étonnant à ça !
-Chien de mécréant abstentionniste va !
-T’as raison ! « Elis-moi que tu te domines à travers moi ! » Selon la volonté de l’Eternel Yavallah qui nous a sortis des poubelles du néant pour mieux nous jeter dans celles de la schizophrénie ! Comme si on n’avait que ça à faire de nominer aux escarres des menteurs professionnels qui, à peine mandatés par notre crédulité congénitale, s’empresseront de nous rouler dans la farine comme les derniers pavés de saumons d’élevage fourrés aux antibiotiques tombés de l’arche de Nono l’ivrogne…
-Toujours cette culture du pouvoir…
-Des fois je me dis qu’il aurait fallu, comme le Petit Poucet, semer des cailloux  depuis notre sortie, plus qu’imprudente, des bonnes vieilles cavernes au fond desquelles, même si ça sentait un peu les pieds, au moins on pouvait casser la croûte sans avoir à bafouiller un bénédicité en guise d’apéro ni se demander si le mammouth dans lequel on était en train de se tailler une bavette avait été estourbi dans les règles  cashal telles que formulées à la page 11458 du Torbico…
-Du Torbico ?
-Ben oui ! Les superstitions juives,chrétiennes et musulmanes revendiquant, à un ou deux prophètes près,  les mêmes têtes de liste pour leurs programmes de bonzaïsation mentale de la gent hominidée , je propose, dans la foulée, de regrouper leurs fameux livres de recettes de cuisine divine –Torah, Bible, Coran- qui, à les entendre, n’en font qu’un avec une majuscule, sous l’appellation chic et sympa de Torbico, avec une majuscule pour choquer personne…
-Ah d’accord ! et « cashal » c’est pour casher et halal ?
-Tank à fer ! Bon, je disais que si, depuis le temps où les poils ne nous poussaient pas que autour du bec, on avait pensé à semer des petits cailloux, ils nous aideraient bien, aujourd’hui, à nous extirper du merdier insensé dans lequel ledit Torbico, avec une majuscule, nous a plongés. On pourrait refaire à l’envers le pénible chemin jusqu’au stade de notre darwinienne évolution qui correspond à la prise de conscience de notre condition de mortels, apparemment déstabilisante au point de nous avoir fait inventer, en manière de compensation, des histoires de créateur du ciel, de la terre et, dans la foulée, de l’ostéoporose, des rhumatismes articulaires, hémorroïdes et autres tumeurs plus ou moins bénignes qui pimentent avec bonheur notre train-train quotidien et, pour se sentir moins seuls sur cette chic planète, celui des souris des labos de nos savants de Marseille et d’ailleurs…
-Auquel cas il nous faudrait remonter jusque bien avant les Juchrémans ?
-Sans aucun doute, Helmut ! Et bien avant les Egyptiens par eux outrageusement plagiés ! Des Egyptiens qui avaient eux-mêmes outrageusement plagié les Mésopotamiens. Pour les proto-Chinois,  les proto-Hindous et autres proto-Nazetèques arracheurs de cœurs de gamins vivants, les historiens ne sont pas trop sûrs mais il y a fort à parier que, tous autant qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, les ancêtres de nos ancêtres à tous autant qu’on est – rappelons aux étourdis qu’il n’existe qu’UNE espèce dite « humaine »- dès qu’ils ont eu le temps de faire un break dans leur incessante quête de bon miamiam et de protection contre les autres bestioles qui, égoïstement, rechignaient à nous lâcher la pole position dans la chaîne alimentaire, se sont mis à gamberger, et comme on continue à le faire aujourd’hui dès qu’il se passe un truc un peu louche, CHERCHER UN RESPONSABLE !!!
-Toi, je sens que tu vas me citer Cicéron! Tu vas me dire que le premier dieu des mortels a été le soleil !

 

 

-Oui et non parce que, à l’époque où on s’est mis à faire le beau sur nos pattes arrières, rendant d’autant plus commode l’observation de tout un tas de phénomènes qui, jusqu’alors, nous passaient comme qui dirait par-dessus la tête, on a quand même continué à sacraliser les grosses bêbêtes dont on aimait trop à se farcir la panse, ne serait-ce qu’en se persuadant de retrouver leurs contours poilus dans le ciel d’été. Notons au passage que, de nos jours post modernes, il n’est pas rare de continuer à entendre dire que l’ « on est ce que l’on mange »…Mais, bon, reconnaissons que, oui, le soleil, dans son unicité resplendissante, semble emporter tous les suffrages en tant que cause première des superstitions successives nous ayant conduits à la bonne vieille civilisation juchrémane qui nous squatte le cerveau depuis deux millénaires et demi…
-…Nous pourrissant méthodiquement toutes nos chances d’évoluer…
-…Et rendant de plus en plus urgent un vaste nettoyage de printemps de nos circuits cognitifs, nos « logiciels » comme on dit à la télé donc partout, afin de pouvoir passer aux choses  sérieuses, savoir : prendre enfin nos distances vis-à-vis du règne animal et aborder aux rivages dorés de l’Humain, un continent dont les coordonnées nous échappent encore complètement.
-Tu serais pas une réincarnation de Christophe Colomb, des fois ?
-Gaulé ! Même que « mon Amérique à moi », comme dirait J. Brel, ça serait, je le dis et le répète, de voir les malheureux bipèdes en quête d’identité que nous sommes devenus se débarrasser enfin des oripeaux malodorants de la trilogie Ju (domination des « élus » sur les autres) Chré (culpabilisation/jalousie des « autres » de ne pas faire partie des « élus », mais rédemption par le pognon envisageable) Mane (asservissement de la femelle par le mâle, comme ça même les dominés ont quelqu’un sur qui se défouler). Evidemment, je caricature, comme diraient Rame-à-Dents et Finequellecroûte, les fameux duettistes.
-Utopie, sors de ce corps !
-Tu rigoles mais quand tu colportes des histoires à dormir debout vantant les exploits d’un gugusse qui coupe la mer en deux avec sa canne à pêche ou d’un autre, cool de chez cool, qui ressuscite les copains d’un claquement de doigts ou, pire, quand tu déclares sans rire que, divinement parlant, il faut le témoignage d’au moins deux femmes pour oser remettre en cause celui d’un seul homme, tout va bien pour toi, on t’appelle « mon père », « mon rabbi » ou « mon uléma» MAIS si tu as le malheur de dire que c’est pas le dernier avatar en date d’un soleil de moins en moins discernable à travers le brouillard de dioxyde de carbone qui nous gâche la vue sur la ceinture de détritus en orbite autour de notre planète chérie, qui va nous expliquer comment faire son gras sur le dos du voisin et qu’au contraire on gagnerait tous à vivre notre courte vie selon d’autres schémas qu’une hiérarchie politico-économique soi-disant validée par les plus nombreux une fois tous les cinq ans…

-Jamais tu respires quand tu causes?

-…Ainsi qu’une sacrosainte propriété individuelle transmissible de branche en branche le long d’un genre de baobab planté là de toute éternité par on sait même pas quel notaire payé à la com, alors là, pour le coup, on te fait souffler direct dans le ballon et t’es plus jamais invité chez David Pyjamas !
-Ah ah! En voilà un qui a échappé de peu à une belle carrière dans le lancer de nains…Ce qui nous ramène au Petit Poucet. Mais dis-voir, gars Franck-Yvon, sans les petits cailloux, c’est pas gagné pour retrouver le bon embranchement…
-C’est pas perdu non plus, gars Léon. Tu sais que le mot « utopie », inventé en 1516 par un certain Thomas More, veut plus ou moins dire « lieu qui n’existe pas » ? Rien à voir avec le sens qu’on lui donne à la télé donc partout, savoir : « lieu qui ne peut pas exister ». Surtout que le « lieu », il existe bel et bien ! D’accord, c’est rien qu’une tite planète, paumée au fond de la lointaine banlieue d’une vague galaxie parmi une infinité d’autres mais, avec un chouïa de bon sens et de solidarité entre mortels, on pourrait en faire un coin sympa, sous un soleil qui ne serait pas un dieu irascible, toujours prêt à enfiler sa fausse barbe pour nous faire des misères, mais tout bonnement un objet céleste plus ou moins identifié et en tous cas bien pratique pour se chauffer les fesses  et un ciel aussi bleu que possible qui donnerait envie d’ y monter faire un tour. Et pas que quand on serait mort. Simplement quand on aurait fait des progrès en calcul mental…